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LA FRANCE ET LES ÉMEUTES VUES DE L’ÉTRANGER (2)

ARTICLE

La France sous tension avant une troisième nuit d’émeutes

LE DEVOIR Christian Rioux 30 juin 2023

C’est dans une atmosphère de tension extrême que s’est déroulée jeudi une marche « blanche » en l’honneur de Nahel. Avant que n’éclatent des échauffourées en fin de cortège, plusieurs milliers de personnes ont néanmoins défilé paisiblement dans les rues de cette banlieue de l’ouest parisien largement habitée par une population issue de l’immigration maghrébine.

La France est-elle sur le point de voir se répéter les émeutes qui avaient embrasé le pays en 2005 pendant trois longues semaines ? Alors que la région parisienne s’apprêtait à connaître sa troisième nuit d’émeutes, c’est la question que se posait toute la classe politique française, trois jours après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre alors qu’il refusait de s’immobiliser au volant d’une voiture qu’il conduisait sans permis.

Jeudi, la peur d’un basculement semblait tangible pendant qu’une force exceptionnelle de 40 000 policiers (quatre fois plus que la veille) était déployée dans les banlieues d’Île-de-France et des grandes villes du pays pour éviter une nouvelle nuit d’émeutes. Comme en 2005, toutes les vacances des forces de l’ordre ont été annulées et l’on prévoyait même des patrouilles héliportées.

Dans la journée, les principaux ministres régaliens ont été dépêchés sur les lieux sinistrés afin de tenter de calmer le jeu. Dans la matinée, le président Emmanuel Macron a qualifié d’« injustifiables » les violences de la nuit précédente. Une intervention qui tranchait avec celle de la veille où il avait jugé « inexplicable et inexcusable » ce tir policier, ajoutant que « rien ne justifie la mort d’un jeune ». Des propos applaudis par les députés de gauche, mais reçus par les policiers comme un déni de la présomption d’innocence alors que l’enquête ne fait que commencer.

« La police tue ! »

« Policiers assassins ! » scandaient les manifestants dans les rues de Nanterre. C’est dans une atmosphère de tension extrême que s’est déroulée jeudi une marche « blanche » en l’honneur deNahel. Avant que n’éclatent des échauffourées en fin de cortège, plusieurs milliers de personnes ont néanmoins défilé paisiblement dans les rues de cette banlieue de l’ouest parisien largement habitée par une population issue de l’immigration maghrébine.

En tête de cortège, devant la cité Pablo-Picasso, près de laquelle s’est déroulé le drame, la mère de Nahel brandissait le poing et arborait un t-shirt sur lequel on pouvait lire « Justice pour Nahel ». « La police tue ! » reprenaient les pancartes. Des mots identiques à ceux d’un ancien tweet du leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Dans la foule, on reconnaissait Assa Traoré, la soeur d’Adama Traoré, mort lors d’une arrestation en 2016. Plutôt qu’à une marche « blanche », elle avait appelé à une marche « de la révolte ». C’est probablement ce qu’avaient compris les jeunes cagoulés qui ont caillassé les policiers en fin de cortège alors que les habitants paniqués tentaient de mettre leur voiture à l’abri de peur qu’on y mette le feu. Pendant la manifestation, des journalistes de BFMTV ont affirmé avoir été empêchés de faire leur travail, une ayant même été, selon eux, menacée d’être égorgée.

« Homicide volontaire »

Dans la matinée, le procureur de Nanterre, Pascal Prache, a fait le point sur l’enquête. Il a précisé que, mardi matin, Nahel avait été pris en chasse par deux policiers à moto après avoir conduit pendant deux heures sans permis une voiture de location et mis en danger notamment la vie d’un piéton et d’un cycliste. Les policiers auraient tenté à deux reprises de l’immobiliser, en vain. Aucune arme ni aucun stupéfiant n’ont été trouvés à bord. Au coeur des nombreuses réactions à chaud se trouve une vidéo dans laquelle on aperçoit un policier pointer son arme et tirer, bien qu’on ne sache toujours rien de ce qui s’est dit et passé dans cette voiture avant que le policier ne presse la détente.

Pour leur défense, les policiers ont affirmé que, pris en étau le long d’un mur, ils se sont sentis menacés et ont craint d’être percutés lorsque la voiture a brusquement redémarré. Ils ont aussi invoqué la possibilité que la voiture renverse une personne dans sa fuite. Selon l’avocat Laurent-Franck Lienard, son client voulait tirer dans les jambes de Nahel et il a été déstabilisé par le départ en trombe de la voiture.

Des explications qui n’ont cependant pas convaincu le parquet, selon qui « les conditions d’usage de l’arme ne sont pas réunies ». Fait rare, le policier mis en examen pour homicide volontaire a été mis en détention provisoire en attendant la nomination d’un procureur. Un choix motivé par « la pression politique, médiatique et l’ampleur des violences urbaines en cours », selon Grégory Joron, patron du syndicat Unité SGP Police-Force ouvrière.

L’événement ne surprend guère les spécialistespuisque les refus d’obtempérer sont en très forte progression en France depuis dix ans. Il s’en est produit 27 206 en 2021, selon les chiffres de la sécurité routière. L’année suivante, lors de ces contrôles routiers, 13 personnes ont été tuées par la police. Les policiers français n’utilisent leur arme dans ces circonstances que dans 0,5 % des cas, avait affirmé en septembre dernier le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. À 17 ans, Nahel n’en était pas à son premier refus d’obtempérer. Il avait été mis en examen pour cette même raison pas plus tard que le week-end précédant le drame. Selon Le Figaro, il avait fait l’objet de douze interpellations pour divers délits.

Plusieurs élus incriminent la loi votée en 2017 qui autorise les policiers à ouvrir le feu lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les voitures « dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». Une formulation jugée trop floue.

Toute la journée, des témoins ont décrit les émeutes de la nuit de mercredi à jeudi comme une véritable montée en puissance de la violence. Dans plusieurs banlieues, après minuit, les émeutiers ont laissé la place à des groupes quasi professionnels, cagoulés et bien armés. Près de Lille, la mairie de Mons-en-Baroeul a été réduite en cendres, tandis que dans le Val-de-Marne, des individus cagoulés ont même tenté de faire s’évader des détenus de la prison de Fresnes. Des policiers ont aussi été attaqués au petit matin alors qu’ils allaient au travail.

Une violence exceptionnelle

Ces émeutes ont largement débordé de la région parisienne, embrasant des quartiers de Lille, Amiens, Lyon et Toulouse. Les manifestants s’en sont surtout pris à des équipements publics comme des écoles, des mairies, des bibliothèques, des tramways et plus d’une dizaine de commissariats. À Viry-Châtillon, des jeunes ont pris un bus en otage et en ont fait descendre les passagers pour y mettre le feu.

« On n’a jamais atteint un tel niveau de violence », estime Reda Belhaj, porte-parole du syndicat policier SGP Police d’Île-de-France. La situation est beaucoup plus grave qu’en 2005, selon le président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, Thibault de Montbrial, qui s’exprimait sur CNews. Cette fois, « nous avons affaire à des gens qui sont très bien organisés […] La situation est gravissime, nous sommes à la croisée des chemins ».

Malgré les demandes des élus de droite, Gérald Darmanin a refusé d’invoquer l’état d’urgence. En 2005, il avait fallu attendre douze jours pour que le gouvernement s’y résigne. Pas de couvre-feu non plus, même si les bus et les tramways ne devaient pas circuler jeudi dans toute l’Île-de-France à partir de 21 h. « Ce ne sont pas les voyous qui vont l’emporter », a déclaré le ministre, avant d’ajouter que « ce sont les habitants des quartiers populaires qui sont touchés » par ces violences et que « les professionnels du désordre doivent rentrer chez eux ».

En 2005, c’est la mort accidentelle à Clichy-sous-Bois de Zyed Benna et de Bouna Traoré qui avait mis le feu aux poudres. Les deux adolescents s’étaient cachés dans un transformateur électrique alors qu’ils étaient pourchassés par les policiers, qui ont été exonérés de tout blâme. Ces trois semaines s’étaientsoldées par 3000 interpellations, 9000 voitures brûlées, trois morts et 217 policiers blessés.

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