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La démocratie parlementaire toujours à la peine
Publié le 22 juin 2023 LE MONDE
Un consensus existait au début de la 16ᵉ législature pour considérer que la pluralité est un atout pour réduire la crise démocratique. Un an après, c’est la peur du blocage qui domine à l’Assemblée nationale, aucun opposant n’étant en capacité de faire émerger une majorité alternative.
L’avènement, il y a un an, d’une majorité relative à l’Assemblée nationale a été observé d’un œil bienveillant par les Français, qui cherchaient manifestement à contrebalancer la puissance d’Emmanuel Macron, tout juste réélu pour un second mandat. De la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, élue alors qu’elle n’était pas la candidate de l’Elysée, aux présidents des dix groupes, tous ont cherché à tirer parti de cette expérience de rééquilibrage des pouvoirs qui n’était pas inédite sous la Ve République mais qui constituait une première depuis l’instauration du quinquennat. Aucun, en revanche, n’a ressenti le besoin de tirer publiquement un premier bilan de cette expérience. C’est regrettable, car si des choses positives ont émergé durant les douze derniers mois, d’autres constituent d’évidentes menaces pour le Parlement, son image et son utilité.
Côté positif, l’esprit de compromis si éloigné de notre pratique politique a été en partie apprivoisé avec l’adoption, durant cette période, de vingt-neuf projets de loi, trois d’entre eux seulement nécessitant un engagement de responsabilité de la part du gouvernement. Toute une pratique qui avait été négligée sous le quinquennat précédent a été réhabilitée : la consultation des parlementaires en amont de la rédaction des projets de loi, la coconstruction de textes avec des groupes n’appartenant pas à la majorité mais prêts à s’engager ponctuellement.
Des initiatives d’origine parlementaire ont été valorisées, comme la proposition de loi Valletoux visant à lutter contre les déserts médicaux. Mené à Matignon, dans les ministères et dans l’enceinte fermée des commissions parlementaires, ce patient travail de retricotage a largement échappé au grand public, qui conserve de cette première année la perception d’un Hémicycle perpétuellement sous tension.
Passage en force
La théâtralisation a toujours fait partie du jeu parlementaire, mais quand l’obstruction, les coups d’éclat voire les insultes prennent le pas sur le débat, le Parlement se met en danger. Impuissant à canaliser la violence, il se caricature. Le climat dans lequel s’est déroulée la discussion autour du projet de loi sur les retraites appelle un examen critique tant, sous l’impulsion de La France insoumise puis de la gauche tout entière, puis du groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), elle s’est transformée en un affrontement sans débat entre deux légitimités, celle de l’exécutif et celle du Parlement.
Le gouvernement en garde la cicatrice indélébile d’un passage en force, mais l’Assemblée nationale n’a rien gagné en échange. Sa présidente a été affaiblie, une salve inédite de sanctions a été distribuée, l’ambiance au sein du bureau s’est fortement détériorée. Alors qu’un consensus existait au début de la législature pour considérer que la pluralité est un atout pour réduire la crise démocratique, la peur du blocage domine, aucun opposant n’étant en capacité de faire émerger une majorité alternative.
Si l’objectif était de revaloriser la démocratie parlementaire, le compte n’y est pas. Faute de trouver un modus vivendi plus responsable, le risque existe même que cette assemblée finisse dans le discrédit, soit parce que le gouvernement s’ingéniera à la contourner, soit parce que les Français se lasseront du spectacle donné. Cette situation profite avant tout aux 88 députés du Rassemblement national, qui jouent simultanément la carte de la notabilisation et celle du pourrissement. Il faut être aveugle pour ne pas le voir.
Le Monde