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DE LA RESPONSABILITÉ DES GOUVERNANTS, POLITIQUES ET ADMINISTRATIFS

RESPONSABILITÉ DES DIRIGEANTS POLITIQUES ET ADMINISTRATIFS – E. D. MORETTI DEVANT LA CJR : UNE PETITE PIERRE SEULEMENT ?

TITRAIT METAHODOS RECEMMENT https://metahodos.fr/2023/11/07/responsabilite-des-dirigeants-politiques-et-administratifs-e-d-moretti-devant-la-cjr-une-petite-pierre-seulement/ / ET VOIR LE DOSSIER DE METAHODOS EN FIN D’ARTICLE

Le 7 novembre, au deuxième jour de son procès face à la Cour de Justice de la République (CJR), le garde des Sceaux s’est défendu en se défaussant sur les cadres du ministère de la Justice et a nié tout conflit d’intérêts, ce dont il est accusé. À la barre, Éric Dupond-Moretti a même tenté de contre-attaquer, dénonçant en vrac syndicats de magistrats, procureur général, et tous ceux qui le mettent en cause. « Ambiance poisseuse » écrit Le Monde

ARTICLE

« Penser la question de la responsabilité des gouvernants suppose de partir du droit constitutionnel »

Olivier Beaud Professeur de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, président de l’association Qualité de la science française Cécile Guérin-Bargues Professeure de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas

Alors que le garde des sceaux comparaît devant la Cour de justice de la République jusqu’au 17 novembre, Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, professeurs de droit, soulignent dans une tribune au « Monde » que, selon le droit constitutionnel, c’est devant la représentation nationale que le ministre devrait rendre des comptes.

Dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 6 novembre, le magistrat Denis Salas considère, à juste titre, que le procès du ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti, « pose la question de la responsabilité politique des ministres ». Partant du principe selon lequel « il n’y a pas, dans notre pays, de mécanisme de mise en jeu de la responsabilité politique des ministres », il plaide pour un contrôle préventif et éthique qui serait opéré par une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) aux pouvoirs renforcés.

Nous aimerions réexaminer ces points à l’aune du droit constitutionnel, sur lequel cette tribune, à l’image d’ailleurs du procès en cours du garde des sceaux devant la Cour de justice de la République (CJR), nous semble largement faire l’impasse. Or, penser la question de la responsabilité des gouvernants suppose de partir du droit constitutionnel.

D’abord, il existe bien évidemment dans notre régime politique des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique. Il suffit de lire les articles 49 et 50 de la Constitution pour s’en convaincre. En revanche, il n’existe pas de mécanisme de mise en jeu de la responsabilité d’un ministre pris individuellement, ce que l’on ne peut que regretter. Il en résulte que, dans un régime parlementaire comme le nôtre, l’opposition doit avoir la force et le courage de renverser le gouvernement dans son ensemble.

Mais cette difficulté inhérente au mécanisme de responsabilité politique, si elle est réelle, ne justifie pas qu’on en nie l’existence. De plus, cette faiblesse est à nuancer : elle n’apparaît que si on assimile la responsabilité politique à la seule sanction, c’est-à-dire soit le renversement du gouvernement, soit le renvoi d’un ministre. Or, plus largement, le sens premier et fondamental de la responsabilité politique consiste à contraindre les gouvernants à rendre des comptes publiquement devant la représentation nationale. On a vu d’ailleurs que les commissions d’enquête parlementaires tendaient depuis peu à assumer ce rôle mieux que naguère, ce dont on ne peut que se réjouir.

Un pis-aller acceptable

Ensuite, au sein de cet équilibre institutionnel, la responsabilité « politico-pénale », qui s’exerçait jadis par l’intermédiaire des hautes cours, puis sous la Ve République par la Haute Cour de justice et, depuis 1993, par la CJR, a toujours été conçue comme n’étant appelée à intervenir que de manière exceptionnelle et non comme une réponse de principe à la question de la responsabilité des gouvernants. Le principe, rappelons-le, est celui de la responsabilité politique devant les chambres.

Favorisée par un phénomène de judiciarisation de la société, cette responsabilité pénale ministérielle s’est progressivement installée comme un palliatif à la responsabilité politique en raison de la déshérence de celle-ci, avant d’apparaître, dans l’affaire Dupond-Moretti comme dans le cadre des plaintes devant la CJR relatives à la gestion de la pandémie, comme son contestable substitut. S’opposent alors ceux qui pensent que le remède est pire que le mal et ceux qui y voient un pis-aller acceptable.

Reste à savoir si, pour éviter au juge pénal d’être « l’unique contrôleur de l’éthique politique », il conviendrait de promouvoir la HATVP « au rang d’une institution de l’intégrité ». Il est permis d’en douter. D’une part, en effet, la HATVP assume déjà ce rôle depuis 2013, et plus encore depuis 2017, puisqu’elle est saisie, en amont et en aval de la nomination des ministres, de leur situation fiscale et des risques de nature pénale qu’ils courent dans le cadre notamment d’un délit d’initié ou d’un conflit d’intérêts.

D’autre part, franchir un pas de plus consisterait à donner à la HATVP la possibilité de prononcer, de facto sinon de jure, un avis conforme sur la nomination ou le maintien d’un ministre. Cela reviendrait à offrir à une institution dépourvue de légitimité démocratique un pouvoir exorbitant, surtout lorsque l’on songe à la notion de conflit d’intérêts dont la plasticité étonne aujourd’hui et pourrait inquiéter demain ceux qui voudraient devenir des ministres de la République.

Pour conclure, rappelons une autre évidence pour un constitutionnaliste : le garde des sceaux aurait dû rendre compte de la manière dont il exerce ses fonctions ministérielles devant le Parlement et non devant une CJR dont la saisine, au nom d’une conception discutable de la séparation des pouvoirs, interdit tout contrôle parlementaire sur les faits concernés. On aurait ainsi évité un procès dont on sait d’avance que ne sortiront que des perdants.

Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues sont professeurs de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.

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