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AUTOMNE STUDIEUX AVEC METAHODOS : « La Philosophie comme attitude »

ARTICLE

« La Philosophie comme attitude », de Stéphane Madelrieux

Roger-Pol Droit LE MONDE

Quels éléments définissent une philosophie ? La question, mille fois posée, est peut-être sans réponse. Malgré tout, on s’accorde usuellement à faire figurer, dans la courte liste des ingrédients de base, doctrine et méthode. Pas de philosophie sans une série de thèses articulées en un ensemble cohérent (doctrine), couplées à une suite de règles ­dirigeant la conduite des inves­tigations (méthode). Mais on oublie souvent de mentionner un autre élément déterminant : pour qu’une philosophie se développe de manière créatrice et vivante, il faut aussi que préside à son ­activité une certaine attitude.

De prime abord, cette notion peut paraître vague. Est-ce affaire de tempérament, de caractère, de disposition personnelle ? S’agit-il d’une conviction spirituelle, d’un choix existentiel ? En creusant ces questions, il apparaît vite que tous les « ismes » renvoient à des dispositions d’esprit : indifférence pour le scepticisme, consentement pour le stoïcisme, détente pour l’épicurisme – par exemple. Chaque fois, une attitude spécifique relie les décisions originaires d’une pensée, ses perspectives, sa démarche, ses buts ultimes. Moins visible que les contenus et les normes, elle semble se révéler plus décisive.

C’est ce que soutient dans son nouvel essai le philosophe Stéphane Madelrieux, professeur à l’université Jean-Moulin Lyon-III. Ce chercheur travaille dans cette direction de longue date. Il y a une quinzaine d’années, il avait déjà intitulé son premier livre William James. L’attitude empiriste (PUF, 2008). Aujourd’hui, ce spécialiste des philosophes pragmatistes contemporains met en lumière le rôle décisif que jouent les réflexions sur l’attitude dans ce courant de pensée.

Dispositions individuelles

Bien que le titre du livre soit La Philosophie comme attitude, c’est uniquement du pragmatisme qu’il est question. Pour de bonnes raisons : aucun autre mouvement de pensée n’a accordé une si grande attention aux dispositions individuelles, en opposant notamment les « esprits coriaces » (tough minded) aux « esprits délicats » (tender minded). Constellation d’auteurs plutôt qu’école, le pragmatisme s’est attaché aux manières de croire et de réfléchir, pratiquant une attitude critique envers les présupposés habituels des philosophes. Stéphane Madelrieux suit attentivement les sens multiples de l’attitude chez ceux qui ont marqué l’histoire du pragmatisme, du XIXe siècle à nos jours.

Depuis les démarches à la fois proches et divergentes des pères fondateurs, Charles Sanders Peirce (1839-1914) et William ­James (1842-1910), jusqu’aux travaux de Hilary Putnam (1926-2016), en passant par l’œuvre de John Dewey(1859-1952) et celle de Richard Rorty (1931-2007), ce ­courant a profondément bouleversé l’attitude philosophique ­elle-même en promouvant une « philosophie du sans ». Anti-autoritaire, antidogmatique, privilégiant le pluralisme et la sanction des faits, la « pragmatiste attitude » fait triompher l’esprit critique sur les dogmes, préférant l’activité permanente aux savoirs figés.

William James le soulignait déjà : « Le pragmatisme se détourne (…) des principes fixes, des systèmes clos et de ce qui se prétend absolu et originel. Il se tourne vers le concret et le précis, vers les faits, vers l’action et le pouvoir d’agir. » Beau programme. Il y a plus d’un siècle que sa mise en œuvre est en cours.

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