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ARTICLE
Cours criminelles départementales : une inconstitutionnalité manifeste ?
Publié le 27 septembre 2023 Raphaël Roger CONTREPOINTS
La spécificité des cours criminelles départementales est l’absence de jury populaire. Est-ce constitutionnel ?
Deux questions prioritaires de constitutionnalité (ci-après QPC) ont été renvoyées, par la Cour de cassation, devant le Conseil constitutionnel qui aura trois mois pour statuer à leur sujet.
Pour rappel, la question prioritaire de constitutionnalité, instaurée par la révision du 23 juillet 2008 et organisée par la loi organique du 10 décembre 2009, permet à toute partie à un litige de questionner la constitutionnalité d’une disposition législative applicable à son litige au regard des droits et libertés que la Constitution garantit (article 61-1 Constitution), autrement dit, ceux identifiés comme tel par le Conseil constitutionnel.
Ces deux QPC (n°2023-1069 et n°2023-1070 QPC) portent sur les cours criminelles départementales, nouvelle cours instaurées par la loi du 22 décembre 2021.
Les cours criminelles départementales sont compétentes pour les personnes majeures accusées de crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion (viol, vol avec arme etc) (article 380-16 du Code de procédure pénale – CPP). Cette cour est également compétente pour le jugement des délits connexes. La cour d’assises reste compétente pour les crimes punis de plus de 20 ans de réclusion criminelle.
La spécificité des cours criminelles départementales est l’absence de jury populaire (article 380-19 al.1 CPP). En effet, elle est composée d’un président et de quatre assesseurs, choisis par le premier président de la cour d’appel, pour le président, parmi les présidents de chambre et les conseillers du ressort de la cour d’appel exerçant ou ayant exercé les fonctions de président de la cour d’assises et, pour les assesseurs, parmi les conseillers et les juges de ce ressort (article 380-17 CPP).
Ce sont ces dispositions que les requérants ont contestées dans la lettre de leur saisine.
Ces deux QPC ont été soulevées dans deux instances différentes :
La première (n°2023-1069) fut soulevée suite au pourvoi de renvoi devant la cour criminelle départementale de Paris le 19 juillet 2023.
La seconde, (n°2023-1070) fut soulevée devant la cour criminelle du Rhône, le 26 juin 2023. Pour éviter un doublon, la Cour de cassation a renvoyé ces deux affaires en même temps devant le Conseil constitutionnel.
Il faut brièvement rappeler le système de double filtrage de la QPC.
Le juge du fond est ici un juge a quo ou de renvoi, il exerce le premier filtre. C’est devant lui (ou sauf exception, cas des articles 23-4 et 23-5 LO) qu’est soulevée une QPC).
Il devra dès lors examiner au fond la QPC en regardant trois conditions (article 23-2 LO) : 1)
- La disposition législative doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites
- La disposition législative ne doit pas déjà être déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances
- La question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux
Le juge du fond doit statuer sans délai, et la décision est transmise dans les huit jours devant sa cour suprême.
Il est à noter que toutes les juridictions ne peuvent examiner des QPC. Il faut qu’elles relèvent d’une cour suprême (Cour de cassation ou Conseil d’État), qu’elles exercent une réelle fonction juridictionnelle (quand le CSM use de son pouvoir de sanction, il est une juridiction et relève du Conseil d’État, par exemple) et enfin, il faut l’absence du peuple dans la prise de décision (ce qui justifiait le fait que, devant une cour d’assises, aucune QPC ne pouvait être soulevée et a contrario, elle peut être soulevée devant une CCD).
La transmission d’une QPC apparaît comme le résultat du précontrôle « négatif » de constitutionnalité auquel se livre le juge a quo lorsqu’il examine le caractère sérieux de la question de constitutionnalité. S’il la transmet, c’est en effet parce qu’il juge douteuse la constitutionnalité de la disposition législative applicable, et qu’il considère que ce point mérite d’être confirmé par la Cour suprême dont il dépend et tranché, le cas échéant, par le Conseil constitutionnel.
Suite à la décision de renvoi, c’est aux cours suprêmes des ordres juridictionnels d’examiner la QPC, en effectuant un second filtre.
Elles doivent, à leur tour, examiner trois conditions : réexaminer les deux premières conditions de l’article 23-2 LO précité (1 et 2).
La troisième condition est une condition alternative (article 23-4 LO) : il faut soit un moyen sérieux, soit une question nouvelle.
Le caractère sérieux du moyen s’apprécie au regard d’un doute sérieux sur la constitutionnalité de la disposition législative. L’attention va être portée sur les droits et libertés constitutionnels invoqués ainsi que la jurisprudence applicable à l’espèce.
Le caractère « nouveau » ne pose pas autant de problème d’appréciation. Il s’agit ici de voir si le Conseil s’est déjà prononcé ou non sur les dispositions constitutionnelles invoquées, ou au regard d’un changement de circonstance de droit (v. CE, 8 octobre 2010, M. Kamel Daoudi, AJDA, 2010, p. 2433).
Les cours suprêmes, qui ont trois mois pour statuer, rendent une décision de transmission ou de non-transmission qui est nécessairement notifiée au Conseil constitutionnel. Si elle est transmise, la requête de QPC est examinée devant le Conseil constitutionnel et il a trois mois pour rendre sa décision.
La QPC constitue une véritable transformation de la procédure constitutionnelle, notamment en ce qu’elle a conduit le Conseil constitutionnel à se conformer, via son règlement intérieur, aux exigences du procès équitable, tirés de l’article 6§1 de la Convention EDH tel interprété par la Cour EDH (v. affaire Ruiz Mateos c./ Espagne, 1993).
La QPC a aussi modifié en profondeur l’architecture constitutionnelle.
Les juges « ordinaires » sont devenus véritablement des juges constitutionnels de droit commun. Ils sont de véritables acteurs qui n’hésitent pas à défendre leurs intérêts institutionnels, ou à évaluer le niveau de sensibilité de la question afin de la faire trancher par le Conseil constitutionnel.
Les juridictions ordinaires se sont approprié la Constitution. Alors que le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité de leurs interprétations jurisprudentielles constantes, elles conservent un certain pouvoir discrétionnaire dans l’interprétation de la Constitution, et peuvent donc en proposer une interprétation autonome.
On assiste ici à une stratification de l’ordre juridictionnel constitutionnel, avec une répartition des rôles entre, le juge a quo (examen initial), les cours suprêmes (fonction de régulation des recours) et le Conseil constitutionnel (fonction pleine et entière du contrôle de constitutionnalité).
Cela étant rappelé, il convient de regarder de plus près les deux QPC.
La première QPC pose cinq questions différentes relatives aux dispositions législatives précitées. On peut les regrouper en trois catégories au regard de leur objet et des droits et libertés invoqués :
- La violation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun (1re question)
- La violation du principe de l’oralité des débats au regard de la possibilité qu’ont les magistrats de disposer du dossier de procédure pendant le délibéré (2equestion)
- La violation du principe d’égalité devant la loi tirée de l’article 6 de la DDHC (3e, 4e et 5e question).
La seconde QPC pose quant à elle, quatre questions, reprenant les mêmes arguments, que l’on peut aussi regrouper en trois catégories :
- La violation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun (1re question)
- La violation d’un principe à valeur constitutionnelle selon lequel il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun (2e question)
- La violation du principe de l’égalité des citoyens devant la loi, tiré de l’article 6 de la DDHC (3e et 4e question)
DEUX PARTIES
La première sera consacrée à l’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif au jury populaire. La seconde sera relative aux principes d’égalité et d’oralité.
La première touchera à des domaines théoriques alors que la seconde sera plus pratique.
Le requérant de la seconde Question proritaire de constitutionnalité soutient comme argument que les cours criminelles départementales violent un « principe de valeur constitutionnelle » selon lequel les jurys sont compétents pour les crimes de droit commun.
Contrairement aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes à valeur constitutionnelle sont très utilisés par le Conseil constitutionnel qui n’hésite pas en découvrir de nouveau, et à modifier leur support textuel. Ce faisant, mentionner ce type d’argument paraît plus crédible que celui des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Et pour cause, le Conseil constitutionnel n’a pas posé de conditions pour découvrir ces nouveaux principes de valeur constitutionnelle.
Les principes à valeur constitutionnelle : norme de référence puissante et malléable pour le Conseil constitutionnel
Il convient de revenir sur ces principes de valeur constitutionnelle pour en comprendre leur nature. Pour ce faire, il faut repartir de la distinction entre énoncé et norme, en incluant la notion de source et de règle pour mieux comprendre.
La source juridique est l’élément premier du droit.
Dès lors qu’il s’agit de penser le phénomène juridique, les juristes se réfèrent, non à des normes, mais font d’abord référence à des sources.
La source juridique renvoie à la détermination du droit antérieure à sa mobilisation dans un texte. Elle permet de « poser le droit », un peu comme un peintre qui pose une peinture sur un tableau. Une fois que le peintre l’a fait, la peinture ne lui appartient plus, son travail est fini. C’est aux tiers d’apprécier ce tableau, mais le peintre ne peut revenir dessus.
C’est ici que s’opère la distinction primordiale dans la construction binaire du droit, entre l’énonciation et l’application du droit.
L’auteur qui énonce quelque chose ne peut être celui qui l’interprète. S’il le fait, ce n’est plus en tant qu’auteur, mais en qualité d’interprète. C’est en cela que le droit a un caractère allographique, comme peut l’être la musique ou le théâtre. Il est nécessaire d’avoir deux personnes : l’auteur de l’acte et l’interprète.
Sans approfondir plus en détail ce point que l’on verra après, il s’agit d’esquisser brièvement un schéma d’interprétation afin de mieux éclairer le raisonnement :
Énonciation primaire (auteur) → rattache à une source l’énoncé → est appliqué et interprété par les destinataires de l’énoncé (sujets, juridictions, administrations)
Au fond, l’énoncé est ce qui se trouve contenu dans une source, donc rattaché à elle.
La source est donc le véhicule de la validité d’un énoncé.
L’énoncé est donc une entité langagière insérée dans une situation d’énonciation, par nature singulière.
Dès lors, si l’on renvoie le droit à des énoncés, on le rattache à une opération de langage reliant deux opérateurs juridiques : un énonciateur et un destinataire. Et ce qui unit les deux opérateurs juridiques est une relation de signification. Cette relation de signification passe par l’usage de la source juridique.
L’énoncé est donc émis par un opérateur juridique premier (énonciateur primaire) puis l’opération de production du droit sera reprise par un opérateur juridique secondaire (énonciateur secondaire) lesquels font effectuer un continuum normatif, en ce sens que l’on aura une continuité entre ce qui est énoncé et ce qui est interprété.
Cela revient à dire que l’énoncé primaire ne suffit pas. En effet, ce dernier devra être complété par des énoncés secondaires (d’application et d’interprétation) par des opérateurs juridiques autres.
On voit que le processus de production de signification est binaire et divisé : d’un côté, ceux qui produisent les énoncés et d’un autre côté, ceux qui interprètent ces énoncés en produisant d’autres énoncés, normatifs cette fois.
Un énoncé ne produit pas des normes, mais contient potentiellement des normes en puissance. Même un énoncé descriptif peut, après interprétation, dégager une norme (énoncé : il pleut ; norme : il faut sortir un parapluie). Un énoncé performatif contiendra une pré-norme, qui déterminera plus facilement la signification qu’en donne l’interprète. Mais rien n’empêche l’interprète de s’en dégager, voire de dégager une norme contraire à l’énoncé. Le texte a donc un sens prédéterminé qui préexiste virtuellement à l’interprétation.
Mais l’intentionnalité du texte ne s’impose pas obligatoirement à l’interprète, qui plus est quand ce dernier est authentique. L’interprète va donc « coudre » une signification en s’appuyant sur un sens littéral, la règle.
Enfin, si la norme est le produit de l’interprète, exiger que les énoncés soient normatifs n’a guère de sens. L’interprète, notamment le juge constitutionnel, est un alchimiste : il transforme un énoncé non-normatif en une norme. Exiger donc d’une loi qu’elle soit une norme n’a guère de sens car, même d’une loi purement descriptive, contenant des « neutrons législatifs », le Conseil constitutionnel peut en tirer des normes (il pourrait par contre invoquer des arguments tenant à la sécurité juridique ou de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité ou d’intelligibilité du droit).
On comprend plus aisément que les principes de valeur constitutionnelle sont le produit de la signification des énoncés constitutionnels. C’est parce qu’ils sont le pur produit de l’interprétation qu’ils ne sont mentionnés comme tel dans le « bloc de constitutionnalité ». Les mentionner ainsi ferait consacrer la thèse (ou la réalité) que la Constitution se confond avec son interprète. Ce qui, dans un pays de tradition textualiste, est difficilement concevable.
Par ailleurs, c’est en raison de cette tradition que le Conseil « rattache » les principes de valeur constitutionnelle à des énoncés textuels ou, plus régulièrement, les fait « découler » des énoncés. On voit l’importante des verbes connecteurs pour appuyer la légitimité du Conseil constitutionnel.
Prenons quelques exemples de ces principes de valeur constitutionnelle pour bien montrer la différence entre énoncé et norme.
Le Conseil constitutionnel déduit de l’article 4 de la Déclaration de 1789 une exigence constitutionnelle dont il résulte que, « tout fait quelconque de l’Homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par duquel il est arrivé, à le réparer ».
Tous les juristes assidus auront reconnu l’énoncé de l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382). Or, l’article 4 de la Déclaration ne contient pas cet énoncé. Ce dernier dispose entre autres que, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
On voit donc que l’énoncé de référence (l’article 4) est si vaste que le Conseil constitutionnel peut lui faire dire tout et son contraire.
Autres exemples.
De l’article 2 de la DDHC, il a fait découler les principes de valeur constitutionnelle de liberté du mariage, la liberté personnelle, la liberté d’aller et venir et la liberté de la femme à avorter.
De l’article 16 de la DDHC, il a fait découler les principes de valeur constitutionnelle du droit de la défense, d’un droit à un recours effectif ou encore, de l’impartialité et de l’indépendance des juridictions.
L’avantage des principes de valeur constitutionnelle est leur malléabilité. S’ils peuvent être rattachés textuellement à un énoncé, ils peuvent aussi se rattacher à d’autres énoncés, voire être le produit de plusieurs énoncés en même temps.
Par exemple :
- la liberté du mariage (art 2 et 4 DDHC) ;
- principe de publicité des débats en matière pénale (art 6,8,9 et 16 DDHC) ;
- protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 10 et 11 Préambule 1946).
On voit là tout le potentiel des principes de valeur constitutionnelle, la possibilité de se rattacher à n’importe quel énoncé constitutionnel. C’est un argument de poids pour le Conseil, qui n’est pas obligé de satisfaire à des conditions préalables, et peut donc décider librement de ce qu’il met dans les principes de valeur constitutionnelle.
Cette voie sera peut-être celle suivie par le Conseil pour répondre aux arguments. Les motifs d’inconstitutionnalité des cours criminelles départementales sont nombreux et celui-ci, comme argument « théorique », est le plus solide. On pourrait prendre le risque de supposer les fondements textuels d’un tel principe de valeur constitutionnelle, établi sans doute sur les bases des articles 6, 8 et 16 de la DDHC.
Dans leur lettre de saisine, les requérants font mention de l’existence d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (ci-après PFRLR) selon lequel le jury populaire est compétent pour statuer sur les crimes de droit commun.
L’existence d’un tel principe fondamental conduirait nécessairement à l’inconstitutionnalité des cours criminelles départementales (ou CCD). En effet, celles-ci étant dépourvues de jury populaire, elles ne pourraient donc, en vertu de ce principe, juger les crimes de droit commun. On voit donc ici la puissance de l’invocation d’un tel argument par les requérants.
Mais, cet argument, bien que puissant pour eux, constitue, pour le Conseil constitutionnel, une faiblesse, notamment au regard de la motivation (I). Par contre, l’argument tiré de la violation d’un principe à valeur constitutionnelle constitue une base solide et puissante pour le Conseil constitutionnel (II).
Les PFRLR : catégorie de normes de référence en désuétude potentiellement réveillée ?
Le principe fondamental reconnu par les lois de la République fait partie de ce que l’on nomme, de manière un peu abusive, le « bloc de constitutionnalité », autrement dit, l’ensemble des normes de référence utilisées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle.
Deux questions introductives se posent évidemment :
- De quoi est composé le « bloc de constitutionnalité » ?
- Qu’est-ce qu’une « norme juridique » ?
Le « bloc de constitutionnalité » est une « notion étiquette » (Jean-Michel Blanquer in Mélanges J. Robert, 1998, p.227) qui « compense l’indétermination du sens par la banalité de l’évidence ».
L’idée d’un bloc renvoie à une homogénéité. Or, les normes de références ne sont en aucun cas homogènes.
En effet, le bloc semble à renvoyer à des normes constitutionnelles et contient aussi des normes qui ne le sont (ex : LOLF ; règlements des assemblées ; traités par l’article 54). La formation du bloc s’est donc faite à géométrie variable, au regard de la diversité des compétences du contrôle confié au Conseil. En clair, le type d’acte soumis au Conseil commande la délimitation du bloc. Qui plus est, certaines normes de référence ne s’y trouvent pas, alors qu’elles sont fréquemment utilisées par le Conseil constitutionnel, notamment des standards, lui permettant alors de s’émanciper des contraintes du textualisme (ex : principe de valeur constitutionnelle sans texte de référence ; policy arguments, etc).
Une norme juridique, prise dans le contexte de l’interprétation, est la signification objective d’un énoncé juridique. Cette signification est attribuée par un interprète, en l’occurrence ici, un juge. Ce dernier est donc le créateur des normes juridiques.
Il faut clairement distinguer l’énoncé de la norme, les deux ne peuvent se confondre.
En premier lieu, il n’y a pas d’identité ni de correspondance entre la norme et l’énoncé. Si la norme n’est que le produit de l’interprète, on peut convenir qu’un énoncé est susceptible de contenir plusieurs normes qui seront posées, au travers d’une décision, par un interprète. In fine, l’interprète choisira entre plusieurs normes, entre plusieurs significations possibles. Dès lors, dans des sources juridiques différentes, un même énoncé peut donner des normes différentes.
De même, que, si l’énoncé et la norme sont distincts, un énoncé peut très bien en recouvrir un autre. De la même manière, une norme peut émerger de plusieurs dispositions à la fois. Enfin, des normes peuvent exister sans aucune disposition préalable.
On voit donc que l’énoncé et la norme sont décorrélés. Ce n’est donc pas une norme qui est interprétée, mais un énoncé. Mais si elle est le fait d’un pouvoir souverain d’interprétation, la norme déterminée par le juge se trouve être contrainte par deux pôles : la fidélité et la liberté par rapport à l’énoncé.
On comprendra enfin que l’auteur des normes constitutionnelles est l’interprète authentique de cette dernière (donc, le Conseil constitutionnel) et que, par voie de conséquence, il ne peut y avoir de hiérarchie entre norme constitutionnelle et norme législative, pour la simple et bonne raison que l’auteur de ces normes est le même : le juge constitutionnel.
Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont donc des normes de référence qu’utilisent ou du moins, qu’a pu utiliser, le Conseil constitutionnel. Ils expriment autant la liberté de l’interprète par rapport au texte constitutionnel que sa fidélité. La notion de « principe fondamental reconnu par les lois de la République » est mentionnée au sein du Préambule de 19461.
Cette notion est largement indéterminée car nulle définition textuelle de ce que sont ces principes. Si l’on se réfère à l’histoire constitutionnelle, les constituants centristes et catholiques envisageaient la liberté de l’enseignement. Mais la tâche de leur signification revient naturellement au juge constitutionnel, interprète authentique de la Constitution.
Dès lors, le Conseil constitutionnel a dû découvrir ces principes.
Le premier principe qu’il découvrit fut la liberté d’association, dans sa célèbre décision du 16 juillet 1971. L’indétermination textuelle de cette notion fut une aubaine pour le Conseil constitutionnel afin de légitimer son nouveau statut, que la loi constitutionnelle de 1974 confortait par ailleurs. Ce faisant, le Conseil se lança dans une grande opération de découverte de ces principes fondamentaux reconnu par les lois de la République, notamment entre 1974 et 1977, période faste durant laquelle il découvrit quatre principes fondamentaux.
Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République n’ont pas de support constitutionnel textuel, rendant donc plus aisée leur découverte. Mais cette liberté causa de plus en plus de difficulté au Conseil, qui se voit accuser d’abuser de cette capacité de découverte, pour bloquer l’action du législateur.
Dès lors, à partir de 1977, le Conseil va poser des conditions (autolimitation de l’interprète) qui le guideront dans la découverte de nouveau PFRLR :
- Le PFRLR doit être issu de loi adoptée sous un régime républicain (décision n°88-244 DC)
- Il s’agit de lois adoptées antérieurement à la Constitution du 27 octobre 1946 (décision n°88-244 DC)
- La législation considérée doit être constante
- Le principe fondamental doit revêtir une certaine généralité, ainsi qu’une certaine importance, touchant les libertés fondamentales, la souveraineté nationale et les principes d’organisation des pouvoirs publics.
Aujourd’hui, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont au nombre de onze.
Ces conditions posées par le Conseil servent évidemment à légitimer ce processus de « découverte ». Ainsi, si le Conseil veut en découvrir d’autres, par fidélité à sa jurisprudence, il devra les respecter. Mais, depuis 2013, le Conseil n’en a plus découvert, délaissant cette norme de référence. Or, il est toujours possible d’en découvrir de nouveaux.
Par exemple, la liberté de réunion publique (loi du 30 juin 1881), l’obligation scolaire (loi du 28 mars 1882) voire le droit à un repos hebdomadaire (loi du 26 novembre 1911).
On conviendra donc que le Conseil reste maître de la découverte du contenu des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et cette maîtrise s’illustre par les conditions restrictives utilisées.
Les requérants invoquent donc un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif au jury populaire pour juger les crimes de droit commun.
Ce principe fondamental n’existe pas (ou pas encore), ce qui obligerait donc le Conseil à le découvrir, en suivant les conditions d’autolimitation qu’il a lui-même posé. La fidélité à ses conditions est pour lui, une contrainte argumentative, donc un gage de légitimité. Il pourrait tout à fait s’en écarter puisqu’il les a posés, mais il s’exposerait alors à lourdes critiques.
Pour appuyer ce principe fondamental, les requérants s’appuient sur les débats des 2 et 3 septembre 1986, entre George Vedel et Robert Badinter. Selon ce dernier, un tel principe existe bel et bien, au regard de la longue tradition du jury populaire au fil des Républiques. Ce débat peut constituer une ressource interprétative pour le Conseil, mais il peut en tirer tant des éléments pro que contra, pour la découverte d’un tel principe. N’oublions pas que, si le Conseil a « découvert » onze principes fondamentaux, il a aussi rejeté dix-huit candidats.
Le Conseil peut toujours découvrir de nouveaux principes fondamentaux, c’est d’ailleurs ce à quoi le poussent les requérants, tant dans le contentieux a priori que dans le contentieux a posteriori de constitutionnalité. Mais il semble que le Conseil constitutionnel n’ait plus la volonté de procéder à ces découvertes car cette catégorie lui semble un peu asséchée par ce trop-plein de découvertes.
Cette prise de position jurisprudentielle marquée par un refus de reconnaissance de nouveaux principes fondamentaux doit être mise en relation avec l’utilisation croissante des principes à valeur constitutionnelle, en raison notamment de leur plus grande malléabilité.
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