
ÉMISSION
Que nous a appris l’Athènes démocratique antique ?
Mardi 30 mai 2023 FRANCE CULTURE
S’intéresser au processus historique de la naissance du « peuple » implique de retracer l’histoire de l’instauration de la démocratie dans l’Athènes antique. Comment gouvernait le dèmos, c’est-à-dire le corps civique de la cité, dans l’Antiquité grecque ? Que retenir de cette conception du « peuple » ?
Avec
- Noémie Villacèque Maîtresse de conférence en Histoire grecque à l’Université de Reims Champagne-Ardenne
- René de Nicolay Agrégé de lettres classiques, docteur en philosophie de l’ENS et de l’université de Princeton, et chercheur associé à l’université de Zurich
Avec philosophie consacre cette série d’émissions à la notion de peuple. Dans ce deuxième épisode, Géraldine Muhlmann, avec Noémie Villacèque et René de Nicolay, se demandent ce que nous a appris l’Athènes démocratique antique. Quelles étaient ses institutions et son corps politique ? A-t-elle vraiment évité le phénomène de la représentation comme on le dit parfois ? Ou bien a-t-elle plutôt trouvé des contrepoids à ses représentants pour empêcher qu’ils aient trop de pouvoir ? Comment y a-t-on pensé le problème de la répartition des richesses, problème qui ne manque pas d’apparaître quand il y a égalité politique des citoyens, mais non égalité économique ? Comment cette démocratie a-t-elle été perçue par les philosophes d’Athènes, en particulier par Platon et Aristote qui avaient là-dessus des avis opposés ? Retour à l’Athènes antique pour répondre à ces questions !
Des réformes de Solon à celles de Clisthène
Au milieu des années 590 avant J.-C., Athènes est dans une situation extrêmement troublée. Noémie Villacèque précise que « les inégalités sont de plus en plus criantes entre un peuple qui est sous la menace perpétuelle d’un asservissement pour dettes et des élites, certes peu nombreuses, mais qui possèdent à la fois les terres et le pouvoir ». C’est dans cette situation conflictuelle, voire violente, que Solon, aristocrate membre de l’une des plus grandes familles athéniennes, est élu comme « arbitre et archonte », dit Aristote*.* Il se trouve alors « au milieu de la lice », selon Nicole Loraux. Autrement dit, il se trouve entre le peuple et les élites pour résoudre le problème*.* Ses réformes consistent non seulement à abolir les dettes, mais aussi à « donner au peuple le pouvoir de désigner les magistrats qui doivent désormais rendre des comptes au peuple. Mais Aristote souligne bien que les élites gardent toutes les magistratures. Ce n’est pas encore une démocratie, mais une collégialité », explique-t-elle*.*
Noémie Villacèque poursuit : « Clisthène arrive sur le devant de la scène politique en 508 avant J.-C. grâce au peuple qui le rappelle alors qu’il était en exil. Il est à l’origine de réformes dans l’intérêt du peuple, ce dernier prenant conscience de lui-même à cette période. Clisthène met en place un système fondé sur la répartition géographique. »
Le régime démocratique athénien, un régime contradictoire ?
René de Nicolay revient sur la tension dans l’histoire d’Athènes, au IVe et au Ve siècles, « entre l’idée que le peuple, de fait, gagne de plus en plus de compétences, étend son pouvoir, et l’idée que cette extension du pouvoir populaire ne doit pas empêcher l’élite intellectuelle et, dans une certaine mesure, sociale, de jouer son rôle, à savoir celui d’éclairer le peuple et d’exercer sa compétence ».
Il poursuit *: « C’est le cas pour les stratèges notamment : personne n’aurait envie de confier une armée à quelqu’un qui n’a pas d’expérience ni de talent particulier. (…) C’*est ce qui fait dire à certains critiques, comme Le Vieil Oligarque, que ce régime est éminemment contradictoire. Cet auteur anonyme dit qu’en démocratie, on tire au sort les magistrats de façon à ce que le peuple puisse exercer lui-même les fonctions exécutives, mais que, dès qu’il s’agit de choses vraiment sérieuses, on se met à passer au vote et à élire des gens issus de l’élite. »
À réécouter : Quel est le meilleur régime politique identifié par Aristote ?
Pour en parler
Noémie Villacèque, maîtresse de conférence en Histoire grecque à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et membre du CERHIC. Elle a beaucoup travaillé sur la théâtralité de la délibération dans la démocratie athénienne (sujet de sa thèse, publiée en 2013 aux Presses universitaires de Rennes sous le titre Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l’époque classique). Aujourd’hui, ses travaux ont pris une nouvelle direction, puisqu’elle travaille sur la question du luxe dans la démocratie athénienne, en essayant notamment de comprendre si cela représentait un problème politique.
En lien avec la thématique de l’émission, elle a notamment publié :
- Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l’époque classique, Presses Universitaires de Rennes, collection “Histoire”, 2013.
- Direction d’ouvrage : À l’Assemblée comme au théâtre. Pratiques délibératives des Anciens, perception et résonances modernes, Presses universitaires de Rennes, 2018.
- Un article : “Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l’Athènes classique”, dans Participations, vol. 3, no. 2, 2012, pp. 49-69.
René de Nicolay, agrégé de lettres classiques, docteur en philosophie de l’ENS et de l’université de Princeton, et chercheur associé à l’université de Zurich. Il a soutenu une thèse en mai 2022 intitulée “Le thème de la liberté excessive dans la philosophie antique : Platon, Aristote et Cicéron”, dont la version anglaise paraîtra d’ici 2024 à Cambridge University Press. Il a également publié des articles sur Platon (revue Polis, 2021), Polybe (revue Historia, 2023), Théophraste (Cambridge Classical Journal, 2023) et Cicéron (revue Classical Philology, 2021).
LIEN VERS L’EMISSION
Références sonores
- Archive de Pierre Vidal-Naquet, « Les lundis de l’histoire », France Culture, février 1976
- Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait de Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, discours de Périclès
- Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait de Platon, La République, livre VIII
- Lecture par Aïda N’Diaye d’un extrait d’Aristote, Politiques, chapitre 5, livre VI
- Chanson de fil d’émission : Tears for Fears, « Everybody wants to rule the world » tiré de l’album Songs from the Big Chair (1985)