
Ces juridictions d’un nouveau genre sans jury populaire
Ces juridictions d’un nouveau genre – de par l’absence de jury populaire – se différencient des cours d’assises, qu’elles visent à désengorger. Pour leurs détracteurs, elles contreviennent à de nombreux principes de droit. La Cour de cassation se penche sur le sujet, mercredi.
MAJ 22 septembre
Pourquoi la Cour de cassation renvoie-t-elle ces QPC au Conseil constitutionnel ?
La Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant le jugement des crimes par la cour criminelle départementale, juridiction qui ne fait pas intervenir de jurés.
- Ces QPC invoquent la violation d’un principe constitutionnel selon lequel le jugement des affaires criminelles devrait faire intervenir des jurés. Or, cette question est nouvelle, le Conseil constitutionnel n’ayant encore jamais eu l’occasion de dire si un tel principe constitutionnel existe ou non.
- Ces QPC interrogent par ailleurs la différence de traitement entre les accusés, selon qu’ils sont jugés ou non par des jurés. Or, la question est sérieuse, notamment parce que les règles concernant la détermination de la majorité nécessaire pour prononcer un verdict de culpabilité ou la peine maximale encourue sont différentes selon que les accusés sont jugés par une juridiction comprenant ou non des jurés.
(Source : COUR DE CASSATION)
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ARTICLE
Les cours criminelles départementales au cœur de deux questions prioritaires de constitutionnalité
Les opposants à l’instauration des cours criminelles départementales (CCD) ne désarment pas et choisissent le terrain du droit pour contre-attaquer. La Cour de cassation examinera, mercredi 20 septembre, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui soulèvent des arguments similaires concernant les CCD. L’une a été soulevée par Mes Antoine Ory et Maïa Kantor et sera plaidée par Me David Gaschignard. L’autre a été amenée par Me Jean-François Barre et sera soutenue par Me Hélène Farge. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire joue ici le rôle de filtre en décidant de la recevabilité ou non de la question posée avant de la transmettre, éventuellement, au Conseil constitutionnel.
Encore peu connues du grand public, les CCD sont des juridictions d’un nouveau genre. Elles ont été généralisées le 1er janvier, après une phase d’expérimentation de trois ans dans quinze départements. Elles se différencient des cours d’assises par l’absence de jury populaire : elles sont composées de cinq magistrats professionnels, quand les assises en comptent trois, plus les six jurés tirés au sort. Les CCD sont compétentes pour juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de prison, soit essentiellement des viols.
Pour ses détracteurs, cette nouveauté, qui vise notamment à désengorger les assises et à rendre des décisions plus rapidement, contrevient à de nombreux principes de droit. Ce sont ces derniers que Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris-VIII et l’un des opposants les plus actifs aux CCD, a relevés dans un article de doctrine au début de l’été. De leur côté, les avocats ont travaillé dans le même sens, complétant le travail de M. Fiorini. C’est sur cette base argumentaire qu’ont été construites les QPC présentées à la Cour de cassation mercredi.
Ruptures d’égalité
Ainsi, Me Ory estime que les CCD méconnaissent l’obligation d’oralité des débats en matière criminelle. Pour l’avocat, cette garantie fondamentale des droits de la défense est « foulée aux pieds » par les nouvelles dispositions. « C’est une garantie essentielle pour l’accusé, qui est intégralement en mesure de se défendre sur ce qui est évoqué oralement et contradictoirement à l’audience. Aux assises, les jurés n’ont pas accès au dossier et la décision se fait à l’audience, explique l’avocat. Devant le tribunal correctionnel, ce n’est pas le cas. Les juges professionnels ont accès au dossier, on retrouve parfois des éléments qui n’ont pas été évoqués à l’audience. C’est ce qu’il risque de se passer devant la CCD. » Et d’appuyer son raisonnement en citant l’article 380-19 du code de procédure pénale, qui dispose que « la cour criminelle départementale délibère en étant en possession de l’entier dossier de la procédure ».
Autre argument soulevé : la rupture d’égalité devant la loi. Les avocats en comptent trois. Deux d’entre elles concernent les règles de vote sur la culpabilité de l’accusé et sur la détermination du quantum de la peine.
Selon les avocats, les cours criminelles départementales actent la disparition de la « minorité de faveur ». En clair : selon le code de procédure pénale, devant les assises, les décisions défavorables à l’accusé ne peuvent être acquises qu’à la majorité d’au moins sept voix sur neuf. Pour les CCD, ce sera à la majorité simple. « En résumé, on a plus de chances d’être condamné devant une cour criminelle départementale », explique M. Fiorini.
Etape préliminaire
Le même problème se pose pour déterminer le quantum de la peine, lorsqu’on doit condamner un accusé à la peine maximale : devant les CCD, c’est à la majorité simple, devant les assises, à la majorité qualifiée de sept voix sur neuf.
Enfin, les avocats souhaitent faire reconnaître comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République » – à valeur constitutionnelle – le fait que les crimes de droit commun doivent être jugés par un jury populaire. Si le Conseil constitutionnel n’a pas encore consacré le principe de l’intervention du jury populaire pour les crimes de droit commun, une décision de 1986 concernant les cours d’assises spécialement composées (compétentes pour les actes de terrorisme et qui ne comptent que des magistrats professionnels), l’évoque en ces termes : « L’exception apportée au principe de l’intervention du jury a un caractère limité. »
Or, les pourfendeurs des cours criminelles départementales assurent que la situation est totalement différente puisque ces nouvelles juridictions sont amenées à juger une bonne partie du contentieux criminel (55 %, selon le rapport du comité d’évaluation des CCD, paru en octobre 2022). L’exception deviendrait donc la règle.
L’examen de ces questions prioritaires de constitutionnalité n’est qu’une étape préliminaire. Si la Cour de cassation décide de les transmettre au Conseil constitutionnel, c’est ce dernier qui devra se prononcer.