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« Une démocratie libérale plutôt qu’une « dictature écologique » – POINT DE VUE

ARTICLE

Climat : pourquoi une démocratie libérale vaut mieux qu’une « dictature écologique »

Par Christian Gollier. Publié le 06.06.2023. CHALLENGES

La taxe carbone de nos systèmes de marché, signal prix du sacrifice climatique engendré par des comportements consuméristes et anti-écologiques, a eu un effet massif sur les émissions de CO2, partout où elle a été appliquée.

Les dictatures illibérales offrent des bilans écologiques historiquement bien plus désastreux.

Faut-il abandonner notre démocratie libérale pour affronter les défis écologiques de notre temps? Appels d’étudiants de prestigieuses grandes écoles à « sortir du système », sabotage d’infrastructures publiques et déprédations d’œuvres d’art ne constituent que le sommet de l’iceberg d’une tension sociétale qui atteint des niveaux extrêmes.

On a vu à Sainte-Soline ce que l’appropriation privée d’une ressource collective telle que l’eau engendre, sa gratuité empêchant son bon usage. Greta Thunberg écrivait récemment que « rétrospectivement, avoir laissé le consumérisme capitaliste et l’économie de marché piloter l’unique civilisation connue de l’univers apparaîtra certainement comme une terrible erreur ».

Derrière cette révolte sur les questions environnementales se cache parfois le projet d’un « léninisme écologique » visant à abattre notre démocratie libérale. Si ces mouvements dénoncent à juste titre le péril climatique majeur, aucun ne semble actuellement offrir une alternative sociétale crédible. Accuser l’économie de marché de tous nos maux constitue une analyse superficielle des enjeux de soutenabilité.

Peut-on imaginer un autre monde ?

Les dictatures illibérales offrent des bilans écologiques historiquement encore plus désastreux, depuis la disparition de la mer d’Aral jusqu’au smog persistant des grandes villes chinoises. Au contraire, la France a réussi à découpler prospérité et émissions depuis longtemps: entre 1990 et 2019, le revenu par habitant a augmenté de 36%, mais les émissions par habitant ont baissé de 30% (malgré une hausse dans les secteurs du résidentiel et du transport).

La taxe carbone a eu un effet massif sur les émissions de CO2 partout où elle a été appliquée.

Le mode de fonctionnement des relations marchandes ne constitue qu’un moyen permettant à chacun selon son budget de poursuivre sa quête d’épanouissement personnel. En réalité, paradoxalement, c’est cette quête individuelle du bonheur qui est cause de nos maux collectifs. On sait dans ce cadre l’importance qu’accordent les Français à leur pouvoir d’achat, une décroissance de celui-ci n’étant donc possible que dans le cadre d’une « dictature écologique ».

Comme semblent le penser de nombreux activistes de l’environnement, en particulier dans la jeunesse, peut-on imaginer un autre monde où la société transformerait l’être humain en personne socialement consciente de ses responsabilités individuelles et agissant naturellement pour le bien commun? On sait les drames individuels et les désastres sociétaux auxquels cette utopie a mené durant le XXe siècle.

En réalité, plus de cinquante ans après son émergence, il reste difficile de percevoir dans ce large et hétérogène mouvement écologique un projet rationnel et socialement acceptable de transformation de notre société.

Taxe carbone, prix du sacrifice climatique

Rétrospectivement, en comparaison d’autres systèmes, l’économie de marché a brillamment réussi à orienter les productions et les consommations les plus créatrices de valeur, au moyen de signaux prix indiquant les sacrifices individuels induits par leur mise à disposition des citoyens. Mais ce système a été largement défaillant à faire que chacun, consommateurs et producteurs, intègre l’impact écologique de ses modes de vie et de production.

En laissant à disposition gratuite ressources naturelles et écosystèmes, notre modèle économique les a exploités sans considération des générations futures et de la planète. C’est la tragédie des communs, qu’illustre parfaitement le changement climatique. Depuis les travaux d’Arthur Pigou publiés en 1920, les économistes proposent de corriger cette défaillance des marchés notamment par l’instauration d’un nouveau signal prix relatif aux sacrifices climatiques engendrés par ces comportements. La taxe carbone incite les acteurs à décarboner leurs modes de consommation et de production.

Son effet sur les émissions a été massif partout où cette correction à notre système économique a été appliquée. Et comme le propose mon collègue Adrien Fabre, une telle taxe organisée au niveau international pourrait permettre d’éliminer la pauvreté dans le monde en redistribuant utilement le revenu fiscal ainsi obtenu. Utopique? Pas tant que cela! Fabre montre qu’une large majorité de Français et d’Européens, ainsi qu’une moins large majorité d’Américains, soutiendraient une telle stratégie. Il existerait donc un chemin acceptable pour défendre nos libertés et la planète tout en réduisant les inégalités.

La décision est passée inaperçue au milieu du débat sur les retraites, mais les Vingt-Sept ont décidé de mettre en œuvre à partir de 2027 une taxe de 45 euros par tonne de CO sur l’essence à la pompe, le fioul domestique et le gaz naturel de chauffage, avec utilisation d’une partie du revenu fiscal pour compenser les ménages les plus modestes. En se montrant écologiquement responsables et en utilisant les bons instruments, nos démocraties libérales n’ont pas dit leur dernier mot!

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