
DES BOMBES – LÉGITIMÉES DE FAIT – POUR FAIRE PLIER L’ÉTAT DE DROIT ET LA DÉMOCRATIE
Pour le politologue Thierry Dominici, la série d’explosions survenues dans la nuit du lundi 9 octobre a pour objectif de peser dans le débat plolitique.
« Nuit bleue. » L’expression n’avait plus cours dans l’île depuis une bonne dizaine d’années. Elle a pourtant ressurgi, lundi 9 octobre, après une soirée pour le moins agitée, marquée par trente et un attentats , selon le dernier recensement des services de sécurité, ayant visé des constructions ou résidences secondaires à travers toute la Corse.
Cette série d’explosions, survenues quelques jours après la visite d’Emmanuel Macron sur l’île pour proposer au pouvoir nationaliste de « bâtir une autonomie à la Corse dans la République » , a été revendiquée par le Front de libération nationale corse (FLNC).
Le groupe armé, qui s’était mis en sommeil en 2014 avant de reprendre du service dans le contexte de tensions ayant suivi l’agression mortelle de l’indépendantiste Yvan Colonna , en mars 2022 à la prison d’Arles (Bouches-du-Rhône), acte-t-il un retour en force ? Le politologue Thierry Dominici, maître de conférences en science politique à l’université de Bordeaux et spécialiste des mouvements clandestins, décrypte la stratégie du groupe armé.
NOTRE RÉCENTE PUBLICATION
CORSE – APRÈS LA PROMESSE PRÉSIDENTIELLE, LA PRESSION INDÉPENDANTISTE: 27 ATTENTATS EN UNE NUIT DANS LE SILENCE DE L’EXÉCUTIF
ENTRETIEN
Attentats en Corse : « Le FLNC veut rester un acteur clé du jeu politique »
Propos recueillis par Julian Mattei (correspondant à Bastia) le 12/10/2023 LE POINT
Le Point : Cette série d’attentats augure-t-elle un nouveau cycle de violence en Corse ?
Thierry Dominici : La violence clandestine n’a jamais véritablement cessé. Le FLNC avait annoncé, en juin 2014, sa démilitarisation , mais à aucun moment sa dématérialisation. Il a conservé les armes à portée de main et a continué d’être présent dans le paysage politique. Il semble considérer aujourd’hui que le processus d’autonomie engagé entre l’État et la majorité nationaliste ne va pas assez loin et ne prend pas en compte les aspirations des indépendantistes, dans un contexte où ces derniers sont moins représentés dans l’espace public insulaire depuis les élections territoriales de 2021. Cette série d’attentats du FLNC, d’une intensité semblable à la première « nuit bleue » qui avait acté son apparition le 5 mai 1976, avec vingt-sept actions, montre qu’il veut rester un acteur clé du jeu politique.
À LIRE AUSSIEn Corse, l’inquiétante recrudescence de la violence clandestineQuelles sont ses réelles capacités d’action sur le plan militaire ?
Les structures clandestines ne sont plus celles des années 1980. Pour autant, les mouvements au sein du monde clandestin insulaire, et notamment l’apparition, en 2022, d’ un nouveau groupe de jeunes nationalistes armés, baptisé GCC , ont créé une forme d’émulation qui a conduit le FLNC à se restructurer. S’il réutilise des anciens modèles d’action, comme les nuits bleues, c’est qu’il a toujours une force de frappe militaire et demeure suffisamment organisé pour la coordonner.
À LIRE AUSSIGCC : en Corse, ce nouveau groupe clandestin qui sème le troubleL’objectif du FLNC, et plus généralement des indépendantistes, n’est-il pas de saborder le processus de négociations entre l’État et les autonomistes ?
Il est, en tout cas, de peser dans ce processus. La volonté du FLNC, depuis sa création, est de tendre vers l’indépendance. Obtenir un nouveau statut particulier, une forme d’autonomie, n’a pour lui, comme pour les élus indépendantistes, rien d’historique. Il n’y a rien d’étonnant à lire dans leur texte de revendication qu’ils n’ont « pas de destin commun avec la France ».
Emmanuel Macron a, certes, franchi le Rubicon en parlant d’autonomie, mais il n’a rien dit concernant les principaux marqueurs indépendantistes ; la reconnaissance du « peuple corse », la co-officialité de la langue ou un statut de résident pour les habitants de l’île. Pour les plus radicaux, le compte n’y est pas. Le message de ces attentats, pour autant, me semble moins adressé à l’État qu’aux élus autonomistes et à Gilles Simeoni, le président de l’exécutif corse, qui a dit à Emmanuel Macron sa volonté de construire l’avenir de la Corse « au sein de la République française ».
À LIRE AUSSIAutonomie de la Corse, violences, mort d’Yvan Colonna… Gilles Simeoni se livreCe regain de tensions peut-il compromettre le processus vers l’autonomie ?
Je ne pense pas. La Corse a évolué de statut particulier en statut particulier depuis cinquante ans, sur fond de violence. Ce retour à des actions de plus haute intensité est une façon de maintenir une pression et de rappeler, notamment à l’exécutif autonomiste, que les indépendantistes sont là, même s’ils sont dans l’opposition.
À l’approche des dernières élections territoriales, Emmanuel Macron avait demandé à Gilles Simeoni de se défaire de ses anciens alliés indépendantistes, avec lesquels il a partagé les responsabilités entre 2015 et 2021. En utilisant la violence, le FLNC veut réenclencher un rapport de force plus bénéfique au projet indépendantiste, et dire que l’avenir de la Corse ne se décidera pas sans ce courant du nationalisme, qui avait contribué à la victoire de Gilles Simeoni en 2015.