Aller au contenu principal

MAJ – ÉLOGE DE LA REDISTRIBUTION : UNE ÉTUDE BIEN PEU CONVAINQUANTE ? SERVICE PUBLIC (3)

L’INSEE PUBLIE UNE ÉTUDE QUI POSE AU MOINS AUTANT DE PROBLÈMES QU’ELLE N’ANNONCE DE BONNES NOUVELLES

Selon l’ étude de l’Insee, la redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliorerait le niveau de vie de 57 % des Français.

Ses auteurs :

Michaël Sicsic est économiste à l’Insee et chercheur associé au CRED (TEPP).

Mathias André est chargé d’études (Insee) Docteur en économie diplômé de l’École Polytechnique.

DES POINTS MAJEURS MERITENT D’ÊTRE CREUSÉS

– Dans l’étude, les prestations publiques sont évaluées en fonction de leur coût, selon les méthodes de la comptabilité nationale, sans tenir compte de leur qualité ou de leur effet et efficacité. Et dans le coût il y a les dépenses de l’administration en traitements, fonctionnement, investissement… Quelle est la valeur ajoutée dont bénéficient les Français ?

Quelles sont les conditions d’accessibilité à ces services pour les populations défavorisées ? L’étude semble les ignorer et surévaluer ainsi les apports à ces populations.

Metahodos a formulé des propositions sur l’évaluation des politiques publiques – au cœur desquelles les services publics et plus largement les services d’intérêt général – et sur une action publique coordonnée entre l’Etat et les régions pour en garantir l’accès qq soient les situations géographiques ou sociales.

VOIR NOTRE PUBLICATION PROCHAINE :

SERVICES PUBLICS (3) : SI ON EN ÉVALUAIT L’EFFICIENCE ET LES INSUFFISANCES

ET NOS PRÉCÉDENTES PUBLICATIONS RELATIVES AUX SERVICES PUBLICS ET À LA REDISTRIBUTION « ÉLARGIE » :

SERVICE PUBLIC (1) L’ETAT ET SES RESPONSABLES N’ONT PAS SU S’ADAPTER – L’ACTION PUBLIQUE EN PANNE. https://metahodos.fr/2023/09/18/service-public-1-letat-et-ses-responsables-nont-pas-su-sadapter-laction-publique-en-panne/

Services publics (2) : « ILS CRAQUENT » – PRÉSENTATION DU RAPPORT. https://metahodos.fr/2023/09/19/services-publics/

– Les retraites sont prises en compte alors qu’elles sont principalement financées par des cotisations. De ce fait la part des plus de 60 ans dans les bénéficiaires sont extrêmement nombreux. Comment a-t-on procédé ?

– Il y a d’autres biais :

Les plus modestes ont des remboursements santé plus élevés en raison de problèmes de santé supérieurs. Par ailleurs ils bénéficient de davantage de prestations de services publics en raison de leur situation et de leur environnement moins favorables.

Autre observation évoquée plus haut : les catégories plus « riches » consomment d’avantage de certains services publics : éducation, culture … ( la part de l’éducation dans les coûts des services publics est considérable).

La logique exclusivement théorique et arithmétique de l’étude de l’Insee lui enlève une bonne part de sa pertinence

Si elle est intéressante en particulier sur la redistribution impôts/prestations financières, elle est très discutable sur les prestations non financières et sur les retraites.

Sur le second point seules des études qualitatives associées à l’évaluation des conditions de production de celles ci par l’administration auraient du sens.

Et sans parler des services ou avantages/ inconvénients non monétisés ou monétisantes qui contribuent vers le haut ou le bas au Bien Être – Notion plus riche et bien plus réelle pour les personnes – l’environnement naturel préservé et accessible, l’urbanisme, l’accessibilité aux services d’intérêt général…

Le bien être est une notion qui relève largement du ressenti, mais il s’objective désormais ; et il est étonnant que l’administration (Insee) soit muette sur ce point au moment où elle se félicite d’une étude somme toute bien peu ambitieuse.

Le coût économique d’une redistribution massive et pas toujours cohérente ( dépenses d’administration, fiscalité – l’impôt tue l’impôt ou la resistance à l’impôt – , assistanat .., et la France performe sur ces points ) sont à prendre en compte dans une telle analyse qui vise à démontrer (?) les bienfaits de l’Etat interventionniste.

UNE REDISTRIBUTION À EFFETS NÉGATIFS ÉGALEMENT :

Ouvriers et employés ne sont plus gagnants ( classes moyennes )

C’est une donnée choc de la dernière étude statistique de l’INSEE : depuis 2019, la redistribution des richesses par l’Etat a des effets neutres sur le niveau de vie des ouvriers et employés.

57 % des résidents en France sont gagnants à cette redistribution des richesses organisée par l’Etat.

Cela laisse environ 43 % de perdants et parmi eux, une grande partie des classes moyennes et populaires : en raison des ponctions sur le salaire, ouvriers et employés pris globalement reçoivent autant qu’ils donnent à la collectivité.

Une situation qui semble nouvelle et qui apporte un éclairage au mécontentement de certaines personnes : ces salariés des territoires périphériques, de plus en plus ponctionnés par un Etat endetté et clientéliste, sont en même temps confrontés au déclin quantitatif et qualitatif des services publics dans leur région. « Travailler ne paye plus pour les plus modestes. » entend on de plus en plus. L’Insee vient éclairer ce sujet mais l’écarte dans sa communication .

NOUS VOUS PROPOSONS 3 SÉQUENCES

1. « La France, avide de redistribution ? Quand l’Insee coupe court au récit de Thomas Piketty »

2. La redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes

3. Inégalités: ce que cette nouvelle étude de l’Insee révèle sur la redistribution en France… et ce qu’elle ne dit pas

1. « La France, avide de redistribution ? Quand l’Insee coupe court au récit de Thomas Piketty »

TITRAIT L’EXPRESS – Arnaud Bouillin. Publié le 21/09/2023 – QUI POURSUIVAIT :

« La dernière analyse de l’Institut national de la statistique sur les effets redistributifs du système français cogne singulièrement avec le discours de l’économiste préféré de la gauche.

« Dans une longue interview à L’Obsaccompagnant la sortie de son dernier opus, Une histoire du conflit politique (Seuil) coécrit avec sa consœur Julia Cagé, l’économiste Thomas Piketty dressait récemment ce constat péremptoire : « La France n’est pas de droite, elle est plutôt en quête de justice économique et sociale […] Il y a en France une demande de social, de redistribution.

« Pour nous, il faut donc que cet enjeu, dans le débat, redevienne clivant. » Et Julia Cagé d’enfoncer le clou : « Il faut bâtir un programme de réinvestissement dans les services publics beaucoup plus ambitieux que ce qui a été proposé jusqu’ici, en particulier en direction des territoires défavorisés… «

2. ARTICLE

La redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes

Mathias André, Jean-Marc Germain, Michaël Sicsic (Insee)

Les impôts, taxes et cotisations sociales financent les retraites, les prestations sociales et les services publics, individualisables – comme l’éducation et la santé – ou collectifs, comme la défense ou la recherche. L’ensemble de ces transferts publics, prélevés sur ou perçus par les ménages, organisent une redistribution dite élargie. Cette redistribution élargie à l’ensemble des services publics et incluant les retraites correspond à un transfert de 500 milliards d’euros (25 % du revenu national net en 2019) et contribue à une réduction significative des inégalités de revenus. À ce titre, en 2019, 57 % des personnes reçoivent plus qu’ils ne versent. Cette part de personnes bénéficiaires nets de la redistribution élargie s’élève à 49 % autour du niveau de vie médian, contre plus de 85 % parmi les 30 % les plus modestes et 13 % parmi les 5 % les plus aisés. Avant transferts, les ménages aisés ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 1 à 3 après transferts.

La redistribution élargie améliore le niveau de vie de 90 % des individus appartenant à un ménage dont la personne de référence est âgée de 65 ans ou plus ; ils sont les principaux destinataires des dépenses de santé et du système de retraite par répartition. Parmi les 50-59 ans, près de 70 % des individus sont à l’inverse contributeurs nets à la redistribution élargie. En dehors des retraités, les bénéficiaires nets de la redistribution élargie sont surtout les plus modestes, ainsi que les familles avec enfants et les ménages moins diplômés ; pour les ouvriers et les employés, le bilan redistributif est quasi neutre, alors que les cadres, travailleurs indépendants, chefs d’entreprise sont contributeurs nets ainsi que, dans une moindre mesure, les professions intermédiaires. La redistribution réduit également les inégalités entre les habitants de l’agglomération de Paris aux revenus primaires plus élevés et ceux des autres territoires. Les contributeurs nets sont ainsi des ménages actifs, aisés, âgés entre 40 et 60 ans, plutôt cadres ou urbains.

3. ARTICLE

Inégalités: ce que cette nouvelle étude de l’Insee révèle sur la redistribution en France… et ce qu’elle ne dit pas

avec Michaël Sicsic et Mathias André ATLANTICO 22 09 23

Atlantico : Vous publiez une nouvelle étude pour l’INSEE sur la redistribution en France. « La redistribution élargie incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics, améliore le niveau de vie de 57% des personnes ». Qu’est-ce que cela veut dire exactement?

Michaël Sicsic et Mathias André : Les ménages contribuent à la redistribution en s’acquittant d’impôts, taxes et cotisations. Ils reçoivent des transferts publics, en espèces telles que les prestations sociales monétaires, et en nature, tels que les services publics en nature (santé, éducation, etc.) et collectifs (police, justice, défense, recherche). La redistribution élargie fait le bilan entre ces prélèvements et ces versements pour chaque ménage. Au total, 57% des personnes sont bénéficiaires nets de cette redistribution élargie. Les principaux bénéficiaires nets sont bien sûr les ménages les plus modestes, mais aussi les plus de 65 ans, les familles avec enfants et les ménages moins diplômés. Pour les ouvriers et les employés, le bilan redistributif est quasi neutre, alors que les cadres, travailleurs indépendants, chefs d’entreprise sont contributeurs nets ainsi que, dans une moindre mesure, les professions intermédiaires. A l’inverse, les contributeurs nets sont des ménages actifs, aisés, âgés entre 40 et 60 ans, plutôt cadres ou urbains. Nous montrons aussi que les inégalités sont fortement réduites par la redistribution élargie : les ménages aisés (qui ont un revenu supérieur à 1,8 fois le revenu médian) ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres avant transferts, contre un rapport de 1 à 3 après transferts. Et cette réduction des inégalités vient pour plus de la moitié des dépenses de santé et d’éducation. 

Comment en êtes-vous arrivé à ce résultat ? Quelle a été votre méthodologie ? 

Ces résultats viennent de travaux débutés il y a plus de 4 ans à l’Insee à l’initiative du Directeur général, qui avait donné lieu à une première publication en 2021 portant sur l’année 2018. Cette nouvelle étude prolonge et complète ces travaux et porte sur l’année 2019. La méthodologie s’appuie sur un ensemble de base de données sur les revenus, la composition des ménages, les dépenses de santé, de consommation, la localisation des services publics notamment. Une des innovations importantes est de valoriser monétairement et allouer les transferts en nature (santé et éducation) et services publics collectifs à chaque personne en France. La méthodologie est détaillée dans la partie méthode de notre publication, elle est assez inédite dans le monde. 

Autant de redistribution, Est-ce que ça réduit le potentiel de croissance d’un pays ?  

A notre connaissance, aucune étude n’a établi que cela pourrait être le cas. Au contraire, l’OCDE a montré il y a quelques années que réduire les inégalités conduit à plus de croissance, et une croissance plus inclusive.

On peut ajouter que l’Insee a récemment publié une note de blog détaillant la production créée par les administrations, soit en quelque sorte le « potentiel de croissance » des services publics. En outre, notre méthode ne permet pas de conclure sur ce que serait une économie sans redistribution car les équilibres seraient fortement modifiés comme on peut essayer de se l’imaginer s’il fallait payer soi même pour ses dépenses de santé, d’éducation, de police ou de justice par exemple.

Lorsque la croissance est plus faible, y a-t-il moins de redistribution ?

Le niveau de redistribution dépend davantage du stade de développement des pays que de la croissance à court terme : en général, les pays plus développés font plus de redistribution que les pays moins développés, qui ont une croissance plus élevée en moyenne. Elle dépend donc plus du niveau du PIB que de la croissance du PIB. Il y a bien sûr des différences de redistribution pour les pays de même stade de développement qui dépendent de nombreux autres facteurs et des choix de société.

Il faut aussi avoir en tête que la réduction des inégalités dépend de leur niveau initial et ces inégalités primaires dépendent de comment sont distribués les fruits de la croissance. Nous avons d’ailleurs des travaux en cours pour reproduire ces résultats sur plusieurs années et qui pourront permettre de mesurer comment sont distribués les fruits de la croissance.

En mars 2021, vous avez signé une autre étude sur la réduction des inégalités. Quelles différences entre les 2 ?

La publication de 2021 montrait que la redistribution était deux fois plus élevée en intégrant les services publics que la redistribution dite usuelle, c’est à dire qui prend seulement en compte les transferts monétaires (impôt sur le revenus, CSG, et prestations monétaires notamment). Elle montrait déja que la redistribution élargie réduit fortement les inégalités grace aux services publics, qui bénéficient à presque tout le monde. Cette toute nouvelle étude actualise les résultats sur l’année 2019 mais surtout donne beaucoup de détails sur les bénéficiaires et contributeurs nets à la redistribution. Nous déclinons ainsi pour la première fois nos résultats sur les inégalités et la redistribution élargie selon l’âge, le diplôme initial, la catégorie sociale, la configuration familiale, ou encore la situation géographique. Nous détaillons également mieux les inégalités primaires dans cette publication et nous donnons des résultats plus fins, au niveau du vingtième de revenu, c’est-à-dire en séparant la population par tranche de 5%.

Conclusion de ces deux études, peut-on dire que l’Etat français est trop généreux ?

Ce n’est certainement pas à nous de répondre à cette question. Nous sommes là pour apporter des statistiques et des analyses économiques sur la fiscalité. Chacun pourra faire sa lecture de ces résultats. Il faudrait en outre disposer d’études d’autres pays, ce qui n’existe pas avec cette même méthode. De notre côté, nous nous sommes tenus à exposer ces recherches de façon la plus détaillée mais aussi grand public possible. Outre cette nouvelle publication, nous avons publié un article méthodologique grand public et un document de travail davantage pour les initiés. De cette façon, tout le monde peut s’emparer de ces résultats, c’est désormais un bien public !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.