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Débats bâclés à l’Assemblée Nationale sur une libéralisation sauvage des marchés publics



PRESENTATION

Le projet de loi Accélération et simplification de l’action publique (Asap) ne comporte pas seulement une extension du champ du secret des affaires. Les règles de la commande publique sont bouleversées.

Comment comprendre de telles mesures autrement que par la demagogie, la méconnaissance des règles existantes et la mauvaise utilisation – trop fréquente – de celles ci.

En effet les règles de la commande publique sont suffisamment souples pour permette des achats publics performants en qualité, délais et prix.

L’effort d’amélioration de la commande publique passe par une plus forte professionnalisation: c’est aux fonctionnaires et agents publics de se mobiliser pour mieux acheter – sous l’impulsion des élus, en particulier.

Kévin Gernier, chargé de mission collectivités territoriales auprès de Transparency France souligne les risques qu’entrainent les mesures annoncées dans un entretien pour Marianne que nous reprenons ici.

Comment accepter que le débat technique et politique du Parlement ne soit pas organisé, en lien avec les collectivités territoriales, les expetts et organismes de contrôle et de conseil ?

Il est urgent de définir, en France, une Méthode pour reformer l’action publique. METAHODOS s’y emploie et nous publierons très prochainement des propositions complémentaires à celles déjà présentées dans nos publications.

ARTICLE

Loi Asap : « Au motif de l’intérêt général, on pourrait désormais avoir des marchés publics de plusieurs millions sans publicité ni concurrence »


Par Emmanuel Lévy
Publié le 24/09/2020 Marianne


Marianne : Lundi prochain, les députés examinent le projet de loi Accélération et simplification de l’action publique (Asap). Le texte adopté en commission encapsule plusieurs amendements du gouvernement passés sans encombre. Certains modifient pourtant sensiblement les règles de la commande publique.


Kévin Gernier : Ce texte, comme beaucoup d’autres désormais, passe par la procédure accélérée qui est devenue la règle. La commission a ainsi expédié à la chaîne des amendements sans discussion ou presque. Sans opposition ou presque. C’est le cas de ceux qui portent sur la commande publique, le nouveau nom des marchés publics. Les sommes en jeu ont beau être gigantesques, la discussion de ces amendements a été inversement proportionnelle à la durée de leur discussion.


Les critères comme ceux de la publicité des offres et de définition des seuils, qui encadrent la passation de ces marchés sont pourtant les garants d’un bon usage des deniers publics et de la transparence de ces procédures, et de là une protection contre les risques de corruption. Le gouvernement semble vouloir étendre à la crise économique qui vient les dispositifs d’exceptions pris dans le cadre de la crise sanitaire. Transparency a dès avril dernier tiré la sonnette d’alarme face à cette tentation de les pérenniser. Elle n’a pas de sens. En outre, le code de la commande publique prévoit déjà tout des dérogations en cas « d’urgence impérieuse ». Pourquoi dès lors, aller au-delà ?

Quels sont les critères ici modifiés ?

Il y a d’abord le seuil en dessous duquel une personne publique qui veut réaliser un marché est dispensée de publicité et autres formalités administratives. Il y a un mouvement de fond qui s’est récemment accéléré. On est passé de 4.000 euros à 25.000 en 2011, puis à 40.000 fin décembre dernier, notamment sous l’impulsion des Sébastien Lecornu, alors ministre en charge des Collectivités territoriales et d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances. Laquelle a multiplié les réunions avec le secteur du BTP à Bercy. Puis un décret de juillet l’a propulsé à 70.000 euros pour une période de un an.


Le texte Asap ne mentionne plus de seuil. Au motif de l’intérêt général, on pourrait désormais avoir des marchés de plusieurs millions d’euros, sans aucune publicité ni concurrence… Il faut dire que c’est une demande récurrente des élus locaux. Avec un argument : permettre aux TPE et aux artisans locaux d’avoir accès aux marchés. Mais ce sont les gros acteurs qui rafleront la mise. Eux sont organisés pour envoyer des armées de commerciaux faire les pieds de grue devant la mairie….


Il n’y a aucune nouvelle contrainte ?

Non. Et la question est d’autant plus importante qu’avec les plans de relance, l’argent public va couler à flot. Si la discussion s’est centrée sur la conditionnalité des aides à des critères sur l’emploi ou l’environnement, ce que le gouvernement a écarté, des critères pour se prémunir des conflits d’intérêts, comme il en existe pour les fonds européens, auraient eux aussi dû s’imposer. Les situations ou des élus, des fonctionnaires, bref des ordonnateurs, distribuant des fonds à des entreprises de proches risquent de se multiplier.


Il n’y a plus rien à faire?


Nous avons contacté des députés pour les alerter et pour proposer à certains d’entre eux des amendements au texte visant par exemple la suppression de l’amendement gouvernemental que je viens d’évoquer, et qui seront discutés en plénière lundi à l’Assemblée nationale. Ils ont jusqu’à 17 heure ce jour, jeudi 24 septembre pour les déposer. Une majorité pour les adopter et défaire ce qui a été fait est possible à trouver. Encore faut-il que les députés de la majorité se mobilisent et prennent bien la mesure de l’enjeu en termes de transparence et de risques de corruption que porte le texte tel qu’il est écrit aujourd’hui.

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