Aller au contenu principal

UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE POUR « ÉVITER UNE RÉVOLUTION » – POINT DE VUE

UNE RÉVOLUTION NÉCESSAIRE VERS LA DÉMOCRATIE

(TITRE DE L’UNE DES PUBLICATIONS DE METAHODOS)

Dominique Rousseau est professeur émérite de droit public à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Dernier ouvrage paru : « Six thèses pour la démocratie continue » (Odile Jacob, 2022)

VOIR CERTAINES DE NOS PUBLICATIONS

hodos.frhttps://metahodos.fr › 2023/06/16UNE « RÉVOLUTION » NÉCESSAIRE VERS LA « DÉMOCRATIE … 16 juin 2023 —

metahodos.frhttps://metahodos.fr › 2022/02/21« SIX THESES POUR LA DEMOCRATIE CONTINUE ». Lire Dominique … 21 févr. 2022 —

metahodos.frhttps://metahodos.fr › 2023/03/17« Déni de démocratie parlementaire », Dominique Rousseau 17 mars 2023 —

metahodos.frhttps://metahodos.fr › 2023/04/22LIRE « LA DÉMOCRATIE UNE IDÉE FORCE » 22 avr. 2023 — 14h30 :

04RELIRE UN CLASSIQUE : « RADICALISER LA DÉMOCRATIE…4 juin 2021 —

Article

Dominique Rousseau : « Une révision constitutionnelle s’impose, sous peine de rendre inévitable une révolution »

Dominique Rousseau Professeur de droit public 3 OCTOBRE LE MONDE

Soixante-cinq ans après sa rédaction, la Constitution « tourne sur elle-même », car elle ne répond plus aux aspirations des Français, estime, dans une tribune au « Monde », le constitutionnaliste, qui propose d’intégrer dans la fabrication des lois un nouvel acteur : le citoyen.

Le tout d’une société ne se réduit pas à sa Constitution. Mais rien dans une société ne peut se faire avec une Constitution déconnectée. Or, celle de la Ve République ne répond plus ; elle tourne sur elle-même, elle ne reçoit plus les aspirations de la société et ne lui envoie plus les lois appropriées. Ce décalage entre une Constitution et « sa » société définit le « moment constituant », le moment où une société doit se saisir d’elle-même pour dire ce qu’il en est de son vivre-ensemble.

Les citoyens demandent à être associés à la fabrication des lois, mais la Constitution en donne le monopole aux élus ; ils attendent un agencement équilibré des pouvoirs, elle confond pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, et même médiatique ; ils réclament des espaces publics de délibération pour définir le bien commun, elle dissout le bien commun par un exercice privatif des institutions ; ils souhaitent une reconnaissance d’un pouvoir décentralisé, elle organise une gestion jacobine des territoires.

« Tant que les idées et les institutions sont de niveau, les institutions subsistent », a écrit Benjamin Constant (1767-1830), qui poursuivait : « Lorsque l’accord entre les institutions et les idées se trouve détruit, les révolutions sont inévitables. »

Lire aussi : Dominique Rousseau : « Nous sommes au bout d’un cycle, celui d’une démocratie représentative pensée à la fin du XVIIIe siècle »

Aujourd’hui, idées et institutions ne sont plus « de niveau ». Les institutions sont faites sur l’idée que le peuple ne peut vouloir, penser et agir que par ses représentants et qu’en conséquence les élus veulent pour le peuple et disposent d’un monopole de la fabrication des lois. Ce qui se traduit par le célèbre : « Ce n’est pas la rue qui gouverne » et par une Constitution qui, avec l’article 49.3, garantit bien qu’elle ne gouverne pas. Ce qui se traduit encore par la décision, le 28 septembre, du Conseil constitutionnel statuant à six membres sur l’affaire Fillon, alors que le quorum exigé pour décider est de sept membres, révélant ainsi la contradiction entre le mode de nomination et le principe d’impartialité.

Or, depuis plusieurs années, une autre idée émerge, celle que le peuple peut vouloir, penser et agir sans, à côté, voire contre ses représentants.

Nouvelle légitimité

Pour remettre idées et institutions « de niveau », une révision constitutionnelle s’impose sous peine de rendre inévitable une révolution. Pour ce faire, il convient de prendre l’exacte mesure de la situation politique, qui est celle d’un ébranlement des ressorts habituels – le suffrage universel et le concours – de l’acceptabilité sociale des décisions.

« Aucun responsable politique n’est regardé comme pleinement légitime au seul motif qu’il est élu ; de la même manière, ni le recrutement par concours ni la compétence technique ne permettent de tenir pour définitivement acquise la légitimité d’un fonctionnaire », constatait déjà, en 2012, la commission Jospin.

Pour de multiples raisons, le vote ne suffit plus aujourd’hui pour fonder la recevabilité sociale d’une loi ; l’impulsion qu’il donne s’épuise quelques mois, quelques semaines, après l’élection et les élus ne peuvent plus s’y référer pour justifier leurs décisions.

La légitimité d’agir des élus ne se trouve plus dans la seule source de leur action, le vote, mais dans la manière dont ils vont prendre leurs décisions, concrètement dans l’association des citoyens à la prise des décisions. Plus les citoyens entrent dans la fabrication des lois, mieux elles sont reçues s’il est vrai, comme l’écrivait Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), que « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

A cet affaissement de la légitimité des décisions par leur source – le vote et le concours – il convient de reconnaître une nouvelle légitimité par la procédure, c’est-à-dire par un mode de production des décisions connecté à l’idée d’association des citoyens à la formulation de la volonté générale.

Les fondamentaux de 1789

Les traductions concrètes de cette idée seraient, par exemple, l’inscription dans la nouvelle Constitution du droit d’initiative législative au profit des citoyens ; de l’obligation pour les élus de réunir dans leur circonscription des assemblées primaires de citoyens pour débattre des projets et propositions de loi avant qu’ils ne soient délibérés au Parlement ; du droit pour les citoyens d’accéder directement à une Cour constitutionnelle pour lui demander de vérifier la conformité des lois aux droits et libertés ; du droit à la protection des lanceurs d’alerte ; du droit à un pouvoir judiciaire indépendant, gardien des droits et libertés, impliquant la suppression du Conseil d’Etat et du ministère de la justice.

Lire aussi la tribune : « La Constitution a besoin d’une “cure de jouvence” »

L’enjeu, aujourd’hui, d’une révision constitutionnelle n’est pas d’opérer un ultime bricolage sur la durée du mandat présidentiel et sa limitation dans le temps, sur la suppression ou le maintien du premier ministre, sur les compétences du Parlement ou la responsabilité gouvernementale. Sans minimiser ces questions, sur lesquelles les constitutionnalistes aiment s’amuser, elles n’ont pour objet que de redistribuer le pouvoir entre des organes qui l’ont déjà, alors qu’il s’agit de faire entrer dans la sphère du pouvoir un nouvel acteur, le citoyen.

Le doyen Georges Vedel le rappelait en 1993 en conclusion de son rapport sur la révision de la Constitution : ce qui donne sa véritable portée à une Constitution, ce sont moins les dispositions relatives à l’organisation des pouvoirs publics que les prescriptions relatives aux conditions d’exercice de la citoyenneté. Ce qui, trente ans plus tard, dans la situation d’aujourd’hui, veut dire que le problème n’est pas de faire une énième révision par et pour les élus, mais une refondation constitutionnelle par et pour les citoyens. Et de retrouver ainsi la finalité que les hommes de 1789 donnaient à une Constitution : garantir la liberté du peuple.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.