
ARTICLE
Contre le populisme policier, l’esprit des libertés
L’OBS Rafaël Amselem De Génération Libre
Des syndicats de police aux plus hautes autorités, peu à peu s’insinue la thèse selon laquelle les membres de l’Autorité devraient être soustraits aux normes communes de la justice et faire l’objet d’un traitement différencié. Danger !
« Un jour viendra peut-être où nous pourrons recommander sans nous trahir de remplacer le blanc au milieu du drapeau tricolore par un beau gris préfectoral », écrivait François Sureau dans « Sans la liberté » (Tracts Gallimard).
De l’emploi d’arrêts maladie par les policiers marseillais en représailles d’une décision de justice, à la déclaration de Frédéric Veaux, directeur général de la Police nationale (DGPN), qui affirmait « [qu’]avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes graves dans le cadre de son travail », avec en prime un soutien immédiat sur Twitter du préfet de police de Paris Laurent Nuñez, nous assistons à un cumul de comportements et expressions émanant de la police en opposition aux principes élémentaires de l’Etat de droit.
Récemment encore, face à ce genre d’attitudes, le silence prévalait. Ce silence qui, par exemple, fut opposé par le ministère de l’Intérieur aux syndicats Alliance et Unsa-Police lorsqu’ils publièrent un communiqué qualifiant les émeutiers de « nuisibles »contre qui ils se considéraient « en guerre » ; la logique tribale n’ayant pas de limite, les syndicats avaient conclu par cette formule pour le moins énigmatique : « Demain nous serons en résistance ». Il n’est pas certain que le citoyen lambda puisse s’essayer à de telles menaces contre le pouvoir sans se faire sanctionner.
La douce agonie de l’esprit des libertés
Désormais, les règles ont changé. Après le mutisme, Darmanin a tranché : son soutien explicite ira au directeur de la police, auquel il témoigne sa « très grande confiance ». Tout se passe dans une tranquillité et un flegme à toute épreuve, où les idées les plus précaires voguent naturellement des syndicats aux représentants de police, des représentants de police au préfet, du préfet au ministre, sans étanchéité, par un principe d’inertie, sans obstacle quelconque. C’est à cela qu’on voit la douce agonie de l’esprit des libertés.
La thèse défendue est que les membres de l’Autorité devraient être soustraits aux normes communes de la justice et faire l’objet d’un traitement différencié. Pourtant, le concept fondamental qui sous-tend l’Etat libéral consiste en la régulation de la vie politique et institutionnelle par l’impératif du droit, et surtout l’égalité du droit. Cette découverte de John Locke est au principe de tout Etat de droit : la société civile est créancière de l’Etat, détenant à son encontre divers droits inaliénables. Les pouvoirs publics sont donc les serviteurs de la société civile et c’est pourquoi l’Autorité – et ses représentants – ne saurait faire l’objet d’un quelconque traitement préférentiel. La police n’est pas au-dessus des lois. La police ne peut pas faire l’objet d’un régime d’exception. L’inégalité ne peut se faire au bénéfice des forces de l’ordre. Inverser ce rapport, considérer autre chose que le droit, c’est naturellement placer la société civile dans un lien de subordination et l’exposer à toutes les dérives permises par cet écart.
« Le retour des privilèges pour les policiers ? », par Sebastian Roché
La lutte contre l’arbitraire est consubstantielle de la préservation de ce cadre politique. Toute forme de pouvoir doit ainsi être l’objet d’une réflexivité institutionnalisée, nous assurant qu’une décision illégale prise par l’Autorité, dans ses diverses voies administratives, de police ou législative, est réversible.