
« Une proximité étroite entre Uber et Emmanuel Macron qui s’est poursuivie après son élection à la présidence de la République »
C’est ce que révèle la commission d’enquête.
L’affaire avait été déclenchée en juillet 2022 par la fuite de 124.000 documents internes à Uber.
Le rapport d’enquête parlementaire sur les « Uber Files » confirme qu’Emmanuel Macron a bien agi en coulisses en faveur d’Uber lorsqu’il était ministre de l’économie. Depuis 2017, le document pointe le laisser-faire de l’exécutif sur le marché des plateformes numériques. Un résumé du fonctionnement néolibéral de la Macronie, selon Mediapart qui écrit :
« L’ambiance fut tendue entre les député·es de la majorité et de l’opposition membres de la commission d’enquête sur les « Uber Files ». Il faut dire que le sujet est sensible : cette instance a été lancée après les révélations l’été dernier d’un consortium de médias internationaux, dont Le Monde et Radio France font partie, mettant notamment en cause les liens de proximité entre Emmanuel Macron quand il était ministre de l’économie entre 2014 et 2016 et la sulfureuse firme Uber. »
VOIR NOS PRECEDENTES PUBLICATIONS
UBER FILES – SUITE : « LA RÉPUBLIQUE ENTRE COPAINS » – « IL FALLAIT UN MINISTRE » – POINT DE VUE https://metahodos.fr/2023/07/28/uber-files-des-allies-au-plus-haut-niveau-de-letat-laccablant-rapport-de-la-commission-denquete-parlementaire/
NOUS VOUS PROPOSONS LA LECTURE DE DEUX ARTICLES
1. Ce que dit le rapport de la commission d’enquête parlementaire
2 .La commission d’enquête dénonce un « deal secret » avec Emmanuel Macron
ARTICLE 1
Uber Files : ce que dit le rapport de la commission d’enquête parlementaire
Article rédigé par Jacques Monin, Cellule investigation de Radio France. Publié le 18/07/2023
La commission d’enquête parlementaire consacrée aux Uber Files confirme les informations révélées en juillet 2022 par la cellule investigation de Radio France. Elle dénonce une proximité étroite entre Uber et Emmanuel Macron qui s’est poursuivie après son élection à la présidence de la République.
Pas facile de conduire une commission d’enquête lorsque les deux personnes qui la dirigent appartiennent à des partis opposés et ont des intérêts et des points de vue divergents. Cette difficulté apparaît en filigrane dans le rapport parlementaire consacré aux Uber Files, une vaste fuite de documents révélée par la cellule investigation de Radio France avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et le Guardian en juillet 2022. Elle montrait à quel point Emmanuel Macron, alors qu’il dirigeait le ministère de l’Économie, a œuvré pour favoriser le développement d’Uber en France.
>> Uber Files : révélations sur les pratiques de lobbying du géant des VTC
Cette commission, initiée par la France Insoumise (LFI), a été présidée par le député Renaissance Benjamin Haddad, un proche du président de la République, tandis que sa rapporteure, Danielle Simonnet, est membre de LFI. D’où une dissonance qui apparaît dès l’introduction de son rapport : « La rapporteure regrette que la commission d’enquête n’ait pu auditionner aucun des anciens membres du ministre de l’Économie de l’époque, peut-on lire, puisque le bureau de la commission d’enquête s’y est systématiquement opposé.«
En dépit de ces divergences, 67 auditions ont pu être menées, 120 personnes ont été entendues, et le rapport d’enquête conclut : alors qu’il se trouvait dans l’illégalité, « Uber a trouvé des alliés au plus haut niveau de l’État… L’intensité des contacts entre Uber, Emmanuel Macron et son cabinet témoigne d’une relation opaque, mais privilégiée, et révèle toute l’incapacité de notre système pour mesurer et prévenir l’influence des intérêts privés sur la décision publique« .
Une confirmation de nos informations
Dans un premier temps, le rapport confirme et documente les informations que nous avions révélées : notamment l’existence d’un « deal » passé entre Emmanuel Macron et Uber. Un accord tacite et la mise au point d’une stratégie visant à obtenir l’abaissement du nombre d’heures de formation obligatoires pour devenir chauffeur Uber de 250 à sept, en échange de l’interdiction d’Uber Pop (un système de co-voiturage permettant à n’importe qui de devenir chauffeur de VTC).
Un deal dont Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, et le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, n’auraient jamais entendu parler, si l’on en croit ce qu’ils ont répété devant la commission. Le rapport documente aussi l’existence d’un « Kill Switch », un dispositif activé par un logiciel baptisé « Casper » permettant d’effacer les données des ordinateurs d’Uber en cas de descente de police. Il confirme aussi l’existence d’un SMS envoyé à Emmanuel Macron par un représentant d’Uber pendant que la Répression des fraudes (DGCCRF) perquisitionnait les locaux de l’entreprise.
Un coup de pouce pour la présidentielle
Cette proximité entre Emmanuel Macron et Uber semble avant tout relever d’une vision commune de ce que devait être une société moderne, et une conviction partagée que la réglementation des taxis devait être réformée. Car la commission n’a pas été en mesure de mettre en évidence une éventuelle contrepartie au « deal » négocié avec Uber. Elle relève cependant qu’après cela, Mark MacGann alors qu’il travaillait encore à mi-temps comme lobbyiste pour le compte d’Uber, a donné de l’argent au candidat Macron et a participé à une levée de fonds pour le compte d’En Marche.
>> Uber Files : comment Emmanuel Macron s’est impliqué lors de l’arrivée du géant des VTC en France
Il lui a aussi proposé de le mettre en relation avec Jim Messina, l’ex-directeur de campagne de Barack Obama, ainsi que d’autres entrepreneurs de la Silicon Valley. Des échanges de SMS montrent encore que le candidat Macron a invité à dîner Thibaud Simphal, le directeur général d’Uber France, pour lui proposer de financer sa campagne.
Des promesses non tenues
Pour la commission d’enquête, ce soutien appuyé à Uber a contribué à créer une situation aujourd’hui défavorable aux chauffeurs. « Les promesses d’Uber en termes de création d’emplois n’ont pas été tenues », peut-on lire. Bien que des études fiables manquent sur le sujet, la sociologue Sophie Bernard a soutenu, devant la commission d’enquête, qu’Uber n’a fait que déplacer des travailleurs déjà précaires vers un autre type d’emploi tout aussi précaire, mais n’aurait pas fait baisser les chiffres du chômage. Et cette précarisation affecterait désormais de nombreuses plateformes qui s’inspirent du même modèle.
Le rapport d’enquête cite pêle-mêle : le service de livraison à domicile Deliveroo ; Getir, qui propose de livrer très rapidement des produits frais, mais aussi Stuart, une filiale de Geopost (le réseau international de livraison de colis de La Poste), ou encore StaffMe, qui fait se rencontrer des jeunes et des entreprises recherchant un renfort ponctuel. Même constat pour Mediflash, une plateforme qui met en relation des aides-soignants et des Ehpad, et qui a bénéficié d’importants financements de la Banque publique d’investissement (BPI) française.
Un soutien qui continue après 2017
La commission a aussi enquêté sur la période qui a suivi les Uber Files. Car le soutien d’Emmanuel Macron à Uber ne se serait pas arrêté en 2017. Le rapport en donne d’abord une interprétation plutôt politique, estimant que toutes les lois et réglementations qui ont été adoptées après cette date ont certes, conféré des droits nouveaux aux chauffeurs Uber, mais ce faisant, elles auraient empêché tout débat sur une éventuelle transformation de ces chauffeurs indépendants en employés. Selon le rapport, Uber « a opté pour une nouvelle stratégie collaborative et a décidé d’accompagner le renforcement des droits des travailleurs… pour éviter toute requalification de ces travailleurs en salariés« .
Cette question n’a donc été traitée qu’au cas par cas, et à chaque fois, par la justice. Le 20 janvier 2023, le conseil des prud’hommes de Lyon a requalifié 139 chauffeurs en salariés. Mais cette décision, qui est encore frappée d’appel, n’a aucun caractère jurisprudentiel. Autrement dit, elle ne peut pas être étendue aux autres chauffeurs.
Au service de l’Etat après avoir travaillé pour Uber
Le rapport relate aussi des faits qui interrogent sur l’éventuelle influence qu’Uber continuerait d’avoir en France. D’abord, la commission a établi que l’entreprise américaine avait encore eu 34 échanges avec les services du président de la République entre 2018 et 2022. Tandis que 83 échanges ont été identifiés durant la même période avec le ministère des transports.
Mais on apprend aussi qu’un cabinet de conseil américain, AT Kearney, a proposé à Uber de créer un comité d’orientation pour travailler sur une évolution du dialogue social entre la plateforme et ses chauffeurs. Il propose alors qu’il soit présidé par Bruno Mettling, un ancien DRH chez Orange, expert des conséquences de la transformation numérique sur l’organisation du travail, qui a lui-même créé un cabinet de conseil baptisé « Topics ». Jusqu’ici rien de surprenant.
Mais lorsqu’en décembre 2021, Élisabeth Borne, alors ministre du Travail, décide de mettre au point un groupe de travail pour plancher sur l’évolution du cadre réglementaire des plateformes en France, elle confie sa direction au même Bruno Mettling. Et lorsque sera créée en avril 2022 une Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi (ARPE), sa présidence sera une nouvelle fois confiée à… Bruno Mettling. L’intéressé, lui, n’y voit aucun conflit d’intérêt. Devant la commission d’enquête, il a justifié le fait qu’il ait travaillé pour Uber, par son expertise sur le sujet. Et il s’est défendu : « Je ne suis pas ici pour défendre la société Uber compte tenu de la neutralité que m’impose ma fonction de président de l’ARPE. »
ARTICLE 2
Uber Files : la commission d’enquête dénonce un « deal secret » avec Emmanuel Macron
Par Challenges.fr le 18.07.2023
Lancée il y a six mois, la commission d’enquête parlementaire a rendu son rapport final sur les Uber Files ce mardi 18 juillet. Celui-ci pointe du doigt une relation « opaque » et « privilégiée » nouée par Emmanuel Macron avec la plateforme américaine. Le rapport final a toutefois été signé uniquement par des parlementaires de l’opposition.
L’affaire avait terni le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Et les conclusions de la commission d’enquête sur les Uber Files ne risquent pas de calmer les critiques de l’opposition. Selon le rapport final publié ce mardi 18 juillet, le président et ministre de l’Economie d’alors a entretenu une relation « opaque » et « privilégiée » avec la plateforme américaine. « La confidentialité et l’intensité des contacts entre Uber, Emmanuel Macron et son cabinet témoignent d’une relation opaque mais privilégiée », y compris depuis son accession à la présidence de la République, peut-on encore lire dans le rapport.
Le président avait même passé un « deal secret » avec la société américaine pour qu’elle renonce à son application controversée Uber Pop en échange de la simplification des conditions nécessaires à l’obtention d’une licence de Voiture de transport avec chauffeur (VTC). « C’est au mépris de toute légalité, et grâce à un lobbying agressif auprès des décideurs publics, que l’entreprise américaine est parvenue à concurrencer de manière déloyale » les taxis, pose encore le rapport dans son introduction.
LIRE AUSSILes chauffeurs de VTC en pleine bataille contre les plateformes pour un salaire minimum
Selon des éléments mentionnés dans le document par la rapporteure Danielle Simonnet (LFI), Uber a également eu « 34 échanges avec les services du Président de la République entre 2018 et 2022 ». Lancée il y a six mois, la commission d’enquête a auditionné 120 personnes dont deux anciens Premiers ministres, Bernard Cazeneuve et Emmanuel Valls, ainsi que d’anciens dirigeants d’Uber pour tenter de cerner les agissements d’Uber en France entre 2014 et 2017.
Un rapport qui divise la commission
Les conclusions du rapport ont toutefois été sévèrement critiquées par le président lui-même de la commission d’enquête, Benjamin Haddad (Renaissance), qui a reproché à Danielle Simonnet de politiser l’affaire. « Il n’y a eu ni compromission, ni ‘deal’ secret, ni conflit d’intérêts, ni contreparties, contrairement à ce que tente de démontrer vainement notre rapporteure », a-t-il écrit dans son avant-propos, témoignant des fortes dissensions entre les membres de la commission d’enquête. Parmi les membres de la commission d’enquête, douze députés ont validé le rapport final – tous ceux issus de la Nupes, du groupe Liot ou du RN. Les dix députés Renaissance et leurs alliés, ainsi que l’unique élu LR, se sont abstenus.
L’affaire avait été déclenchée en juillet 2022 par la révélation des Uber Files, soit la fuite de 124.000 documents internes recueillis par Mark McGann, ancien lobbyiste pour le compte d’Uber, et communiqués au journal britannique The Guardian. En réaction, Emmanuel Macron avait déclaré « assume(r) à fond » son action auprès d’Uber, soulignant avoir agi à l’époque « pour créer des milliers d’emplois ». « Moi je suis extrêmement fier (…), il est très difficile de créer des emplois sans entreprises ni entrepreneurs », avait renchéri le chef de l’Etat. Ajoutant: « Je le referais demain et après-demain. »
LIRE AUSSIUber Files : Macron « assume à fond » son action, « je le referais demain et après-demain »