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MULTINATIONALES : FIN DE RÉCRÉ ? VRAIMENT ? – POINT DE VUE

ARTICLE

Fiscalité, devoir de vigilance… Pour les multinationales, la fin de la récré a sonné

Daniel Vigneron — Édité par Natacha Zimmermann — 19 juillet 2023 SLATE

Le Parlement européen a voté une directive sur la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Et dès 2024, l’impôt minimal global devrait s’appliquer aux multinationales.

L’État français perdrait chaque année jusqu’à 100 milliards d’euros de revenus du fait de la fraude fiscale, notamment à cause des pratiques d’optimisation des multinationales. Des sociétés qui, par ailleurs, s’affranchissent souvent des règles sociales et environnementales de base, comme l’a tragiquement illustré, en 2013, l’effondrement du méga-complexe textile bangladais du Rana Plaza et son millier de victimes.

Cette double «face noire de la mondialisation», dénoncée depuis des décennies mais tolérée jusqu’à ces dernières années au nom de la liberté d’entreprendre et de la libre circulation des capitaux, fait désormais l’objet d’initiatives politiques et juridiques susceptibles de civiliser les pratiques des multinationales.

Il faut dire que le défi climatique et les gigantesques investissements publicsnécessaires pour y faire face rendent impératif l’élargissement de la base des ressources fiscales des États. Et que l’accroissement des inégalités et l’appauvrissement relatif des classes moyennes alimentent le ressentiment général à l’égard des puissants. Sur deux fronts –l’observance des règles fiscales et le respect des droits humains et environnementaux–, des avancées significatives ont été récemment observées aux plans international et européen.

Vers un impôt mondial minimum

Depuis la libéralisation des mouvements de capitaux il y a près de quarante ans, les sociétés transnationales n’ont cessé de minimiser leur contribution fiscale globale en transférant systématiquement leurs bénéfices vers des juridictions où l’imposition était faible, voire nulle. Allant bien au-delà des initiatives de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour encadrer et contrôler ces pratiques, un processus initié il y a dix ans a abouti, en octobre 2021, à la conclusion d’un accord international liant près de 140 pays et visant à instaurer une imposition minimale globale des grandes entreprises (plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires).

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Un impôt dont le taux minimum est pour l’instant fixé à 15% et dont l’application –prévue à partir de 2024– pourrait produire, au niveau mondial, 220 milliards de dollars de recettes fiscales additionnelles par an. De fait, parmi les 136 signataires de l’accord, figurent de nombreux pays appliquant jusque-là des taux d’imposition inférieurs, voire très inférieurs: l’Irlande, la Lettonie, la Hongrie, les îles Anglo-Normandes, les îles Caïmans, Macao, etc.

Autre dispositif prévu par cet accord: une taxation des surprofits visant à accroître la «participation fiscale» des très profitables géants du numérique. Les groupes dont le chiffre d’affaires mondial est supérieur à 20 milliards de dollars verront ainsi taxés à 25% leurs bénéfices excédant un taux de marge bénéficiaire de 10% du chiffre d’affaires. À noter que parmi les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), le groupe Amazon devrait échapper à cette surtaxation, puisque ses activités de distribution ne lui permettent de dégager qu’une marge bénéficiaire globale de 6%

Les grands groupes redressés

De tous les géants du numérique, Amazon est pourtant celui qui défraie le plus la chronique. Ainsi, la holding européenne du groupe, basée à Luxembourg, qui centralise les produits de toutes les ventes réalisées en Europe, n’a réglé aucun impôt sur les sociétés en 2020, en dépit d’un chiffre d’affaires de 44 milliards d’euros. La conséquence d’investissements massifs dans le développement de sa capacité d’entreposage sur le continent.

En France, le groupe fondé par Jeff Bezos a fini par se voir imposer un redressement fiscal d’environ 200 millions d’euros en 2018. Depuis, les relations paraissent normalisées. Reste qu’en 2021, pour des ventes dans l’Hexagone de 9 milliards d’euros, Amazon n’a versé que 470 millions en impôts directs, soit un taux d’imposition de 5,2%.

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En première ligne du combat contre les Gafam, la France leur applique des redressements fiscaux (106 millions d’euros à l’encontre de Facebook en août 2020) ou, plus souvent, parvient à conclure des accords transactionnels dénommés «conventions judiciaires d’intérêt public»(CJIP). Comme en février 2019 avec Apple(pour 500 millions d’euros), puis en juin de la même année avec Microsoft (350 millions) ou encore en septembre avec Google (près d’un milliard). Mais les plus grosses CJIP restent à ce jour hors Gafam: Airbus en 2020 (2 milliards) et, plus récemment, en juin 2022, McDonald’s, qui a accepté de régler 1,25 milliard d’euros pour solder dix ans d’évitement fiscal.

Droits humains et environnementaux

Sur un tout autre plan, le numéro un mondial de la restauration rapide est visé par plusieurs actions en justice pour non-respect de la législation sociale et a été mis en demeure, en mars 2022, de soumettre aux autorités françaises un «plan de vigilance», exigé par une loi de 2017, sur le devoir des entreprises en matière de droits humains et environnementaux.

Deux ans auparavant, McDonald’s avait déjà fait l’objet d’une plainte devant l’OCDEpour des pratiques de harcèlement sexuelsystématique et de sexisme à l’encontre de ses employés. Une bonne illustration du second volet de l’encadrement des multinationales qui, au-delà des principes directeurs de l’OCDE, prend désormais la forme de mesures législatives contraignantes au niveau européen.

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Ainsi, le 1er juin dernier, le Parlement européen a voté une directive instaurant la responsabilité des entreprises et celle de leurs filiales et sous-traitants en matière de droits humains et environnementaux. En cas de manquement à ces obligations, un droit à la réparation des dommages causés dans ces domaines s’ouvrira au nom de leur responsabilité civile pour les entreprises de plus de 250 salariés réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 40 millions d’euros (500 salariés et 150 millions d’euros pour les sociétés mères).

Des seuils beaucoup plus bas que ceux prévus par la loi française de 2017 (plus de 5.000 salariés), mais qui restent à confirmer par le Conseil européen. Un Conseil qui cherche également à exclure les établissements financiers de cette directive pour ne pas engager la responsabilité de ceux qui financent les atteintes aux droits humains…

L’encadrement fiscal, sociétal et environnemental des multinationales a donc connu, ces dernières années, des avancées indéniables. Mais l’émergence d’une mondialisation enfin régulée dépendra de la mise en œuvre effective –et visible– des réglementations en cours d’élaboration.

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