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L’ÉTÉ STUDIEUX AVEC METAHODOS : LE CHANT GRÉGORIEN CHARNEL ET TRANSCENDANT

Désorientalisation : Le chant grégorien, une transe méditative qui vient d’Orient

Jeudi 3 août 2023 RADIO FRANCE

Savez-vous que les chants grégoriens que l’on chantait autrefois étaient beaucoup moins austères que ceux qu’on écoute aujourd’hui ? 

Le chant grégorien est un son long et continue, amplifié et réverbéré par l’acoustique des églises, des réfectoires des monastères qui génèrent une vibration apaisante. Toutes ces voix d’hommes, tous à l’unisson créent un corpus unique. Le chanteur se fond dans la masse, il ne s’appartient plus. Il est immergé dans une spiritualité vibrante quasi charnelle. Quant à celui qui écoute, il ressent à la fois un sentiment d’appartenance à une communauté en même temps qu’un élan vers la transcendance. L’humain et le divin n’ont jamais communiqué de manière plus intime que dans la beauté de ces sons dépouillés.

Le mot latin est au cœur de la composition grégorienne. C’est de lui que jaillit le chant. Il s’agissait de rendre vivants les textes et pour cela, il suffisait de restituer la musicalité propre à chaque mot. Un bon chantre, c’est quelqu’un qui est à l’écoute du monde et qui doit restituer son essence en le faisant vibrer. Un chant porte un sous-texte mélodique en lui. C’est pourquoi nous sommes émus par des mélopées dont nous ne comprenons pas la langue. Le sous-texte de la mélodie doit appuyer la signification de l’écriture.

Sur une note fondamentale que l’on appelle « corde », le chanteur brodait d’abord librement, puis petit à petit, au gré des trouvailles, on commença à fixer les variations les plus heureuses sur des mots donnés. Puis on fixa pour chaque mot sa petite mélodie. Les notes persistantes sont les structures, le squelette, le mode autour duquel la vie de la mélodie prend forme. Selon les cordes principales d’un mode, l’impact produit sur notre psychologie est différent.

Les anciens avaient bien remarqué que des mélodies diverses produisaient un climat, une atmosphère différente. On a utilisé un mot grec pour cela. On parle d’ambiance, d’atmosphère. Ainsi, pour les médiévaux, le premier mode avait-il une atmosphère grave. Le deuxième mode était plutôt triste. Le troisième, c’était les mystiques. Et ainsi de suite pour les autres. Mais une chose est certaine, c’est que la signature orientale, autrement expressive va rapidement disparaître, sans doute sous l’influence des Gaulois, des Celtes, des Francs, de toutes les tribus du Nord qui fonctionnaient plutôt sur des modes pentatoniques, c’est-à-dire des gammes à cinq sons beaucoup moins sophistiqués que les modes orientaux.

Aussi, le chant grégorien va-t-il subir une longue désorientalisation. Les demi-tons, les arabesques infinies, les incantations passionnées, tout cela va prendre une figure beaucoup plus austère, satisfaisant sans le vouloir le souhait des philosophes antiques comme Platon ou Aristote, à savoir destiner la musique au commerce spirituel uniquement et bannir de la cité les autres musiques qui, dans le meilleur des cas, ramollissaient les hommes et dans le pire, les conduisaient tout droit à la débauche.

Mais la musique est comme l’eau, une force difficile à contenir. Elle va déborder bientôt chez les troubadours et dans les premières polyphonies, amorçant le déclin du chant grégorien.

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