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ZONES COMMERCIALES : « DE L’ELDORADO AU PÉRIL » ?

RÉINVENTER LES ZONES COMMERCIALES

L’exécutif veut réinventer les zones commerciales françaises pour leur donner un nouveau souffle. L’idée est de disposer d’une vingtaine de « démonstrateurs » qui serviront ensuite d’exemples.

NOUS VOUS PROPOSONS DEUX ARTICLES :

1. Le plan du gouvernement pour transformer les zones commerciales

2. Zones commerciales périphériques : de l’eldorado économique au péril territorial

1. ARTICLE

Le plan du gouvernement pour transformer les zones commerciales

Publié le 11 septembre 2023 L’OPINION

L’exécutif fait face au défi de redonner un nouveau souffle aux 1 500 à 1 800 zones commerciales qui existent en France. Pour ce faire, Olivia Grégoire, ministre du Commerce et des PME, et Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, sont à la manœuvre, note BFM Business. Un plan doit être dévoilé ce lundi 11 septembre.

Après neuf mois de concertation avec une soixantaine d’acteurs (aménageurs, élus, promoteurs, architectes, etc.), des pistes émergent pour adapter les zones commerciales aux problématiques environnementale, économique et sociétale, et tenter, ce faisant, de redessiner les entrées des villes. L’idée est de lancer un appel à projets auprès des collectivités afin de disposer d’une vingtaine de « démonstrateurs » qui pourront servir ensuite d’exemples, précisent Les Echos.

« France moche ». « Il y a environ 6 millions de mètres carrés à convertir. Il faudrait déjà s’attaquer au premier million », développe Jacques Ehrmann, directeur général d’Altarea, auprès du quotidien économique. Les ambitions gouvernementales varieraient en fonction des zones.

Pour les zones commerciales qui fonctionnent bien, l’objectif est de les rendre plus agréables, loin de la « France moche » décrite un jour dans Télérama. L’horizon pourrait être un mix entre commerces, bureaux et logements, afin de leur donner de nouveaux atours. Deux projets de transformation de zones commerciales en quartier mixte sont, par exemple, en cours à Sartrouville et Nantes (un millier de logements chacune).

La place de la nature devrait également être retravaillée et une densification en hauteur pourrait aussi avoir lieu, notamment concernant les bâtiments prenant une place importante au sol. L’objectif est, également, de mettre aux normes les cubes en bardage métallique, qui sont de vraies « passoires thermiques ».

Les zones en difficulté, elles, pourraient voir leur fonction totalement réorientée : par exemple en site d’implantation d’usine ou de centre logistique, ou encore en champ de panneaux solaires.

Administratif. Pour réaliser ces deux ambitions, un gros travail administratif s’annonce : il faudra indemniser les commerçants qui se verront temporairement privés d’activité, et redéployer les sites (permis de construire, autorisations commerciales, etc.). Mais le projet de loi sur l’industrie verte, qui est en cours d’examen, devrait faciliter les processus via une nouvelle disposition. La question de dérogations gouvernementales pour la création de logements dans les zones commerciales serait aussi sur la table. Le raccourcissement des délais d’instruction des dossiers est une attente des professionnels du secteur de l’immobilier commercial.

Côté coûts, Christophe Noël, délégué général de la Fédération des acteurs du commerce dans les territoires, évoque sur BFM Business « plusieurs dizaines de milliards d’euros ». La charge en reviendra pour la plus grande partie aux entreprises privées, qui devraient y trouver de nouveaux horizons. Il n’est en effet plus question d’artificialiser les sols avec la loi Climat et Résilience.

A noter, également, que 45 villes moyennes (Agen, Epinal, Morlaix, Rochefort, etc.) sont candidates au deuxième volet du programme Action cœur de ville (24 millions d’euros de fonds). De son côté, la Banque des territoires doit apporter 15 millions d’euros.

2. ARTICLE

Zones commerciales périphériques : de l’eldorado économique au péril territorial

Samuel Deprez, Université Le Havre Normandie THE CONVERSATION

La ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l’artisanat et du tourisme, Olivia Grégoire, annonçait en octobre dernier un plan de transformation des zones commerciales doté de 24 millions d’euros en 2023, avec pour principale ligne directrice la transformation des plus touchées par la vacance. Ce sujet du commerce périphérique et de son évolution fait ainsi l’objet de projets ambitieux et nécessaires, également à l’agenda politique de cette rentrée, mais qui appellent des changements bien plus profonds que nous avons mis en évidence dans de précédents travaux.

Prenons un exemple concret, en Seine-Maritime. Au cœur de l’été normand, les engins de construction réalisent les derniers aménagements du Parc des Senteurs 3, un énième ensemble commercial qui, sur 8 500 m2, accueillera dans quelques mois cinq nouvelles enseignes, sises dans la commune de Pissy-Pôville.

Ce projet fut en première intention refusé (avis défavorable n°2018-01 du 27 mars 2018) par la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) en raison d’une vacance commerciale forte dans la zone voisine où de nombreux locaux attendent depuis longtemps d’accueillir de nouvelles activités et du non-recours aux énergies renouvelables. Il a finalement été accepté en seconde lecture et motivé par les réponses du requérant sur le volet environnemental (avis favorable n°2019-09 du 23 juillet 2019).

Ce volte-face résume à bien des égards toute la réalité du moment où, à travers des démarches plus « vertueuses » – un mur végétalisé sur un bâtiment, des panneaux photovoltaïques sur son toit, des bornes de recharges électriques, des arceaux pour les vélos, le tri des déchets… –, le « développement durable » est mobilisé pour légitimer la non-remise en question du modèle commercial à la française dont on observe à la fois l’essoufflement et les dérives.

Illustration d’un mal français

Cet équipement – la troisième réalisation du même promoteur après l’ouverture des parcs éponymes 1 et 2 en 2009 et 2015 – marque un nouveau temps d’un long processus de mise en commerce initié il y a 40 ans maintenant, avec l’inauguration de l’hypermarché Carrefour et de sa galerie marchande dans la commune voisine de Barentin. Autour de lui s’est développée pas à pas une vaste zone commerciale où se juxtaposent, sans cohérence d’ensemble, les différents modèles d’implantation.

On pense ainsi aux parcs solos dans les années 1970, aux parcs d’aménagement commercial de la décennie suivante et au plus récents retail park. Tous ont marqué avec la même brutalité, partout sur le territoire, les entrées de villes comme les périphéries urbaines et alimenté une consommation effrénée de terres agricoles pour développer une offre toujours plus dense et diversifiée et créer les parking pour accueillir les clients. À titre d’exemple l’Île-de-France compte à elle seule 3 400 hectares de surface commerciale : 48 % de l’emprise seraient occupés par le bâti, 28 % par des parkings et les 24 % restants par des « espaces libres, artificialisés, essentiellement dédiés aux circulations ».

Un colosse au pied d’argile

https://www.youtube.com/embed/TIPtceGULZM?wmode=transparent&start=0 4 septembre 1990 A Rennes, le centre commercial Alma s’agrandit avec la création d’une tour de verre, Alma CITY. Le journaliste Loïc MATHIEU en fait un billet d’humeur, regrettant l’ancienne épicerie de village qui disparaît derrière les centres commerciaux, signe de l’évolution des mentalités et de la consommation (Institut National de l’Audiovisuel/INA).

On a longtemps cru le modèle pérenne et difficile à contester. On le sait désormais fragilisé et vulnérable. Les inquiétudes transparaissent dans le discours alarmiste des professionnels du secteur.

« Jamais la mise en place d’une politique publique du commerce n’a été aussi urgente et impérative. Il n’est plus possible d’attendre. Il faut à la fois stopper l’hémorragie, éviter une décommercialisation suite à la multiplication de fermetures de points de vente, les défaillances de réseaux et la vacance commerciale. »

Évolution du taux de vacance commerciale par type de pôle marchand en France entre 2013 et 2019. Panel Institut pour la Ville et le Commerce 220 agglomérations, données Codata retraitées, ORF, Fourni par l’auteur

Les termes sont du directeur de la fédération pour la promotion du commerce spécialisé (PROCOS) pour rappeler les difficultés du commerce spécialisé, omniprésent dans les zones périphériques. Et les prévisions de l’Observatoire régional du foncier d’Île-de-France ne sont guère plus rassurantes : « Si cette dynamique nationale se poursuit, la vacance pourrait atteindre les 11 % en 2025 et 13 % en 2030 ».

Surproduction immobilière : spéculation financière et déni territorial

On observe pourtant une reprise rapide post-Covid de la production de mètres carrés dans l’immobilier commercial : s’il reste encore inférieur de 40 % à son niveau pré-pandémique de 2019 et se décline sous des projets plus petits, le volume global des surfaces (922 570 m²) augmente de 50 % sur un an.

La financiarisation de l’immobilier commercial dans lequel chaque point de vente constitue un actif dans un portefeuille constitue le principal moteur de cette fuite en avant dans la production de surfaces de vente. Elle a porté un découplage croissant entre l’évolution des surfaces de commerce et l’évolution de la consommation des territoires bien identifié par Pascal Madry et alimenté, par effet rebond, dans un contexte de tassement des ventes et de recomposition des activités commerciales, le phénomène de vacance.

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Au gré de cessations d’activités, de rachats ou de repositionnements stratégiques des promoteurs et des franchises apparaissent et s’effacent ainsi des enseignes, se ferment et s’ouvrent de nouveaux points de vente sans que l’arrière-plan territorial ne dépasse la présence d’un marché rémunérateur. Ainsi les territoires sont-ils devenus de simples terrains de jeu, sans aucune attention ou presque sur les effets de leur implantation puis de leur départ sur l’économie locale et moins encore l’environnement.

Gabegie et dérives environnementales

On n’oublie en effet trop rapidement qu’à chaque nouveau mètre carré construit sont associées des consommations plurielles : de foncier, avec tous les effets de l’imperméabilisation des sols sur la gestion des eaux, la faune, la flore et les équilibres naturels ; de matériaux, souvent non renouvelables, pour bâtir et aménager les parkings ; d’énergie pour chauffer, éclairer et climatiser des locaux ; de carburants aussi, par les véhicules des clients et ceux des professionnels pour approvisionner les points de vente ou évacuer les déchets.

Et d’autres consommations seront engagées demain pour le démantèlement des équipements sans occupation et la requalification de ces espaces pour évoluer vers d’autres usages.

Penser l’urbanisme par la consommation : une nouvelle approche

Aussi faut-il retenir de l’exemple des zones périphériques des enseignements bien plus profonds qui amènent à réinterroger les approches, les conceptions et les façons d’agir en matière d’urbanisme. Il invite à poser la consommation comme fil directeur et élément transverse dans les réflexions sur la fabrique des territoires et le projet urbain.

La consommation est à la fois pratique et réponse à la satisfaction d’un besoin (ici l’approvisionnement et l’équipement des personnes et foyers, ailleurs des carburants ou de tout bien) ; fonctionnelle (électricité et flux divers dans un commerce, un logement ou tout autre équipement) ; matérielle au sens des éléments produits et mobilisés pour la construction des infrastructures et autres artefacts puis leur effacement. Elle concerne enfin aussi les ressources, foncières et naturelles, renouvelables ou non ainsi qu’un ensemble d’autres facteurs.

À cette croisée entre consommations et urbanisme prennent corps les fondements possibles d’une dialectique nouvelle, que j’appelle le consurbanisme, pour poser un regard original sur les divers processus d’urbanisation passés et présents et proposer une grille de lecture des futurs projets dans un contexte de dépassement des limites planétaires. Les trajectoires du moment dans certains secteurs – la création effrénée d’entrepôts logistiques par exemple – en rappellent avec force toute l’urgence.

Mais il nous faudra aussi réinterroger fondamentalement la société de l’hyperconsommation qui porte et alimente tous ces processus. Les échanges dans le cadre du prochain colloque du cercle de l’ObSoCo nous y aideront sans nul doute.

Samuel Deprez, Maître de conférences habilité à diriger des recherches en aménagement de l’espace et urbanisme, Université Le Havre Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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