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Émeutes/Banlieues (3) : pourquoi ça s’enflamme

VOIR NOS DEUX PRÉCÉDENTES PUBLICATIONS SUR CES ÉVÉNEMENTS :

« Pourquoi tout casser, tout détruire ? » POINT DE VUE. BANLIEUES (1) https://metahodos.fr/2023/06/30/pourquoi-tout-casser-tout-detruire-point-de-vue/

« FIN D’ASSIGNATION À RÉSIDENCE » QU’EST DEVENUE LA PROMESSE (17) ? RAPPEL DU BRUTAL TORPILLAGE DU PLAN BORLOO – BANLIEUES (2) https://metahodos.fr/2023/06/30/quest-devenue-la-promesse-15-de-la-fin-dassignation-a-residence-rappel-du-brutal-torpillage-du-plan-borloo/

DOSSIER VILLES DE METAHODOS : VOIR LIENS EN FIN D’ARTICLE

ARTICLE

Banlieues : pourquoi ça s’enflamme

Les problèmes des banlieues sont anciens. Ils mêlent à la fois sécurité, social et urbanisme. L’argent n’a rien fait. Les élus sont sans réponses. Que faire ?

Par Saïd Mahrane. Publié le 29/06/2023 LE POINT

Nous y sommes. Cette hypothèse tant redoutée s’accomplit sous nos yeux ébahis et noircis par la douleur de la mort d’un adolescent et par la colère d’émeutes urbaines qui désignent les policiers (tous) comme des assassins. Durant notre déjà longue carrière de journaliste, il nous est arrivé d’interroger des politiques sur les banlieues pour entendre leur analyse et éventuellement, leurs solutions.

À cette question, l’inspiration se faisait soudain moins évidente que lorsqu’il s’agissait de parler de tambouille politicienne . Des soupirs, d’abord. Des accusations, ensuite. Des solutions, aucune. Il y en a bien des faciles, pourtant, les pavloviens les connaissent : la gauche répond plus d’argent et moins de contrôles au faciès ; la droite, plus de policiers et une véritable réponse pénale. La gauche accuse l’État ; la droite accuse la gauche des années Mitterrand et Hollande. Tous ont tort et raison. Seulement, comme pour l’immigration, le sujet est broyé par les idéologies qui empêchent la concorde autour de solutions courageuses et efficaces.

La banlieue, on avait fini par l’oublier. Elle est là, si proche et si lointaine. Depuis les violences de 2005 , elle fait parler d’elle épisodiquement, après un fait divers sans une vidéo révélatrice des responsabilités de la police ou sans un caractère suffisamment universel pour les habitants des cités. Justement, et eux dans tout ça ? Le discours médiatique et politique confond parfois les délinquants et les habitants, premières victimes des nuisances.

L’impasse politique

Trop souvent nous l’oublions, mais il y a des femmes et des hommes qui vivent dans ces immeubles bâtis sur un même modèle et qui veulent, comme nous tous, une bonne éducation pour leurs enfants, du travail, de la sécurité et des petites joies de la vie. Vous les croisez tous les jours : ils conduisent votre taxi, vous coiffent, vous livrent votre pli, vous renseignent au guichet de la banque et vous protègent quand ils sont policiers.

Eux n’ont jamais cessé de déplorer leur quotidien quand un journaliste voulait bien leur tendre un micro. Jean-Luc Mélenchon, lui, ne les oublie pas. Il les flatte, quitte à amalgamer les voyous et les autres, croyant bien faire, quand Marine Le Pen lui répond, en réduisant toujours tout à la seule immigration. Quant à ceux qui ont exercé le pouvoir, ils regardent ailleurs de peur qu’on leur demande des comptes. Une impasse.

Du bidonville à la cité

On a cru au calme. C’était un mirage entretenu par les tenants d’une économie parallèle qui a intérêt à ce qu’on parle peu de ses affaires. Le ruissellement, dans certaines banlieues, ça marche. Le caïd arrose le transporteur qui arrose le revendeur qui arrose le guetteur. Voilà à quoi tient la paix républicaine, à condition de ne pas perturber ce business.

Cette économie cohabite avec une autre, plus idéologique, qu’on appelle le salafisme, qui recrute les âmes avec des promesses de paradis dans l’au-delà à défaut de l’avoir ici bas. Cet enfer, soit ce quartier où « y a rien à faire », ils le doivent à « la France mécréante et raciste », disent-ils, faisant le choix de vivre non pas « ensemble », mais à côté de nous, selon leurs rythmes, leurs préceptes et même leurs lois. Faut-il se résigner à cette répartition des rôles et des parcelles de l’espace public ?

L’histoire a de ces facéties : Nanterre a longtemps hébergé le plus grand bidonville de France où logeaient des travailleurs algériens, essentiellement ceux des usines Renault de Boulogne-Billancourt. Ce bidonville rasé en 1971, les pouvoirs publics ont cherché à reloger ces populations dans des habitats à proximité des usines, en prenant conscience que ces travailleurs ne retourneront pas au pays puisqu’ils ont désormais femme et enfants, plus encore depuis le regroupement familial de 1976. Il a fallu imaginer de grands ensembles, desservis par le RER, pour fixer ces familles nombreuses.

Nouvel agencement communautaire

D’un point de vue politique, et dans une logique de court terme, ce fut une bonne idée, plus digne en tout cas que la vie en bidonville ou en foyer Sonacotra. D’un point de vue social et culturel, en revanche, ce fut un désastre. Comment favoriser l’intégration d’une famille quand celle-ci cohabite avec d’autres familles qui concentrent les mêmes difficultés sociales et culturelles ? Personne, alors, n’a mesuré le risque du communautarisme, du cloisonnement et, chez certains, du ressentiment et des mauvaises intentions, car on croyait l’école et la République plus forte que tout.

L’école s’est dégradée, le service militaire a disparu, comme le Parti communiste, « l’Église rouge », qui livrait un récit incluant, à la fois révolutionnaire et patriotique. Où sont désormais les creusets ? Les associations, pour celles qui ne sont pas politisées – donc celles qui ont le moins de moyens financiers –, font ce qu’elles peuvent. Les élus idem, pour les moins clientélistes. Car devant ce nouvel agencement communautaire, des maires ont compris que leur (ré)élection dépendait pour beaucoup de leur complaisance contre-républicaine. Dès lors, tout est négociable, horaires de piscine, prières de rue, embauches à la mairie, octrois de logements sociaux, menus spéciaux…

Quête d’identité

On se demande, encore aujourd’hui, quelle était la nature des émeutes de 2005. Comme toujours, on y revient, la gauche y a vu une colère sociale dirigée contre l’État après la mort de Zyed et Bouna électrocutés après une course-poursuite avec la police ; la droite y a vu un conflit ethno-religieux. Les émeutiers de 2005 sont les grands frères de ceux qui balancent des tirs de mortier sur les forces de l’ordre, à Nanterreet ailleurs. Quel regard portent ces vétérans sur le chaos actuel ? Le regard de celui qui a compris qu’il n’y avait pas d’issue à la violence ? Ou le regard de celui qui jouit de ce passage de flambeau ? Un élément capital a fait son apparition entre 2005 et 2023 : Snapchat, TikTok, Twitter, Instagram, Facebook, WhatsApp…

Les quartiers se regardent entre eux, se soutiennent et se défient. Il est certain que les banlieues ne manifestent pas pour le pouvoir d’achat ou pour des logements décents. Elles le pourraient tant des quartiers entiers sont dignes de pays du tiers-monde. Emmanuel Macron, peu de temps après avoir été élu en 2017, a retoqué le « plan banlieue » de Jean-Louis Borloo , pensant qu’Uber et Deliveroo allaient régler le problème. Pourtant, tout n’était pas à jeter dans ce plan. Le moment venu, il faudra faire le bilan de ce renoncement.

Ces dernières années, les « jeunes de banlieue » ont été absents des grands mouvements sociaux, Gilets jaunes comme opposition à la réforme des retraites. Sans eux, point de révolution. Ce sont les plus déterminés, quand ils s’y mettent. Ils rient des black blocks des centres-villes, fils à papa. Mais d’où vient ce désintérêt alors que les problèmes de fins de mois ou de carrière sont criants dans ces endroits ? Les politiques ne parlent plus la langue de ces jeunes, l’inverse est vrai aussi.

Les médias, désormais à peu près tous d’opinion, complaisants ou excluants, sont encore moins audibles. Comme si aucun récit n’était à même de les inscrire dans une histoire commune. Or, ils sont français. Ils sont français ! Personne autour d’eux ne le leur a dit. De ce fait, ces jeunes en quête d’identité et d’appartenance se forgent une mythologie, car l’homme et la femme, à moins d’être hors-sol, ont besoin de se dessiner un monde avec ses affects, ses repères, ses visages, ses bonheurs et jusqu’à ses morts. Ils se croient détestés ici, et aimés là-bas, dans le pays des parents. Les pauvres ignorent la réalité…

La police, une bande rivale

Nahel a rejoint cet imaginaire. Pour ces jeunes de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine, de Toulouse, de Lyon, de Lille et d’ailleurs, il est la victime, devenu martyre, d’un tir ennemi, car la police est une bande rivale . Certains policiers ont également intégré cette dichotomie. Payés au lance-pierres, ils subissent les premiers les conséquences de cette psychologie qui se nourrit des souffrances et des humiliations, réelles ou supposées.

Ces policiers sont parfois à peine plus vieux que ces jeunes qu’ils affrontent. Eux aussi aiment les séries Netflix, les chiens d’attaque et ont un réseau social. Eux aussi, souvent, viennent d’un milieu populaire. Et eux aussi doivent composer avec leurs brebis galeuses, surtout quand la formation n’est pas aboutie et que des novices sont jetés dans ces quartiers difficiles.

Alors que faire ? À l’heure où nous écrivons ces lignes, des réunions, où l’on réfléchit à la manière d’éteindre l’incendie, se tiennent. Plus haut, on parlait de la banlieue comme d’un univers à lui seul. Alors, quelles sont les figures de l’autorité dans ces quartiers sous cloche, si ce n’est ni la police, ni les professeurs, ni les élus ? Le « grand frère », un responsable associatif « qu’on aime bien », l’imam de la salle de prière et quelques mères de famille valeureuses, qui se battent pour élever, souvent seules, des fratries de garçons attirés par le frisson de la délinquance et de l’argent facile. Il faut aider ces mères seules. Elles sont une partie de la réponse au problème. Une petite partie seulement, mais ce sera déjà ça…

DOSSIER : CERTAINES PUBLICATIONS DE METAHODOS RELATIVES À LA VILLE

« Pourquoi tout casser, tout détruire ?» POINT DE VUE. BANLIEUES (1)https://metahodos.fr/2023/06/30/pourquoi-tout-casser-tout-detruire-point-de-vue/

« FIN D’ASSIGNATION À RÉSIDENCE » QU’EST DEVENUE LA PROMESSE (17) ? RAPPEL DU BRUTAL TORPILLAGE DU PLAN BORLOO – BANLIEUES (2) https://metahodos.fr/2023/06/30/quest-devenue-la-promesse-15-de-la-fin-dassignation-a-residence-rappel-du-brutal-torpillage-du-plan-borloo/

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