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LA CRISE ET LA DÉMOCRATIE : DES RELATIONS VITALES

ÉMISSION

La crise est-elle consubstantielle à la démocratie ?

Lundi 19 juin 2023 FRANCE CULTURE

La crise est-elle intrinsèque au régime démocratique ou bien menace-t-elle au contraire sa stabilité, comme dans les stáseis de la Grèce antique ?

Faut-il chercher à l’éliminer pour préserver l’harmonie politique ou est-elle indispensable au dynamisme démocratique, comme le suggère Claude Lefort ?

Avec

  • Christine Petrazoller docteur en histoire et chercheuse associée à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité (ISTA) de Besançon
  • Nicolas Poirier docteur en science politique de l’université Paris-Diderot, professeur de philosophie au lycée Jules Verne de Cergy
  • Jérôme Couillerot professeur de droit public à l’université Lyon III Jean-Moulin

Avec philosophie consacre cette série d’émissions à la notion de crise. Dans le premier épisode, Géraldine Muhlmann et ses invités se demandent si la crise est consubstantielle à la démocratie.

Le phénomène de stasis

La peur du désordre de la rue est sans doute aussi vieille que la démocratie. Ainsi, dans la Grèce antique, cette inquiétude était matérialisée par le terme de stasis, signifiant le chaos, la division. Comme le souligne l’historienne Christine Petrazoller, le mot est pourtant « un terme neutre ». De la racine grecque histêmi, il signifie tout d’abord « se tenir droit, se tenir debout ». Ce n’est finalement que dans le contexte de son emploi en politique que le terme prend une « connotation péjorative ». Il devient alors « synonyme de faction, sédition, division ». Objet des préoccupations des penseurs et philosophes grecs, la stasis représente alors une véritable crise, un soulèvement pouvant mener, dans les cas les plus extrêmes, à la « guerre civile ».

Clivage psychique, clivage politique

Claude Lefort caractérise la politique sur le modèle d’une conflictualité pensée comme interne au psychisme humain. En effet, explique Nicolas Poirier, le philosophe montre que « le social est originairement divisé, de même que le sujet humain est psychologiquement divisé, sur la base d’un clivage originel inconscient qui le sépare de lui-même ». Lefort affirme ainsi la nécessité, propre à toute société démocratique, d’« assumer son caractère de division ». En effet, « fantasmer sur le possible dépassement de cette conflictualité » présente le « risque de sombrer dans le totalitarisme », de même que, pour le psychanalyste Jacques Lacan, le danger d’une personnalité close, ne s’identifiant qu’à elle-même, est de « tomber dans la psychose ».

Le lieu vide du pouvoir

Jérôme Couillerot explique que Claude Lefort, à l’inverse d’une majorité des juristes, récuse dans ses travaux « l’idée du pouvoir comme fonction, comme pouvoir instrumental, comme compétence ». Sa théorie du pouvoir est également fondée sur un constat : celui d’un peuple par nature « multiple » et « hétérogène ». De fait, il conçoit le pouvoir politique comme « un pouvoir qui n’est pas plein », c’est-à-dire qui ne possède pas de « compétence instrumentale ». Il est en ce sens « plus proche de l’auctoritas latine que de la potestas ». Mais le pouvoir possède en même temps « une dimension symbolique ». Ainsi, il est une « émanation de ce qui resterait, de façon dynamique, du débat public perpétuel que ce pouvoir prend en charge ».

Christine Petrazoller, docteur en histoire et chercheuse associée à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité (ISTA) de Besançon. Elle est l’auteur d’une thèse soutenue en 2020 à l’UFC de Besançon, sous la direction de Guy Labarre, intitulée La stasis dans les cités grecques du IVe au Ier siècle avant J.-C.

Elle a notamment publié :

Nicolas Poirier, docteur en science politique de l’université Paris-Diderot et professeur de philosophie au lycée Jules Verne de Cergy.

Il a notamment publié :

Jérôme Couillerot, professeur de droit public à l’université Lyon III Jean-Moulin et ancien professeur détaché à l’université St Joseph de Beyrouth (Liban). Il est notamment l’auteur d’une thèse de doctorat soutenue en 2017 à Paris II Panthéon-Assas, sous la direction de Olivier Beaud, intitulée Un régime de la liberté : la démocratie dans l’œuvre de Claude Lefort. Cette thèse articule les généalogies politiques et philosophiques de la pensée démocratique de Claude Lefort, un travail récompensé par le prix “Albert Viala” 2019 de l’Institut de France. Un ouvrage tiré de cette thématique est actuellement en préparation aux éditions Le Bord de l’Eau. Ses travaux actuels portent en particulier sur la généalogie des doctrines libérales américaines et la théorie générale de l’histoire des idées. Il est aussi membre du comité de rédaction de la revue Droit & Philosophie (éditions Dalloz).

Il a notamment co-dirigé :

  • Avec Elodie Djordjevic et Mélanie Plouviez, Marx et le droit, éditions Dalloz, collection “Les fondements du droit”, volume 10 de la revue Droit & Philosophie, 2019.

LIEN VERS L’ÉMISSION :

Références sonores

  • Archive de Robin Reda, député Renaissance dans la 7ème circonscription de l’Essonne, BFMTV, le 14 octobre 2022
  • Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait de Thucydide sur la stasis de Corcyre (volume III, 82), traduction d’Anne Sokolowski
  • Archive de Nicole Loraux, « Lundis de l’histoire » pour Les nuits de France culture, une émission présentée par Jacques Le Goff et produite par Albane Penaranda, le 27 juillet 1981
  • Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait de Nicole Loraux, La Cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, chapitre 4 « Le lien de la division », éditions Payot & Rivages, collection « Critique de la politique », 1997
  • Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait de Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531, publication posthume), livre 1, chapitre 17
  • Archive de Claude Lefort, À voix nue, France Culture, 1992
  • Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait de Claude Lefort, « Permanence du théologico-politique ? », dans le collectif Le Temps de la réflexion, éditions Gallimard, 1981, citations extraites des pages 27-29 (texte reproduit plus tard dans Claude Lefort, Essais sur le politique (XIXe-XXe siècles), éditions du Seuil, 1986)
  • Chanson de fin d’émission : U2, « Sunday Bloody Sunday », extrait de l’album War (1983)

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