
METAHODOS A DÉJÀ TRAITÉ DE CE SUJET ET PROPOSE DEUX ARTICLES RÉCENTS :
– L’affaire du fonds Marianne, la honte de la démocratie française
– Fonds Marianne : où en sont les diverses enquêtes ?
1. ARTICLE
L’affaire du fonds Marianne, la honte de la démocratie française
Gaël Brustier — Édité par Diane Francès — 20 juin 2023
Les auditions du fonds Marianne font découvrir un pan inavoué de notre vie politique fait d’amateurisme, de connivence et d’autofiction.
La semaine du 15 juin 2023 aura révélé de multiples manières aux Français la plongée vers les abysses de leur vie politique nationale. Outre la sordide affaire de Saint-Étienne qui a vu un groupe de dangereux «bras cassés» faire du chantage et terroriser un élu notoirement respectable, les auditions de la commission sénatoriale consacrée au fonds Marianne ont mis à jour un gisement d’incompétence et d’inconséquence rarement égalé dans notre vie politique. Faut-il se réjouir néanmoins et en définitive du fait que le sordide soit moins répandu que l’incompétence?
Dans un cas, il semble que les acteurs se croient dans une série télévisée politique américaine à la stéphanoise. Dans l’autre, on se prend à croire qu’on va lutter contre le «séparatisme» sur les réseaux sociaux. Ce serait drôle si, par son irréalisme, ce songe ne revêtait pas une véritable dimension de gravité. La commission sénatoriale sur l’affaire Benalla avait rappelé les précautions qu’un exécutif doit prendre dans le choix de ses collaborateurs de cabinet, celle sur le fonds Marianne, dans le choix de ses ministres.
Un foisonnement de coteries
Rappelons que le fonds Marianne a été créé en réaction à l’assassinat de Samuel Paty, au terme d’un processus menant quasi inéluctablement au meurtre, par un auto-conditionnement du bourreau et de ses commanditaires. Le sujet n’est pas mince. Un homme est mort. Une famille dans le deuil. Un pays sous le choc.
On peut deviner le désarroi du politique face à ce drame. Il est compréhensible. Cependant, la gravité de l’événement obligeait le pouvoir. Il se devait d’être à la hauteur. Or, on peut se demander s’il l’a été. Le sentiment est que l’on est amené à répondre par la négative.
Comme beaucoup de grandes causes, bonnes ou mauvaises, on voit se développer un jeu de coteries, une concurrence des réseaux et une exacerbation de ces conflits par les réseaux sociaux, devenus le seul espace d’existence de la plupart des acteurs de notre vie publique et notamment de ceux du fonds Marianne.
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Trop et trop peu: un fonds inefficace et phagocyté
La première question relative au fonds Marianne est celle de son volume. Dans un pays de 66 millions d’habitants, lutter contre «la haine en ligne» demande quelques moyens. Pour lancer sa dernière application, la SNCF a déboursé 25 millions d’euros. Pour lutter contre la radicalisation et la haine en ligne, le fameux fonds Marianne était doté de 2,5 millions d’euros.
Il suffit de comparer ce montant à celui d’un festival de musique d’envergure nationale sur deux ou trois jours pour comprendre que ce chiffre a été décidé vraisemblablement au hasard ou presque. À l’œil nu, on voit que c’est trop peu pour atteindre les buts affichés et en écoutant les sessions de la commission sénatoriale, que c’est trop pour ne pas attirer les convoitises.
À ce montant, parcellisé, le budget du fonds Marianne était incapable de permettre d’atteindre son but –«lutter contre le séparatisme»– mais ne pouvait qu’être absorbé par les frais de fonctionnement des organisations sélectionnées. Nonobstant le vrai travail de vraies associations, il y avait d’entrée de jeu un décalage entre les buts affichés, les moyens alloués et leur destination de fait.
L’insoutenable légèreté du ministère
Au fil des révélations, on s’aperçoit qu’il est plus difficile d’obtenir 5.000 euros d’un conseil départemental ou régional pour un projet sérieux et cadré que 350.000 du fonds Marianne sur la base de dossiers qui seraient assez légers, si l’on suit les auditions.
Dans le domaine de la «laïcité», du «séparatisme», de la «radicalisation», les expertises revendiquées oscillent entre vacuité totale et excellence, incompétence et incontestable savoir-faire, fantasme et réalisme. À l’évidence, la volonté gouvernementale s’est échouée sur les récifs de la multitude de chapelles, plus promptes à polémiquer sur Twitter qu’à se faire une idée cohérente de la réalité de la société française. On cherche des hussards noirs de la République 2.0, on a trouvé une camarilla d’influenceurs. La certitude est que la ministre n’était pas préparée à affronter les subtilités de ce milieu.
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À l’œil nu encore, on retrouve dans le fonds Marianne une galaxie hors sol qui n’existe que dans la confrontation et le clash sur Twitter et qui, de cette incontestable expertise dans la chasse à l’homme sur ce réseau social, tire motif à revendiquer une expertise. L’absence de jugement sur eux-mêmes de ces acteurs de l’affaire, l’absence de discernement de l’exécutif, l’incapacité de la ministre à appréhender ce qu’est le rôle d’un ministre, la manifeste piètre capacité de jugement à son endroit par ceux qui l’ont nommée font du fonds Marianne un véritable showroom de l’incompétence en politique.
L’idéologie et l’intérêt, le fantasme et la cupidité a fortiori, ne sont pas antinomiques. Il y a, par exemple, dans l’éviction de SOS Racisme, un aveu en creux: celui de la recherche d’une compatibilité des autres organisations avec la ministre, sinon a fortiori d’une promesse au moins implicite de «retour d’ascenseur». De même, les continuelles escarmouches sur Twitter entre détracteurs virulents et partisans de la ligne de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, étaient-elles comprises dans le «kit» d’opposant au «séparatisme»? La légèreté est gênante…
Tout semble osciller entre naïveté, amateurisme ou incompétence, connivence et un brin d’autofiction. En ce sens, le fonds Marianne apparaît comme un précipité ou un miroir grossissant de notre vie publiqueet de l’action politique dans notre pays.
2. ARTICLE
Fonds Marianne : où en sont les diverses enquêtes ?
Anaïs Condomines LIBÉRATION 22 06 2023
L’affaire dite du fonds Marianne a occasionné l’ouverture, ces derniers mois, de trois enquêtes de nature différente. Toutes ont pour objectif de faire la lumière sur la gestion du dispositif lancé en 2021 en grande pompe par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, dans le sillage de l’assassinat de Samuel Paty – et les conditions d’attribution de subventions aux associations lauréates. Parmi ces structures, celles qui ont bénéficié des plus grosses subventions, respectivement de 355 000 et de 330 000 euros, cristallisent particulièrement les soupçons : l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), d’abord, gérée par le controversé Mohamed Sifaoui, et Reconstruire le commun, ensuite, accusée notamment par Mediapart d’avoir produit des contenus politiques ciblant l’opposition (après visionnage parCheckNews de l’intégralité du contenu politique produit par Reconstruire le commun, il apparaît que des membres de la majorité sont également moqués, même si une certaine gauche demeure particulièrement visée).
Le 4 mai, le parquet national financier (PNF) a ouvert une information judiciaire pour «détournement de fonds publics par négligence», «abus de confiance» et«prise illégale d’intérêts». Dans le cadre de cette procédure, plusieurs perquisitions ont été menées le 13 juin, aux domiciles des cogérants de l’USEPPM et du préfet Christian Gravel. Auprès de CheckNews, le PNF indique que cette information judiciaire, confiée à un juge d’instruction, est toujours en cours. Aucune date d’échéance n’a été communiquée.
Les protagonistes entendus
Les deux autres enquêtes en cours trouveront quant à elles un dénouement dans les semaines à venir. Il s’agit d’abord de la commission d’enquête sénatoriale sur le fonds Marianne, dont les diverses auditions ont récemment suscité de nombreux articles de presse. Les protagonistes de l’affaire ont ainsi été entendus par les sénateurs, de Mohamed Sifaoui au préfet Christian Gravel en passant par la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa. L’équipe parlementaire du président de la commission, Claude Raynal, indique à CheckNews qu’aucune autre audition n’est désormais prévue, la phase de rédaction du rapport étant à présent enclenchée. D’après nos informations, l’échéance de rendu est prévue avant le 13 juillet.
Un travail de rédaction en cours qui n’a pas empêché le rapporteur LR Jean-François Husson de s‘adresser à la presse au sujet de l’audition particulièrement scrutée de Marlène Schiappa. «Elle ne m’a pas convaincu», a-t-il déclaré dans une interview aux journaux du groupe Ebra, ajoutant que la secrétaire d’Etat s’était «mise en porte-à-faux à bien des égards»et «n’avait cessé de se défausser». Et de conclure : «A sa place je démissionnerais. Notre rapport conclura qu’elle ne dit pas la vérité.»
«Ni transparent, ni équitable»
Est enfin attendu un second volet du travail de l’Inspection générale de l’administration(IGA), saisie fin avril par l’actuelle secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès. Un premier rapport, remis le 31 mai, portait précisément sur la subvention accordée à l’USEPPM. Ses conclusions indiquent que «l’appel à projet n’a été ni transparent, ni équitable» et pointent «une défaillance dans l’organisation du service»ainsi qu’un «défaut de vigilance». Il a donné lieu à la démission du préfet Christian Gravel, mis en cause, mais a également précisé que la ministre Marlène Schiappa s’était «effacée du processus» une fois la phase de lancement passée. Ce qui a, depuis, été largement contredit dans les auditions menées au Sénat.
Le ministère de l’Intérieur assure qu’un «second rapport de l’IGA, qui sera remis à la fin du mois de juin, portera sur l’ensemble des associations bénéficiaires, et permettra d’avoir une vision globale de la responsabilité des différents protagonistes concernés par la gestion du fonds Marianne».