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ÉMEUTES (30) SOLUTION PRÉSIDENTIELLE : « RÉPARTIR LES DIFFICULTÉS » ? – UN ÉCHEC PARTIEL DE LA POLITIQUE DE LA VILLE ?

«Répartition des difficultés»: l’étrange proposition de Macron après les émeutes »

TITTE LE FIGARO QUI POURSUIT :

« Interrogé sur les émeutes qui ont embrasé la France le mois dernier, le président de la République a opté pour la stratégie du semi-déni et de la banalisation.

« Dans le dictionnaire de la novlangue, que le refus de réalité enrichit chaque jour un peu plus, il faut désormais ajouter le mot «difficulté».

« Difficulté: n. f. Qui exprime à mots couverts les violences urbaines qui frappent les quartiers fortement peuplés d’individus issus de l’immigration. Exemple: Emmanuel Macron, le 24 juillet au «13 Heures» de TF1 et de France 2: «Revoir notre politique de répartition des difficultés (…). Pendant des décennies, on a concentré les difficultés dans les mêmes quartiers, les mêmes endroits.»

« Les dernières villes épargnées par cette rage destructrice sont prévenues: elles ne le sont plus pour longtemps, elles devront prendre leur part des «difficultés».

« La France, traumatisée par des jours d’émeutes, aura donc attendu trois semaines pour entendre ces circonlocutions, qui, en croyant noyer le poisson, expriment publiquement l’impuissance de l’État. Déclamation, répartition: sur la délinquance comme sur l’immigration (entre ces «difficultés» il serait inconvenant…

…/…

TROIS ENJEUX PRINCIPAUX : LE BÂTI, LE PEUPLEMENT ET LES PRATIQUES SOCIALES (culture, éducation, civisme … )

Aujourd’hui, on mesure combien il a été plus facile d’agir sur le «bâti», aussi coûteux soit-il, que sur le peuplement et les pratiques sociales qui conduisent à une forme de ghetto culturel. Tel est le propos de l’article proposé cicontre

ARTICLE

Sommes-nous face à un échec de la politique de la ville?

Simon Ronai et Telos — 23 juillet 2023

Les émeutes récentes posent des questions complexes qui, au-delà de l’urbanisme, traversent toute la société.

Répartis sur 859 communes du territoire national, les 1.514 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont peuplés de 5,4 millions d’habitants (8% de la population française). Ils concentrent la pauvreté, la délinquance, la violence sociale et l’insécurité.

Autant de réalités concrètes, palpables, sensibles que, depuis vingt ans, une politique volontariste de démolition/reconstruction a voulu métamorphoser en transformant l’habitat, en sécurisant les espaces publics, en désenclavant les quartiers par les transports urbains (bus, métros, tramways). Le but avoué était d’y attirer de nouveau les catégories sociales populaires qui avaient massivement quitté ces quartiers dès les années 1970, dans un parcours résidentiel qui les a fréquemment menées dans l’habitat pavillonnaire périurbain.

Une vieille histoire

La «crise des banlieues» et leur paupérisation rampante ont été diagnostiquées très tôt avec la circulaire Guichard (du nom de l’ancien ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Équipement) du 21 mars 1973, relative aux formes d’urbanisation et à la lutte contre la ségrégation sociale par l’habitat, qui a arrêté la construction des grands ensembles. Observant que la petite classe moyenne commençait déjà à partir, le tournant politique en faveur de l’accession à la propriété était amorcé.

En 1977, le groupe de travail interministériel «Habitat et vie sociale»avait engagé la mise à niveau du parc HLM si rapidement dévalorisé, après avoir été un temps si apprécié. Cette démarche a été amplifiée au début des années 1980 par le programme national de «développement social des quartiers» qui visait la requalification des logements, des espaces publics et des équipements en mobilisant les habitants, les bailleurs sociaux et les élus.

En 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), imposant partout un quota de logements sociaux, signifiait que la mixité sociale était un objectif politique national qui devait encadrer les choix plus ou moins égoïstes de chaque commune, notamment les plus bourgeoises.

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En 2003, le programme national de rénovation urbaine (PNRU), créé par la loi Borloo du 1er août 2003, a relancé cette politique après avoir constaté que l’objectif de mixité sociale dans le parc social avait échoué et qu’il fallait changer de méthode.

Le bilan du PNRU entre 2004 et 2021, présenté par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en décembre 2022, montre l’ampleur de ce qui a été réalisé dans 546 quartiers: 164.400 logements démolis (dont 92% construits entre 1957 et 1976), 142.000 logements reconstruits dont 53% hors site, 408.500 logements réhabilités (avec un montant moyen de 17.000 euros par logement), 385.400 logements résidentialisés et 2.346 équipements construits.

En 2017 puis 2018, l’«appel de Grigny», lancé par des élus et des associations de quartiers populaires, et un nouveau rapport commandé à l’ancien ministre de la Ville Jean-Louis Borloo, avaient été disqualifiés par le président de la République Emmanuel Macron, en mai 2018. Sous le premier mandat de ce dernier, le NPNRU (N pour nouveau, lancé en 2014) a bénéficié d’un doublement de son budget, de 6 à 12 milliards d’euros. Le programme, qui court jusqu’en 2030, prévoit la démolition de 110.000 logements et la construction ou réhabilitation de 250.000 autres, dans 450 quartiers et concernant 3 millions de personnes.

Le Comité interministériel des villes (CIV), qui s’est tenu le 30 juin 2023, devait donner une forme nouvelle aux contrats de ville et annoncer le plan «quartiers 2030». Bouleversé par les émeutes et violences qui ont touché les quartiers urbains à la fin du mois de juin, le rendez-vous et les annonces ont été reportés à plus tard, au moins après la rentrée.

Des quartiers transformés, mais…

La politique ambitieuse du NPNRU doit générer près de 50 milliards d’euros d’investissements, en étant donc doté de 12 milliards d’euros de subventions de l’ANRU, financées aux deux tiers par Action Logement (8,4 milliards), le reste par l’Union sociale pour l’habitat (2,4 milliards d’euros) et par l’État (1,2 milliard). Ces milliards engagés dans les travaux ont déjà transformé de nombreux quartiers construits massivement et rapidement pendant les Trente Glorieuses.

Contrairement aux affirmations péremptoires de sociologues complaisants, il n’est pas question de gentrification, puisque 67% des logements reconstruits ont des loyers bas ou modéré. Et quand bien même, faut-il accompagner la paupérisation pour mieux la dénoncer ensuite? Pour établir un bilan honnête, il faut préciser que la plupart de celles et ceux qui s’en sont sortis socialement et veulent s’assurer une égalité des chances ont quitté ces quartiers, dont la fonction de «sas» a été bien documentée.

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En revanche, à la faveur des mouvements migratoires, les bailleurs ont constaté que les locataires sortants sont remplacés par une population toujours plus précaire, souvent immigrée, qui correspond aux critères prioritaires d’attribution liés au droit au logement opposable (femmes seules avec des enfants) ou au contingent du préfet.

Plus généralement, l’appauvrissement d’une fraction importante des couches populaires, frappées par le chômage ou le sous-emploi, dessine le profil des nouveaux locataires. Cette difficulté réelle interroge les politiques économiques et de formation professionnelle, sans lien direct avec la nécessaire requalification du parc social.

Ce que la politique de la ville n’a pas pu anticiper ou résoudre

Si on investit beaucoup, on sait que les quartiers ne bénéficient pas des mêmes dépenses de droit commun, notamment parce que les fonctionnaires qui y travaillent (enseignants, policiers, travailleurs sociaux) sont en début de carrière et donc moins bien payés (et moins stables).

Malgré des moyens publics qui augmentent, nous ne sommes pas parvenus à réduire les écarts entre les habitants des QPV et ceux des autres quartiers. Et ce, d’autant plus que les plus habiles et qualifiés sont partis ailleurs poursuivre leur cycle de vie. Une fois l’effet de sidération dépassé, il nous appartient de comprendre la complexité des questions posées à toute la société en évacuant les discours politiques démagogiques et simplificateurs qui se contentent d’attiser les haines, de désigner des boucs émissaires, où de délégitimer systématiquement l’État et ses représentants.

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C’est un fait que les politiques de la ville successives n’ont pas pu réduire la ségrégation sociale et ethnique qui, au contraire, s’est renforcée au gré des mutations locatives et des dynamiques métropolitaines qui ont amené des populations plus pauvres, plus précaires, issues d’immigrations plus diverses et plus lointaines. Selon un rapport de la Cour des comptes de juin 2022, les immigrés y sont surreprésentés (27,2% contre 12,9% au niveau national), alors que, d’après les données de l’Insee, le taux de chômage des immigrés et de leurs descendants (respectivement 13% et 12% en 2021) est nettement supérieur à la moyenne nationale (8% en 2021).

De nombreux facteurs aggravants se sont superposés. L’impact des attentatsislamistes sur la société française a déporté la trajectoire idéologique dominante vers une suspicion à l’égard des musulmans qui ne supportent plus ces discriminations. La crise liée au Covid-19 a particulièrement frappé les quartiers populaires qui ont perçu cette inégalité existentielle.

La question de la jeunesse

La jeunesse des quartiers concentre et subit une partie de ces problèmes. Des décennies de chômage de masse ont enrayé la dynamique d’intégration par le travail des jeunes hommes oisifs sortis du système scolaire sans qualification. Ils occupent l’espace public, tandis que les jeunes filles se sont mieux adaptées à une économie de service, dans des QPV où le taux de chômage des moins de 30 ans s’élevait en 2020 à 30,4%, selon les données compilées par l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) dans son rapport 2021, publié en décembre 2022.

La généralisation de la précarité économique des familles et des jeunes a été accompagnée par la diffusion des trafics de drogue dans plus de 4.000 points de vente (chiffre avancé par le ministère de l’Intérieur en décembre 2020), qui correspondent souvent aux mêmes quartiers prioritaires.

Depuis les années 1980, les contrôles d’identité répétés en bas de chez soi sont humiliants et nourrissent un profond ressentiment. La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, qui a introduit un usage plus permissif des armes à feu par la police, a encore avivé l’impression d’une hostilité de la police. Et le rapport à l’État est souvent douloureux quand la promesse républicaine n’a pas été tenue. Cela explique en partie la désaffection politique des habitants des cités et leur méfiance à l’égard de tout ce qui incarne le pouvoir.

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Pour les jeunes de la troisième génération d’immigrés et issus de familles africaines ou maghrébines, la prégnance de l’histoire coloniale a nourri le ressentiment encore revivifié par des pratiques religieuses qui se heurtent aux principes de laïcité. Il est consciencieusement instrumentalisé par des groupes politiques extrémistes et des pays étrangers (AlgérieTurquie, etc.) qui justifient la révolte contre l’État français d’une partie significative de la jeunesse d’origine extra-européenne.

Des questions qui dépassent l’urbanisme

Malgré le suivi des travailleurs sociaux, l’explosion des familles monoparentales peut expliquer le déficit de suivi des enfants et des adolescents, renforcé par la précarité économique et culturelle.

On peut citer également l’échec du dispositif scolaire vertical et uniforme en dépit des zones et réseaux d’éducation prioritaire (ZEP, puis REP ou REP+ depuis 2015), qui ne sont pas parvenus à renforcer la stabilité et la cohésion des équipes éducatives. Mais aussi l’insuffisante solidarité financière entre les territoires riches et prospères et les communes pauvres, au sein des métropoles traversées par de fortes inégalités.

Mentionnons aussi l’effondrement de l’encadrement politique des anciennes communes communistes et des mouvements d’éducation populaire au bénéfice d’un modèle axé sur la consommation et l’individualisme. Sans oublier la baisse de confiance pour tous les élus, y compris les maires, et la prise de distance avec tout ce qui incarne l’autorité qui fait mal, ne fait pas assez, ignore la population dont une grande majorité ne participe pas aux élections

Aujourd’hui, on mesure combien il a été plus facile d’agir sur le «bâti», aussi coûteux soit-il, que sur le peuplement et les pratiques sociales qui conduisent à une forme de ghetto culturel.

On sait la difficulté d’imposer la mixité sociale et la cohabitation, dans une société libérale devenue multiculturelle, où tous ceux qui le peuvent choisissent d’habiter où ils le souhaitent et scolarisent leurs enfants comme ils l’entendent, renforçant par une somme de décisions individuelles la tendance à la marginalisation de certains quartiers, que la puissance publique n’arrive plus à gérer correctement.

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