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ÉTÉ STUDIEUX AVEC METAHODOS – LES « ISME » DE LA PENSÉE : REAL… IDEAL… SPIRITUAL… (PARTIE 2)

Ces mots en “isme” qui organisent nos pensées

Depuis l’idéalisme de Platon jusqu’au post-humanisme évoqué par certains aujourd’hui, l’histoire de la philosophie est caractérisée par l’apparition régulière de mots en “isme” qui sont autant de manières de se représenter ou de structurer les choses. Cette série d’été (à retrouver tous les mardis) a pour objet d’en définir les principaux et de les mettre en perspective.

Une série d’été rédigée par Luc de Brabandere et Anne Mikolajczak, Philosophes. Prochain livre : “Petite philosophie des algorithmes sournois” (Eyrolles, septembre 2023).

PRÉCÉDENTE PUBLICATION :

ÉTÉ STUDIEUX AVEC METAHODOS – LES « ISME » DE LA PENSÉE : DOGMAT… SCEPTIS… RELATIV… (PARTIE 1). https://metahodos.fr/2023/08/16/1-7-isme/

ARTICLE

De quel camp êtes-vous? Du réalisme ou de l’idéalisme ? Du spiritualisme ou du matérialisme ?

Les Occidentaux ont une réticence vis-à-vis du matérialisme. Cela s’explique par une très longue tradition spiritualiste. à la fois platonicienne et judéo-chrétienne. Pour un Occidental, le haut domine le bas, la foi soulève des montagnes. Petit essai de définition pour mettre les choses au clair.

Publié le 18-07-2023

Le désir de réalité

Lorsque nous sommes conscients de quelque chose, quelle est la réalité première ? La conscience est-elle le reflet de ce qui est extérieur à elle, indépendant d’elle, avec ses qualités propres ? Ou est-ce que la conscience construit des représentations et réduit alors le monde aux idées qu’elle s’en fait ? Deux points de vue sont possibles.

Le réalisme est une hypothèse de travail selon laquelle des objets existent indépendamment des sujets qui peuvent donc (ou pas) les percevoir. Le réel précède l’esprit qui le perçoit, l’être/objet précède la pensée/sujet.

L’idéalisme est l’hypothèse contraire. Les réalités que nous croyons percevoir n’existent que dans la mesure où notre esprit les conçoit. Le sujet est premier par rapport aux objets. Poussé à l’extrême, l’idéalisme absolu soutient que “être, c’est être perçu”.

Le réalisme et l’idéalisme sont des points de vue antagonistes certes, mais ils ambitionnent de répondre à la même question : dans quelle pièce joue-t-on ? Autrement dit, de manière familière, c’est quoi le problème ?

Matière et esprit

Ce socle à peine posé, une très grosse difficulté surgit. Pour Platon en effet, la seule réalité est celle des… Idées ! Paradoxalement, il existe donc au départ même de la philosophie un “réalisme des idées”, présenté par Platon dans sa théorie des Formes, selon laquelle les Idées ont une existence en tant que telles dans un monde intelligible, indépendante de nous et du monde sensible dans lequel nous vivons.

Cette situation génère beaucoup de confusion. La place de Platon dans l’Histoire est telle que les mots réalisme et idéalisme présentés ici en opposition vont être utilisés par beaucoup comme des synonymes ! Certains auteurs en effet ne disent pas “réalisme des Idées” mais “réalisme” tout court.

Être réaliste, c’est le plus souvent être dualiste. Le dualisme est une doctrine philosophique qui pose dès le départ deux principes irréductibles et indépendants, des substances matérielles et des substances mentales. Un dualiste emblématique est bien sûr Descartes qui distingue ainsi la chose étendue et la chose pensante, et pose comme principe l’existence de Dieu.

Le dualisme s’oppose au monisme qui soutient l’unicité de la substance qui compose l’univers. Le monisme pose la matière et l’esprit inséparables, et ne peut donc dissocier les sciences de la nature et les sciences cognitives. Spinoza, à la différence de Descartes, ne fait pas du corps et de l’esprit deux substances différentes, mais deux attributs d’une substance unique qu’il appelle “Dieu ou la Nature”.

Dans l’Antiquité, le dualisme était l’hypothèse dominante, aujourd’hui, ce serait plutôt le monisme. Le changement de polarité s’est produit au siècle des Lumières, principalement sous l’influence de Kant. L’hypothèse moniste est implicite dès que l’on cherche à développer des médicaments antidépresseurs ou des exosquelettes actionnables par la pensée.

Le haut et le bas

Quand on se pose la question de la hiérarchie entre l’esprit et la matière, à nouveau deux attitudes sont possibles.

Le spiritualisme est une position philosophique selon laquelle l’esprit est premier. Il peut être défini comme la substance qui s’identifie à la pensée. Si on la conçoit universelle, certains l’identifient à Dieu, si on la conçoit individuelle, d’autres l’identifient à l’âme.

Le matérialisme est la position opposée, qui affirme la supériorité ontologique de la matière sur l’esprit. La matière peut être définie comme la substance constitutive des corps qui ont une forme, une masse et qui occupent l’espace. On est à nouveau très loin de l’usage courant du mot.

L’opposition matérialisme-spiritualisme est fondamentale car elle va proposer des réponses très différentes aux questions les plus conflictuelles du débat philosophique :

• Y a-t-il un Dieu, ou une autre entité transcendante suprahumaine ?

• Avons-nous une “âme” ? Survit-elle après la mort ?

• Quelle est l’origine de l’univers et de la vie ?

• Comment régler notre conduite ? Sur quels principes fonder une éthique ?

Les Occidentaux, qu’ils le veuillent ou non, ont une réticence, un a priori négatif vis-à-vis du matérialisme. Cela s’explique par une très longue tradition spiritualiste, à la fois platonicienne et judéo-chrétienne, où un monde du “dessus” qui nous échappe est premier par rapport au monde du “dessous” dans lequel nous vivons. Pour un Occidental, l’explication matérialiste est réductrice, elle s’apparente à l’irrespect voire au sacrilège. Pas étonnant qu’on entende parler de préoccupations hautement spirituelles ou bassement matérielles !

Consciemment ou non, pour un Occidental, le haut domine le bas, le supérieur explique l’inférieur. Le ciel y domine la terre, la foi soulève des montagnes, une intelligence transcendantale a conçu l’univers, le génie de l’homme permet le progrès, etc.

Le haut, ce sont les bons sentiments, la noblesse, l’intelligence, la vertu, bref, tout ce qui nous élève. Le bas, ce sont le péché, le vulgaire ou le mesquin, bref, tout ce qui nous abaisse.

Le spiritualisme fonde la morale sur quelques piliers fondamentaux, l’obéissance, l’espérance et l’aspiration à la pureté. En proclamant la primauté de l’esprit sur le corps, il prêche souvent des conduites où les dimensions physiques ou sexuelles se trouvent brimées, ostracisées, voire persécutées.

Une morale matérialiste par contre va réhabiliter le corps, le plaisir, la nudité, la bonne chère. Mais elle n’exclut en rien des valeurs comme la tolérance, la fraternité, et il nous faut réaffirmer que le spiritualisme n’a pas le monopole de la spiritualité !

Définition

Le réalisme est une hypothèse de travail selon laquelle l’homme peut objectivement appréhender une réalité qui lui est extérieure.

L’idéalisme est l’hypothèse contraire, selon laquelle les objets n’existent que par les idées que s’en font les sujets.

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