
Éloge du fédéralisme
Depuis Colbert et Mazarin, rien n’a changé : la France reste une centralisation monarchique, dénonce le juriste Grégory Berkovicz dans un essai radical. Grégory Berkovicz fait l’éloge du fédéralisme.
Pour une France fédérale, plaidoyer pour une VIe République des territoires, signé par le juriste Grégory Berkovicz et préfacé par Jean-Louis Borloo, qui vient de paraître aux éditions L’Archipel.
ARTICLE
La France reste une centralisation monarchique, dénonce le juriste Grégory Berkovicz
Publié le 24-06-2022 à 06:25 |Mis à jour le 24-06-2022 à 06:25
Voilà une question qui n’aura guère été abordée pendant cette campagne : la place de l’État et celle des territoires qui le composent. Or, l’héritage monarchique a survécu à la révolution et aux constitutions instaurant l’élection au suffrage universel, indirect puis direct, du chef de l’État. L’absolutisme et la centralisation, ces deux grandes ruptures absolues avec la féodalité, perdurent. Les rois d’hier et les présidents d’aujourd’hui restent fidèles à un dogme : tout comme il a fallu contenir les pouvoirs des grands seigneurs et l’autonomie de certaines provinces ou villes, il reste nécessaire d’assurer la suprématie du pouvoir central, même quand on décentralise.
Deux hommes ont décidé de pourfendre cette doctrine administrative très française, faite de tutelles et de normes entravant les vagues de déconcentration, dans un essai audacieux : Pour une France fédérale, plaidoyer pour une VIe République des territoires, signé par le juriste Grégory Berkovicz et préfacé par Jean-Louis Borloo, qui vient de paraître aux éditions L’Archipel.
Vous appelez à une nouvelle constitution. Les multiples actes de la décentralisation en France n’ont-ils pas suffi à enterrer la centralisation monarchique à la française ?
« Nous avons dans notre pays une décentralisation en trompe-l’œil. Énormément de compétences sont dévolues aux collectivités territoriales, mais avec deux limites. La première, c’est qu’elles le sont dans un cadre fixé au niveau de l’État. Quand vous êtes dans un État fédéral, la répartition dépend de la constitution et non du bon vouloir de l’État central. La deuxième limite, qui est la plus importante, elle est budgétaire. À chaque échelon de notre mille-feuilles institutionnel, l’autonomie fiscale est très limitée et les budgets sont sous perfusion et contrôle de l’État. »
Un État qui sur ce point est loin d’être exemplaire…
« Oui ! Cet État, qui rembourse les intérêts de sa dette avec de la dette, exige des collectivités un budget équilibré ! Même pour ce qui concerne les fonds européens qui sont gérés directement par les Régions, c’est encore l’État qui vient contrôler la bonne exécution du régime d’aides qui leur est dévolu par l’Union européenne, qui dispose de ses propres moyens de contrôle ! »
Le concept même de fédéralisme est devenu imprononçable, comme un gros mot ?
« Les responsables politiques en parlent en privé, mais dès que les micros sont ouverts, ce sont d’autres expressions qu’ils utilisent. Ils s’autocensurent et parlent alors d’autonomie fiscale, de plus grandes capacités de décision, d’un encadrement plus souple de l’État… Ils savent tous que nos plus grands voisins sont des États fédéraux qui n’ont pas fait abnégation de l’intérêt général et de la démocratie ! »
Cette crainte d’une plus grande liberté des territoires, n’est-ce pas aussi tout simplement une façon pour les élites centralisées au cœur du pouvoir parisien de préserver leur système de reproduction : grands lycées, grandes écoles, grandes entreprises, pouvoir et pantouflage ?
« C’est le système napoléonien qui perdure ! l’éthique en politique est une exigence et une valeur cardinale de notre République pour le bon fonctionnement d’une démocratieLa toute-puissance de l’administration, construite sur un modèle militaire. Ce sont des énarques et des polytechniciens formés à cette culture napoléonienne qui dirigent l’économie de ce pays, qui connaît une très grande porosité entre grandes entreprises publiques et privées. C’était nécessaire après 1789 face à une France qui était géographiquement émiettée. Mais on ne peut pas régler les crises d’aujourd’hui et de demain avec les méthodes d’hier ! »
Gilets jaunes, pouvoir d’achat : autres fractures, autres méthodes ?
« Oui ! Les Gilets jaunes n’étaient pas bretons ou alsaciens : ils étaient partout en France. Ils étaient l’émanation d’une France identifiable sociologiquement. Une France du rurbain qui se sent dévalorisée. Une France de la troisième couronne des grandes agglomérations à qui on a promis la maison, le jardin et les services urbains, mais qui ne les trouve pas ou plus. La promesse non tenue a poussé à la révolte. Ce sont des fractures qui ne sont pas géographiques et ça n’est pas la centralisation qui va permettre de les comprendre et de les résorber, c’est l’inverse, c’est à la liberté donnée aux territoires d’apporter des solutions. »