Aller au contenu principal

RÉPUBLIQUE GÉNÉREUSE

NOUS VOUS PROPOSONS TROIS ARTICLES :

  • Piston – Bourguignon, Parly, Montchalin,… Ces anciens ministres recasés par Macron
  • Jean Castex va cumuler quatre casquettes pour maintenir son salaire
  • Le pouvoir de nomination de l’Executif sous la Ve République

ARTICLE 1

Piston – Bourguignon, Parly, Montchalin,… Ces anciens ministres recasés par Macron

Par Lou Fritel Publié le 31/08/2022 MARIANNE

Bourguignon, Parly, Montchalin,… Ces anciens ministres recasés par Macron

Ils ont bénéficié d’un coup de pouce présidentiel pour leur reconversion, suscitant souvent l’ire des administrations et entreprises concernées. Qui sont ces ex du gouvernement ? « Marianne » a en a sélectionné quelques-uns aux promotions… édifiantes.

Le chômage n’aura pas été de longue durée. Après sa défaite sur le fil aux législatives, l’éphémère ministre de la Santé d’Élisabeth Borne, Brigitte Bourguignon, prendra la tête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Un lot de consolation qui doit lui être accordé mercredi 31 août en Conseil des ministres, selon France Info. Une « promotion » qui s’inscrit dans une série de recasages opportuns pour les anciens membres des gouvernements nommés par Emmanuel Macron.

JEAN CASTEX

L’ancien Premier ministre jurait ne pas vouloir reprendre la tête du conseil municipal de Prades (Pyrénées-Orientales) dont il fut maire jusqu’à sa nomination au gouvernement. « Je vais continuer à m’investir au niveau national, mais pas dans le champ de la politique », annonçait-il à L’Indépendant fin mai.

Ses ambitions n’auront pas été longtemps bridées : sur proposition du gouvernement, Castex était officiellement recasé à la présidence de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, comme l’annonçait Le Journal officiel le 18 août. Un poste précédemment occupé par… Christophe Béchu, devenu ministre de la Transition écologique en remplacement d’Amélie de Montchalin dans le gouvernement Borne II.

AMÉLIE DE MONTCHALIN

À peine héritait-elle du ministère de la transition écologique qu’Amélie de Montchalin devait démissionner de ses fonctions après avoir été sèchement battue par Jérôme Guedj (PS-Nupes) aux législatives. Dès lors, que faire de cette techno diplômée d’HEC et membre du gouvernement depuis 2019 ?

À LIRE AUSSI : Amélie de Montchalin future ambassadrice ? Les rumeurs qui fâchent le Quai d’Orsay

Après que la rumeur d’une nomination à l’ambassade de France à Rome a hérissé le poil du corps diplomatique, l’ancienne ministre pourrait finalement obtenir un joli poste à Londres ou Madrid… profitant ainsi d’une réforme des grands corps qu’elle a elle-même pilotée, suscitant l’ire du Quai d’Orsay comme le révélait Marianne mi-juillet.

EMMANUELLE WARGON

Certaines défaites ont bon goût. Après avoir, elle aussi, été laminée aux législatives, Emmanuelle Wargon effectuera sa rentrée à la tête de la technique Commission de régulation de l’énergie (CRE), l’autorité administrative indépendante chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie. Un poste particulièrement stratégique en ces temps de grandes tensions.

Ce « repêchage » n’est pas passé comme une lettre à la poste. Comme nous le racontions dans nos colonnes, à l’issue de son audition devant les Commissions des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée nationale, Emmanuelle Wargon avait vu une majorité de parlementaires s’opposer à sa nomination : 48 élus contre et 43 pour. Sauf que, dans cette situation, la Constitution stipule qu’« au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés » sont nécessaires pour s’opposer au choix du président de la République. Un succès en demi-teinte, donc.

FLORENCE PARLY

Retour à la case départ pour Florence Parly. Et quelle case ! Selon les informations de la Tribune, l’ancienne ministre des Armées, débarquée du gouvernement après la présidentielle, pourrait bien prendre la présidence – non exécutive – d’Air-France KLM. Une entreprise qu’elle connaît bien puisqu’elle fut directrice de la stratégie des investissements à la direction financière de la firme (2006-2009), directrice générale adjointe d’Air France Cargo (2009-2013), directrice générale adjointe de l’activité « Passage Point » à Point Orly et Escales France (2013-2014) et enfin membre du comité exécutif (2013-2014).

À LIRE AUSSI : Quand la ministre Florence Parly s’envolait d’Air France… avec un parachute de 675 000 euros

Là aussi les acteurs du milieu n’ont pas manqué de faire connaître leurs réticences. Sa candidature, soutenue par l’État (actionnaire à 28,6 %), inquiète notamment le syndicat des pilotes d’Air France (SPAF), qui argue notamment de son « funeste » bilan à Air France Cargo et « ne souhaite pas qu’Air France reste le placard doré de hauts fonctionnaires ».

Cette nomination devrait toutefois recevoir l’aval de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Car, si le portefeuille ministériel de Florence Parly n’était pas lié au groupe, ce n’est pas le cas de l’ancien poste de son époux, Martin Vial, qui vient seulement de quitter la tête de l’Agence des participations de l’État (APE), et représentait en cette qualité l’État au conseil d’administration d’Air France-KLM.

JEAN-MICHEL BLANQUER

Le retour de Jean-Michel Blanquer à ses ouailles universitaires n’a – en apparence – rien d’une promotion. Toutefois, la levée de boucliers, suscitée par sa nomination à l’enseignement en tant que professeur de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, a tout à voir avec un recasage déguisé. Après avoir été éjecté du gouvernement, puis défait aux législatives face au RN Thomas Ménagé, l’ex-ministre de l’Éducation nationale aurait bénéficié d’un traitement de faveur, à en croire un message aux enseignants adressé par le président de la faculté, Stéphane Braconnier.

À LIRE AUSSI : Jean-Michel Blanquer a-t-il bénéficié d’un passe-droit à l’université d’Assas (Paris-II) ?

« Il m’a été demandé, en effet, d’envisager la possibilité d’accueillir au sein de notre université l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer, agrégé de droit public en 1996 et spécialiste de droit constitutionnel et de droit public comparé », y expliquait-il, selon les informations de l’AFP. Si Stéphane Braconnier s’est ensuite empressé de démentir cette information dans un communiqué de presse, le mal était fait : « Il suffit qu’un ministre ait besoin d’un poste et on en trouve un, c’est scandaleux », dénonçait auprès de l’AFP Anne Roger, secrétaire générale du syndicat SNESUP-FSU.

AGNÈS BUZYN

Ils ont été formés aux frais de la République, ils ont occupé des postes clefs au sein des gouvernements et/ou des administrations, et ils s’en vont l…Lire plus

C’est qu’on l’oubliait presque. Ex-ministre de la Santé, candidate (très) malheureuse à la mairie de Paris, mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » et placée sous le statut de témoin assisté pour « abstention de combattre un sinistre » dans le cadre de la gestion de la pandémie de Covid-19… Agnès Buzyn a finalement su rebondir en intégrant, fin juillet, la Cour des comptes pour cinq ans non renouvelables. Sur décret présidentiel, cela va de soi.

  • Par Lou Fritel

ARTICLE 2

Jean Castex va cumuler quatre casquettes pour maintenir son salaire

L’ancien Premier ministre va réintégrer la Cour des comptes mais aussi prendre de nouvelles fonctions. Une reconversion qui devrait lui assurer un train de vie proche de celui dont il bénéficiait à Matignon.

Par Barthélémy Philippe Journaliste politique Publié le 29/07/2022 CAPITAL

Depuis son départ de Matignon, Jean Castex endosse à nouveau le costume de M. Tout le monde, dont il s’était délesté le temps de son bail rue de Varenne. Au point que la presse s’esbaudit devant la simplicité de l’ancien Premier ministre, qui fait lui-même ses courses et accepte volontiers les selfies avec les passants. L’ancien maire de Prades (Pyrénées-Orientales), qui vit désormais à Paris avec sa famille, a même renoncé à la totalité des avantages accordés aux ex de Matignon, à l’exception d’un secrétaire particulier – que l’Etat emploie à mi-temps – pour gérer les dossiers liés à son ancienne fonction. Comme l’a révélé le JDD, Jean Castex n’a en revanche ni chauffeur, ni voiture de fonction, ni garde du corps. Alors, il prend le train et le métro, se pâme France Inter, qui note également que l’ancien Premier ministre va présider, à titre bénévole, la Fondation Agir contre l’exclusion (FACE).

Comme la popularité médiatique n’est pas convertible en espèces sonnantes et trébuchantes, il a néanmoins bien fallu que l’ancien chef du gouvernement songe à un nouveau moyen de gagner sa vie. Car contrairement aux présidents de la République, qui jouissent d’une retraite à vie après avoir quitté l’Elysée, les Premiers ministres ne conservent leur traitement (15.000 euros brut) que pendant trois mois. Heureusement, pour Jean Castex, la question de la reconversion n’a pas viré au casse-tête.

Dès la fin du mois d’août, ce haut-fonctionnaire, diplômé de l’ENA en 1991, va retrouver son corps d’origine, la Cour des comptes, comme l’institution l’a confirmé à Capital. Après avoir exercé pendant 16 ans (1991-2008) au sein de la prestigieuse maison en début de carrière, il dispose du grade de conseiller maître, le plus élevé pour un magistrat financier. En conséquence, son traitement devrait approcher les 9.250 euros par mois, somme que le site de la Cour des comptes présente comme la rémunération moyenne nette mensuelle pour un conseiller maître en fin de carrière.

En parallèle de ce retour aux sources, Jean Castex va lier l’utile à l’agréable, en l’occurrence, sa passion pour les transports, et le rail en particulier. Emmanuel Macron vient en effet de le nommer président de l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF), où il succède à Christophe Béchu, nouveau ministre de la Transition écologique.

À la tête de cet organisme qui finance notamment des projets d’ampleur dans le domaine du transport ferroviaire et les infrastructures routières, il percevra une rémunération légèrement supérieure à 3.000 euros nets mensuels, comme on peut le vérifier en consultant la déclaration d’intérêts à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) de son prédécesseur, Christophe Béchu.

Enfin, la HATVP, qui contrôle les reconversions des membres du gouvernement, vient d’autoriser Jean Castex à créer une micro-entreprise dans le but de donner des conférences rémunérées et participer à des séminaires d’entreprises ou des think tank.

Il a également reçu l’aval de l’institution pour exercer une mission de conseil salariée auprès du PDG de la SAS Idverde, une entreprise paysagiste qui se présente comme le leader européen de la création et de l’entretien d’espaces verts. Ses interventions “très ponctuelles”, comme l’a précisé son entourage à l’AFP, seront rémunérées environ 1.500 euros par mois, affirme l’Indépendant.

Pour rappel, Jean Castex avait consenti à un sacrifice financier lors de sa nomination au poste de Premier ministre, à l’été 2020, en abandonnant ses activités précédentes, qui lui permettaient d’émarger à environ 200.000 euros par an.

ARTICLE 3

Le pouvoir de nomination de l’Executif sous la Ve République

Benoît Montay JUS POLITICUM

Derrière le « pouvoir de nomination » conféré à  l’Exécutif se cache une réalité infiniment plus complexe : simple entérinement (pouvoir formel de nomination) ou capacité concrète de suggérer un nom, de désigner une personne (pouvoir substantiel de nomination), ce pouvoir peut aussi, en bien des cas, se révéler purement discrétionnaire. Or, la répartition de ces compétences au sein de l’Exécutif est loin d’être évidente : entre l’analyse juridique (déconcentration de ce pouvoir au profit des autorités subordonnées) et l’analyse politique (possibilité pour la dyarchie de s’arroger un pouvoir substantiel de nomination), seul le pouvoir d’évocation du président de la République offre une clé de répartition valable. Cette répartition n’est pourtant pas anodine car au pouvoir de nomination sont attachées d’importantes fonctions juridiques ou politiques, si bien que le posséder, c’est exercer, semble-t-il, un véritable pouvoir de patronage.

Le pouvoir de nomination de l’Exécutif sous la Ve République

De la compétence liée au pouvoir de patronage

Mémoire de droit public approfondi sous la direction du Professeur Olivier Beaud

Sommaire

Introduction (p. 3)

Partie I. Un pouvoir à  géométrie variable aux mains de l’Exécutif (p. 4)

Chapitre 1. La pluralité des actes de nomination (p. 4)

Section 1. Des conditions de fond et de forme variables

Section 2. Des contrôles a priori et a posteriori non homogènes

Chapitre 2. Les pouvoirs de nomination : une échelle de la discrétion (p. 6)

Section 1. La nomination comme compétence liée

Section 2. La nomination comme pouvoir discrétionnaire

Conclusion de la première partie

Partie II. La clé de répartition des compétences de nomination : le pouvoir d’évocation du président (p. 8)

Chapitre 1. La déconcentration juridique du pouvoir de nomination au sein de l’Exécutif (p. 8)

Section 1. La prérogative présidentielle : des nominations de qualité

Section 2. La prérogative gouvernementale : des nominations en quantité

Chapitre 2. La concentration politique des pouvoirs au profit de la dyarchie (p. 10)

Section 1. La captation des pouvoirs de nomination par la dyarchie

Section 2. La question de la cohabitation : la bataille de la nomination

Conclusion de la deuxième partie

Partie III. Les fonctions de la nomination : pouvoir de patronage et magistrature d’influence (p. 12)

Chapitre 1. Les fonctions juridiques liées au pouvoir de nomination (p. 12)

Section 1. L’exercice des fonctions traditionnelles de la nomination

Section 2. L’exercice matériel des autres fonctions juridiques

Chapitre 2. Les fonctions politiques liées au pouvoir de nomination (p. 14)

Section 1. L’appréhension politique du pouvoir de nomination

Section 2. La constitution d’un réseau de notabilité

Conclusion de la troisième partie

Conclusion (p. 16)

Bibliographie (p. 17)

1. Ouvrages généraux

2. Ouvrages spécialisés

3. Articles et mélanges

Remerciements

Tous mes remerciements s’adressent en premier lieu au Pr Beaud qui, après avoir jugé les travaux de l’apprenti philosophe, a eu l’extrême amabilité de diriger, avec une aide précieuse et un soutien salutaire, ceux de l’apprenti juriste. J’espère que ces recherches ne décevront pas leur directeur : si les conclusions peuvent paraître triviales à  certains – les finalités du pouvoir de nomination se devinent presque intuitivement – peu d’auteurs les affirment avec précision, moins encore les justifient juridiquement. On verra peut-être, à  la lecture de ces quelques pages, que la nomination est pourtant un outil institutionnel complexe, essentiel à  la compréhension de ce qu’est un « Exécutif », dont l’essence parfois échappe à  qui regarde de manière trop positive les textes.

Que soit également remercié Julien Brocard pour son soutien intellectuel indéfectible. Je tâcherai de ne plus éprouver, par un nouveau mémoire, son sens monomotapien de l’amitié : après l’histoire et la philosophie qui lui sont si naturelles, sa maîtrise forcée du droit a achevé de me convaincre de la grandeur de l’ami et de l’honnêteté de l’homme.

Enfin, je tiens à  remercier le Pr Rials de m’avoir donné, par la philosophie, le goût du droit et la possibilité de l’étudier. Mes travaux les moins mauvais lui devront toujours ce qu’ils ont de meilleur, à  lui et au kairos que fut pour moi notre rencontre.

Cardin Le Bret, De la souveraineté du roi, II, 1

Introduction

Mode de désignation des hommes du conseil d’Alexandre le Grand, moyen d’investiture persistant même sous la République romaine, instrument de la stratégie des magistratures à  l’époque impériale [1] et procédé évidemment au cœur de l’administration d’Ancien Régime [2], la nomination représente une des prérogatives essentielles de tout « Exécutif », au point que nous pourrions dire avec Talleyrand que « l’art de mettre les hommes à  leur place est le premier, peut-être, dans la science du gouvernement [3] ».

Cette prérogative royale, théorisée par Pufendorf comme une des partes potentiales summi imperii [4], a été transmise, par-delà  la Révolution française, au nouveau régime constitutionnalisé en 1791 et, avec lui, de proche en proche, à  la Ve République. Mais si, à  ses origines, le pouvoir de nomination échu à  l’Exécutif royal se cantonnait à  la désignation des ministres, des ambassadeurs, du personnel militaire en proportion limitée et à  celui de quelques emplois administratifs choisis [5], la formule retenue par la Constitution du 4 octobre 1958, notamment aux articles 13 et 21, semble consacrer une certaine extension du pouvoir de nomination de l’Exécutif : le président de la République et, sous réserve des dispositions le concernant, le Premier ministre nommeraient « aux emplois civils et militaires » de l’État. Formulation aussi vaste que laconique qui révèle autant la grande latitude confiée aux titulaires du pouvoir qu’elle cache l’extrême complexité du régime juridique de la nomination [6]. Or, à  mesure que s’est déployée cette prérogative importante, de 1791 à  nos jours, il semblerait que les études la concernant se sont, dans un mouvement inverse, raréfiées, reléguant aux administrativistes, et notamment aux spécialistes de la fonction publique, le soin d’embrasser dans leur domaine propre cette question. Hormis certains points développés de façon restreinte dans des thèses de droit administratif parues sous la Ve République [7], le droit constitutionnel paraît avoir abandonné l’ambition de mener une réflexion d’ensemble sur la nomination au profit d’études plus spécialisées, parues sous la forme d’articles, et ne traitant que d’aspects techniques particuliers, au gré des modes qu’impose l’actualité juridique. Il apparaît donc nécessaire, à  l’heure actuelle, d’établir une analyse précise de ce pouvoir, à  plus forte raison que la récente réforme constitutionnelle de 2008 a pu, en ajoutant un cinquième alinéa à  l’article 13 de la Constitution, en modifier quelque peu les objectifs [8].

Qu’est-ce que le « pouvoir de nomination » ?

La nomination, dans son acception juridique le plus générale, est « l’acte administratif par lequel l’autorité compétente désigne l’agent appelé à  occuper un emploi déterminé [9] ». Une telle définition appelle d’emblée des précisions concernant quatre variables fondamentales : l’autorité, l’acte, l’agent, l’emploi.

Premièrement, comme toute édiction d’acte juridique, la nomination est prise par une autorité en vertu d’un pouvoir, ou plutôt d’une compétence [10] que le constituant (ou, par délégation, le titulaire initial du pouvoir) lui a confiée. Dans le cadre de notre sujet, l’autorité dont il s’agit est l’« Exécutif » de la Ve République, que nous traiterons sous son aspect bicéphale en retenant pour notre étude les actes du président de la République, du Premier ministre et des ministres, qui exercent tour à  tour un pouvoir tantôt propre, tantôt partagé, de manière discrétionnaire ou de manière liée.

Deuxièmement, si l’exercice du pouvoir de nomination passe par l’édiction d’actes juridiques, il faut préciser que ces actes sont tous des actes de droit public : d’un point de vue formel, il s’agit d’actes administratifs unilatéraux ; d’un point de vue matériel, les actes de nominations sont des actes individuels et plus précisément des actes-conditions [11]. Toutefois, en tant qu’actes juridiques, les nominations répondent à  des exigences de fond et de forme variables qui, nous le verrons, s’adaptent selon la nature de l’agent et de l’emploi considérés.

Troisièmement, si le pouvoir de nomination vise à  investir un « agent » d’une fonction publique, cet « agent » ne semble pas appartenir à  une catégorie cohérente, invariante et générale (celle de personne physique, par exemple) : il peut être un fonctionnaire placé dans une situation légale et réglementaire, soumis aux différents statuts de la fonction publique, mais il peut également être une personne privée aux aptitudes précises, appartenant à  une classe d’âge déterminée.

Quatrièmement enfin, les emplois qui font l’objet du pouvoir de nomination, s’ils peuvent se comprendre lato sensu comme des « fonctions publiques [12] », ne sont, pas plus que les « agents », une constante de notre définition : certains emplois pourvus par nomination seront purement administratifs, d’autres seront des emplois politiques, ces deux catégories pouvant encore se trouver complétées par une troisième, celle des emplois supérieurs [13]. En outre, ces trois catégories n’épuisent pas la signification de l’« emploi » qui fait l’objet du pouvoir de nomination : il peut tout aussi bien s’agir d’une promotion (nomination à  un grade ou à  un échelon) ou encore d’une nomination dans un ordre honorifique. Bien que notre étude se concentre essentiellement sur les nominations qui prennent pour fondement constitutionnel l’article 13 de la Constitution et ses retombées organiques, nous évoquerons nécessairement, à  des fins de comparaison, les autres procédures de nomination.

Une première approche définitoire du pouvoir de nomination nous le présente donc comme une large équation à  multiples inconnues (les quatre précédentes ne sont que les variables fondamentales sur lesquelles, au cours du développement, d’autres viendront s’ajouter).

La complexité du régime actuel

Dans ces conditions, établir précisément le régime du pouvoir de nomination qui a cours sous la Ve République relève de la gageure, et un bref panorama de ce régime, en fonction des autorités de l’Exécutif et des différents degrés de norme, pourrait le confirmer.

En effet, à  l’échelle constitutionnelle, les prérogatives de nomination du président de la République se divisent entre les articles 8 (nomination du Premier ministre), 13 (nominations aux emplois civils et militaires de l’État et nominations en Conseil des ministres), 56 (nomination des membres du Conseil constitutionnel), 65 (nomination de personnalités qualifiées au Conseil supérieur de la magistrature) et 71-1 (nomination du Défenseur des droits). À l’échelle organique, l’ordonnance du 28 novembre 1958 [14] complète par son article 1er la liste des emplois de l’article 13 de la Constitution pourvus par décret en Conseil des ministres, tandis que son article 2 fixe une liste d’emplois pourvus par décret simple. Des mesures contenues dans le décret du 29 avril 1959 [15] (modifié à  de nombreuses reprises) viennent parfaire le régime réglementaire du pouvoir de nomination du président de la République : l’annexe du décret complète la liste des emplois de direction pourvus par décret en Conseil des ministres et visés à  l’article 1er de l’ordonnance de 1958. Enfin, pour achever ce réseau de normes encadrant le pouvoir de nomination du chef de l’État, il serait nécessaire de prendre en compte les innombrables dispositions législatives qui, au cas par cas, encadrent l’exercice de cette prérogative [16].

S’il semble que, au niveau constitutionnel, le Premier ministre soit titulaire d’un pouvoir propre de nomination, qu’il exercerait sur le fondement de l’article 21 (alinéa 1er), il apparaît en revanche que la combinaison de l’alinéa 4 de l’article 13 de la Constitution de 1958 avec l’article 3 de l’ordonnance organique du 28 novembre 1958 précédemment citée réduit ce pouvoir à  une simple compétence déléguée : une compétence d’attribution ; la disposition constitutionnelle précise en effet qu’« une loi organique détermine […] les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom » et l’article 3 de l’ordonnance organique susvisée dispose que « l’exercice du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires de l’État autres que ceux [réservés au chef de l’État] peut être délégué au Premier ministre par décret du président de la République ». À supposer que le Premier ministre exerce sa prérogative de nomination sous réserve de ces dispositions (selon l’article 21 de la Constitution), force est donc d’admettre avec la majorité de la doctrine que la compétence de principe revient au président de la République [17]. Or, étant donné qu’aucun décret général portant application de l’article 3 de l’ordonnance organique de 1958 n’a été pris et que les décrets particuliers de délégation sont extrêmement rares [18], le Premier ministre ne possède en réalité qu’un faible pouvoir qu’il exerce soit par décret pour les nominations ne concernant pas les emplois publics [19], soit, comme membre du gouvernement, par arrêté, pour des emplois que nous allons préciser ci-après avec le régime de la prérogative ministérielle de nomination.

Il serait difficile de reprocher à  la littérature constitutionnelle d’être oublieuse des ministres lors même que la Constitution les évoque relativement peu, au nom peut-être de la collégialité de l’organe « gouvernement ». Néanmoins, absent du degré constitutionnel des normes, le pouvoir de nomination des ministres ne l’est pas au niveau organique et semble trouver un fondement dans l’article 4 de l’ordonnance du 28 novembre 1958 qui dispose que, pour des raisons de « simplification ou de déconcentration administratives », le pouvoir de nomination peut être confié « aux ministres ou aux autorités subordonnées » : tous les fonctionnaires de l’État, autres que ceux nommés par voie de décret présidentiel (simple ou en Conseil des ministres), sont nommés par arrêté de leur ministre de tutelle [20]. À ces nominations s’ajoutent évidemment, pour les ministres comme pour le Premier ministre, celles de leur cabinet respectif, nominations particulières que nous traiterons plus en détail au cours de notre développement. Enfin, des dispositions législatives et réglementaires viennent enrichir le régime juridique du pouvoir de nomination du gouvernement : l’article 25 du titre II du statut général des fonctionnaires [21] prévoit qu’« un décret en Conseil d’État détermine, pour chaque administration et service, les emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à  la décision du gouvernement ». Ce décret a été pris le 24 juillet 1985 [22] et fixe une liste non limitative [23] de ces emplois laissés, selon le terme du statut des fonctionnaires, à  la « décision » du gouvernement, lequel terme « étant pratiquement synonyme de “discrétion” [24] ».

Sans entrer plus avant dans la complexité de la nomination (il s’agissait simplement de mettre au jour l’architecture « brute » de son régime juridique qui est un prérequis nécessaire à  notre étude), nous voyons que le réseau de normes l’encadrant compose un écheveau presque inextricable que la doctrine n’a que partiellement démêlé.

L’état de la doctrine

À considérer la production parue sous la Ve République, une des élucidations majeures de la doctrine aboutirait au constat d’un double divorce : celui entre la théorie de la nomination et la pratique observée, et celui entre l’analyse juridique du pouvoir de nomination et son analyse politique.

On n’a pas manqué ainsi de remarquer que si le constituant de 1958 avait cherché à  équilibrer la prérogative de nomination au sein du couple formé par le chef de l’État et le chef du gouvernement [25], ce pouvoir était resté en théorie (faute, entre autres, de décret portant application de l’article 3 de l’ordonnance organique du 28 novembre 1958) l’apanage du président de la République, ressuscitant ainsi la formule de l’article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 [26]. En matière de nomination cependant, la pratique constitutionnelle, loin d’abaisser la Ve au rang de pâle copie de la IIIe République, semble plutôt faire renouer celle-là  avec la IVe République [27] en laissant au chef de l’État le soin de nommer aux emplois les plus importants par voie de décret et au Gouvernement le soin de nommer au reste des emplois par voie d’arrêté [28]. À ce divorce entre la théorie et la pratique correspond un autre divorce, entre le juridique et le politique.

Dans son projet de réduire le réel à  des catégories juridiques, le droit échoue parfois à  bâtir un monde de la norme qui ne soit pas, au regard du monde réel, qu’un monde fantasmé. En ce sens, si les auteurs ont souligné que la pratique juridique du pouvoir de nomination permettait une répartition des compétences au sein de l’Exécutif, il ne leur a pas échappé que d’un point de vue politique cette répartition s’annulait d’elle-même en cas de fait majoritaire et s’altérait en cas de cohabitation. Les jeux d’influence politique font que le titulaire du pouvoir de nomination n’exercera que juridiquement sa prérogative mais qu’elle sera matériellement le choix d’un supérieur politique : tel ministre nommera son directeur de cabinet de manière discrétionnaire sur le plan juridique, mais entérinera en réalité la proposition du président de la République, haussé au rang de titulaire matériel du pouvoir de nomination.

Ces deux divorces invitent donc à  éprouver la théorie du pouvoir de nomination à  l’aune d’une analyse pratique et concrète. Que dire en effet d’un pouvoir qui recouvre tout aussi bien la nomination d’un professeur d’université par décret du président de la République, lequel est pris, sans grande marge de manœuvre [29], conformément aux délibérations d’un jury d’agrégation, la nomination purement discrétionnaire ou purement liée d’un conseiller technique par voie d’arrêté ministériel, ou celle encore du Premier ministre par voie de décret présidentiel, lequel ferait partie de la catégorie la plus politique des actes juridiques, celle des actes insusceptibles de recours, des actes de gouvernement ?

L’hypothèse, la méthode et le système

Face à  cet état de la doctrine, le point de départ de toute analyse actuelle du pouvoir de nomination ne pourrait être que la conclusion de ceux-là  mêmes qui l’ont étudié avant nous. Et les derniers mots de Philippe Yolka dans son article de 1999 sonnent comme une incitation à  la recherche : « Il faudrait peut-être davantage parler des pouvoirs de nomination que du pouvoir de nomination [30]. »

Prenant au pied de la lettre ces quelques mots, nous allons ainsi montrer que le pouvoir de nomination, rare « pouvoir » à  être mentionné dans la Constitution de 1958 [31], n’existe pas en tant que tel mais recoupe en réalité un processus complexe dans lequel se rencontrent ou s’opposent différentes volontés, décisions, compétences. C’est ce processus qu’il s’agirait justement de mettre au jour. Pour ce faire, pour qu’au divorce constaté succède l’union de la théorie et de la pratique, du juridique et du politique, il est nécessaire d’apporter quelques précisions méthodologiques.

Si tout pouvoir permet à  une autorité d’édicter des actes juridiques, comme l’acte de nomination, il est essentiel d’adopter le critère matériel pour dresser une analyse complète des actes édictés dans l’exercice du pouvoir de nomination. Une telle analyse implique par conséquent de raisonner d’abord en administrativiste, mais en administrativiste quelque peu mathématicien, qui sache extraire de son étude une équation de l’acte de nomination en fonction de différentes variables : un tel acte est fonction de son auteur, de son éventuel coauteur, des conditions de fond et de forme qui lui sont attachées, des procédures de contrôle a priori (les éventuels avis), mais aussi des procédures de contrôle a posteriori (le régime contentieux de l’acte), pour ne donner que quelques exemples saillants.

Pour autant, cette analyse de l’acte de nomination n’a d’intérêt que si elle se met au service d’une compréhension plus large du pouvoir de nomination lui-même, en regroupant certains actes au sein de catégories qui correspondraient aux compétences réunies sous l’appellation « pouvoir de nomination » : des actes sur lesquels ne pèse aucune contrainte juridique témoigneront d’un pouvoir pur de nomination ; à  l’inverse, des actes trop juridiquement encadrés trahiront une simple compétence d’entérinement. C’est donc en constitutionnaliste qu’il faut ensuite penser l’étendue de cette prérogative pour essayer de dépasser l’opposition stérile entre « pouvoir discrétionnaire » et « compétence liée » et essayer d’organiser, en adoptant le critère organique, ces diverses compétences au sein des autorités composant l’Exécutif : le jeu politique fera, par exemple, que le pouvoir pur de nomination d’un ministre sera réduit à  un pouvoir de suggestion ou, au contraire, il élargira le pouvoir d’entérinement du président de la République à  un pouvoir de désignation. On l’aura compris, « la question consiste donc plus à  savoir qui dispose de la faculté de choisir que du pouvoir de nommer au sens formel [32] ». Le travail commun du constitutionnaliste et de l’administrativiste permettra d’aboutir à  un système dans lequel la typologie des pouvoirs sera fonction d’une typologie des actes, elle-même fonction de plusieurs variables. Ce premier travail dévoilera les différents outils qu’utilise l’Exécutif, outils répartis de manière variable selon le contexte politique (fait majoritaire ou cohabitation) et la personnalité des titulaires (notamment le président de la République et le Premier ministre) : la nomination classique d’un fonctionnaire, le tour extérieur, le parlementaire en mission, la nomination dans un ordre honorifique, l’emploi à  la décision du gouvernement, l’entreprise publique, l’emploi de cabinet, etc.

Mais cette mécanique constitutionnelle serait assez aride si le constitutionnaliste ne replaçait pas ce système du pouvoir de nomination dans le contexte plus large de la pensée politique. En effet, si le constituant octroie un pouvoir à  une autorité, ce n’est pas dans un but autotélique d’édiction d’actes juridiques, qui ne sont eux que les moyens pour parvenir à  des fins [33]. En droit constitutionnel, les fins d’un pouvoir donné sont les fonctions qui lui sont attachées [34] ; il apparaît donc impératif, pour saisir la totalité du pouvoir de nomination, d’adopter le critère fonctionnel. Dès lors, la question tout essentielle à  poser est la suivante : à  quoi sert institutionnellement le pouvoir de nomination confié à  l’Exécutif ? à  quelles fins celui-ci utilise-t-il les différents outils que l’étude précédente aura dénombrés ?

Il est évident d’abord que le pouvoir de nomination répond aux exigences de certaines fonctions administratives ou gouvernementales : disposer de l’administration et de la force armée, selon l’article 20 de la Constitution, c’est avant tout nommer des directeurs d’administrations centrales ou des généraux. Mais nous verrons que le pouvoir de nomination intéresse d’autres fonctions, juridiques ou politiques, si bien qu’il apparaît avant tout comme un pouvoir multifonctionnel.

En somme, nous montrerons que loin d’être un pouvoir cohérent et homogène, le pouvoir de nomination regroupe différentes compétences réparties au sein de l’Exécutif selon des dispositions juridiques que module le pouvoir d’évocation du président de la République, ces nominations lui permettant, par l’élaboration de réseaux d’influence, d’accomplir de nombreuses fonctions touchant à  tous les secteurs d’activité de la société. Sous ses aspects tant politiques que juridiques, le pouvoir de nomination apparaîtra alors comme le moyen privilégié d’une magistrature d’influence qui, conjuguée à  la puissance constitutionnelle de l’Exécutif sous la Ve République, en fait un véritable « pouvoir de patronage ».

Le plan

Ainsi, l’expérience empirique (c’est-à -dire une analyse matérielle des actes produits dans l’exercice du pouvoir de nomination) donne tout d’abord du pouvoir de nomination l’image d’un pouvoir à  géométrie variable aux mains de l’Exécutif (Partie I), recouvrant un ensemble de compétences s’échelonnant du pouvoir de nomination discrétionnaire au pouvoir de nomination formel (compétence liée). Cette approche théorique appelle d’emblée une mise en œuvre pratique dont l’analyse permet de déceler la clé de répartition de ces compétences au sein de l’Exécutif (Partie II) : en droit, le pouvoir de nomination est déconcentré afin de confier aux ministres de larges prérogatives ; en fait, les diverses compétences de nomination sont concentrées au profit du président de la République (non sans batailles en cas de cohabitation), par le jeu du pouvoir d’évocation. Cette double vue du pouvoir de nomination (théorique et pratique) dévoile, comme nous l’avons dit, un nombre élevé d’outils (la nomination régulière, l’emploi de cabinet, le tour extérieur, l’emploi à  la discrétion, etc.), outils qui peuvent avoir différentes finalités, que révèle une analyse fonctionnelle. Cette analyse permet de montrer que la nomination est un pouvoir de patronage (Partie III) grâce auquel l’Exécutif (et essentiellement le président de la République) exerce non seulement des fonctions juridiques classiques, mais aussi diverses fonctions politiques.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.