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« Un management public sous influence du privé «

Émission

Un management public sous influence du privé

DIFFUSÉ LE 20/04/2022 France Culture

Réécouter Un management public sous influence du privé ÉCOUTER (58 MIN) par Tiphaine de Rocquigny

LIEN VERS L’ÉMISSION :

https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=501e4a20-55d3-47aa-8d86-06d51f433cd5

En son sein, le service public n’échappe pas à une exigence d’efficacité et de profit : les logiques managériales s’insinuent au sein des secteurs publics en tous genres. Les agents du public paient le prix fort face à la perte de sens de leur métier.

Notre série sur le public et le privé se poursuit aujourd’hui avec une réflexion sur l’organisation du travail. Le management public s’inspire de plus en plus des méthodes du privé. L’objectif est de moderniser toujours plus une fonction publique jugée inefficace.

Ainsi, les agents de l’Etat se voient imposer des impératifs de rentabilité qui entraînent pour beaucoup la perte de sens et souffrance au travail.

Pour en parler, Tiphaine de Rocquigny reçoit Julie Gervais, politiste, maîtresse de conférence en science politique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, et Frédéric Pierru, politiste, sociologue, chercheur en sciences sociales et politiques au CNRS Ceraps‑Lille‑II.

Le New Public Management d’un service public dit inefficaceSi la critique des services publics se fait déjà entendre au XIXème siècle à travers la figure du fonctionnaire paresseux et « bon à tailler les crayons », pour Frédéric Pierru, « il y a eu une forme de dynamitage à partir des années 60 et même d’ailleurs à partir du concert du Commissariat général au Plan. Il y a une forme de déminage des fondements intellectuels, symboliques et politiques de la fonction publique, notamment à partir de la seconde moitié des années 90, avec l’importation massive de de cette culture du New Public Management. (…) Et il s’agit, après avoir dévalorisé, dénigré la fonction publique, les valeurs du service public, les règles du service public, voire même du droit administratif, de les coloniser par la gestion privée. »

Selon Julie Gervais, « ce qui est nouveau, c’est vraiment l’introduction d’une logique de rentabilité. Et c’est ça qui pose problème. C’est l’introduction de ce raisonnement comptable dans les structures publiques et le fait qu’elles doivent créer du profit. Et c’est pareil à l’université. Les universités sont incitées à aller chercher des ressources auprès des étudiants, auprès des familles et des entreprises des collectivités territoriales. Et pourquoi? Parce que l’Etat ne leur fournit plus assez pour qu’elles assurent la mission de service public. (…) C’est l’une des caractéristiques du néolibéralisme. On a une marchandisation. En fait, c’est le fait que des domaines vraiment en dehors de l’économie marchande comme l’éducation, la culture, la santé, etc. Sont désormais influencées par des logiques privatives, des logiques marchandes qui s’infiltrent. »

Les dérives du New Public Management

Cette recherche de la rentabilité et du profit, jusqu’au tournant néolibéral, assorties d’une suppression d’effectifs, a pourtant des effets pervers que détaille Frédéric Pierru : « Ça produit des surcoûts, c’est à dire qu’à l’hôpital, vous avez effectivement des lits qui ferment parce qu’il n’y a plus assez d’infirmières. Les directeurs d’hôpital témoignent voir revenir dans le service la même infirmière en intérimaire, qui coûte beaucoup plus cher, alors même qu’elle était fonctionnaire de la fonction publique hospitalière. Même chose pour les médecins et anesthésistes réanimateurs qui, en fait, se disent qu’ils gagnent beaucoup plus dans ce qu’ils appellent le mercenariat médical. »

Ce sont les dérives d’une « politique des caisses vides », ou « starving the beast », qui consiste à mettre en difficulté les services publics pour justifier des réformes plus sévères calquées sur le modèle de l’entreprise.

Les stratégies de carrières des élites, et plus particulièrement des très hauts fonctionnaires, sont également bouleversées par cette logique managériale.

Julie Gervais rappelle notamment que « c’est en fait une très haute fonction publique qui a fait en quelque sorte sécession, qui n’a pas la même conception de l’intérêt général que l’ensemble des hauts fonctionnaires, qui n’a pas le même attachement au service public non plus, et qui ne fait pas les mêmes carrières. Et là, on est au centre du problème, à savoir que c’est une très haute fonction publique qui circulent en permanence entre le secteur privé et le secteur public. (…) En fait, la majorité des hauts fonctionnaires qui sont concernés par le pantouflage ne démissionne pas. Ils font des allers retours entre le privé et le public et là, c’est vraiment un élément qui est tout à fait fondamental parce que ça veut dire que le passage par le privé, c’est devenu la condition d’une ascension professionnelle au sein de l’Etat. C’est à dire que pour atteindre les sommets de l’administration, il faut désormais avoir à être passé par le secteur privé. »

Pour aller plus loin

Philippe Bezes et Christine Musselin : « Chapitre 5 / Le new public management. Entre rationalisation et marchandisation ? », dans Une French touch dans l’analyse des politiques publiques ? Presses de Sciences Po, 2015Références sonores

L’écrivain et intellectuel Jean-Marie Domenach à propos de la bureaucratie, extrait de l’émission éponyme, archive ORTF, mai 1969

Témoignage de Fanny, infirmière de 61 ans de l’hôpital de Voiron, profondément insatisfaite de son travail compte tenu des exigences de rapidité qui lui sont posées pour s’occuper des patients. France Culture, les Pieds sur Terre, 7 février 2022

Lecture par Tiphaine de Rocquigny d’un extrait de La Noblesse d’Etat de Pierre Bourdieu, 1989

Un énarque évoque l’attraction du secteur privé pour les haut fonctionnaires et les salaires trop bas dans la fonction publique, Complément d’enquête, France 2, 6 juin 2021

Références musicales

Chanson des fonctionnaires – Christine Charbonneau

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