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LES EXCÈS DU COURANT IDENTITAIRE DE GAUCHE, CONTRE LA DÉMOCRATIE ?

ÉMISSION

La gauche identitaire contre la démocratie ?

Lundi 20 novembre 2023 FRANCE CULTURE

Entre la démesure des populismes d’extrême-droite et les excès du courant identitaire de gauche, la nuance est-elle encore possible dans les démocraties libérales ? Qui risque à long terme de remporter la victoire idéologique, et à quel prix ? 

Avec

  • Yascha Mounk Professeur à l’Université Johns Hopkins à Baltimore et auteur de « Le peuple contre la démocratie » (Editions de l’Observatoire, 2018)

Une révolution politique en Argentine

Yascha Mounk rappelle que l’Argentine est un pays dans lequel les partis politiques modérés remportaient les élections. La victoire du candidat populiste se revendiquant du trumpisme, Javier Milei, sonnent comme un choc pour les experts. Dans un contexte de forte crise économique et financière en Argentine, cette victoire est toutefois révélatrice d’une remise en cause des politiques publiques et économiques de l’État argentin : « l’Argentine, c’était un pays qui, il y a 100 ans, était aussi riche que les États-Unis, aujourd’hui est au 30 % du niveau économique des États-Unis avec un taux d’inflation de 140 %. Si depuis dix ans, on se bat contre ce populisme et des personnages comme Donald Trump, à un certain moment, il faut aussi se regarder dans le miroir pour comprendre pourquoi il continue à être tellement populaire. »

La ligne politique du candidat sortant est ambigüe, s’il se revendique d’une forme radicale du libéralisme, jusqu’à estimer que l’État n’est pas compétent pour assurer ses domaines régaliens, il demeure toutefois conservateur sur bon nombre de sujets sociaux tels que l’avortement. Son électorat est également disparate puisqu’il est composé à la fois de citoyens argentins fortunés, mais aussi les classes les plus populaires : « ça ne me semble pas tellement illogique dans les circonstances de l’Argentine. Par exemple, la sécurité sociale en n’aide pas beaucoup avec 140 % d’inflation. Beaucoup d’Argentins se sont dits : « ça fait cinquante ou soixante ans que le péronisme domine ce pays et ils nous promettent chaque fois que l’état va nous sauver alors qu’on est devenu de plus en plus pauvres ». Je ne suis pas d’accord avec le programme de Milei mais je comprends très bien le raisonnement qui peut conduire les gens à essayer ces tentatives. »

Qu’est-ce que l’idéologie de la synthèse identitaire ?

Dans son dernier ouvrage, Le piège de l’identitéYascha Mounk élabore son concept de synthèse identitaire. Edward Saïd, théoricien de l’Orientalisme, a joué un grand rôle dans la conception de la synthèse identitaire : « lorsque j’aborde l’histoire intellectuelle de cette idéologie qui commence en France, à Paris, avec Michel Foucault, le postmodernisme, et tous ceux qui refusent des grands narratifs sur le monde, soit marxiste, soit libéral-démocratique, mais qui deviennent assez sceptiques vers la possibilité du progrès. Ils disent qu’à la fin, chaque discours sera plus ou moins autant oppresseur que celui qui opprime. Dans la deuxième étape, il y a des penseurs du post-colonialisme qui sont très attirés par ce scepticisme envers les grandes idéologies. Alors, on veut rejeter ces idées qui viennent de l’ouest, mais il faut les repolitiser. Edouard Saïd prend la notion du discours de Michel Foucault, mais il la repolitise en disant non : à la fin, il y a ceux qui sont vertueux et ceux qui ont fait du mal. Aujourd’hui, comme il y a des féministes par exemple, ils ne parlent pas juste des lois qu’ils veulent changer ou ajouter, ils parlent beaucoup du discours culturel. Ils forment l’éloge ou ils critiquent le film ‘Barbie’. Ce genre de critique culturelle fait partie de comment on fait la politique aujourd’hui dans beaucoup de cercles progressistes, et cela vient d’Édouard Saïd. »

Selon le politologue, le paradigme de la distinction de couleur de peau s’applique dans le soutien à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 : « pour eux, on peut comprendre le monde en le divisant entre les blancs et les ‘People of Color’. On peut le diviser entre les colonisateurs et ceux qui sont colonisés et on ne peut comprendre l’injustice ou le racisme qu’en termes structurels. Cela est devenu impossible d’être raciste contre un blanc, d’être raciste contre une personne dominant et cela semble justifier chaque acte violent. Les Israéliens sont perçus comme colonisateurs et les Palestiniens comme les colonisés. Chaque acte de résistance est justifié, même si la réalité est évidemment plus compliquée. »

À écouter : Jusqu’où peut aller la dérive identitaire ?

Le « séparatisme identitaire » peut-il s’implanter en France ?

Yascha Mounk développe également l’idée d’un séparatisme progressiste, c’est-à-dire un séparatisme identitaire défendu au nom du progrès et des valeurs habituellement défendues par la gauche, revendiqué par des personnes se définissant comme racisé.es. Selon le chercheur, cette idéologie est importée des États-Unis par des voix activistes françaises. Cette idéologie aurait déjà une grande influence dans les pays anglo-saxons. Yascha Mounkestime que la tradition idéologique de la France est en contradiction avec cette idéologie : « il y a une autre lecture qui dit que c’est quand même aussi un phénomène quasi religieux. L’idée qu’on doit avoir la communauté morale très pure, qu’il faut expulser chaque personne qui fait violence à cette communauté morale, c’est quand même aussi une idée très américaine. Peut-être en France, il va y avoir plus de résistance à ce sort de moralisme. Quand je suis en France, je remarque toujours comment les élites françaises ont quand même un sens de leur valeur, un soutien aux valeurs républicaines qui va bien au-delà aux convictions des élites américaines, qui n’ont pas beaucoup de convictions. »

LIEN VERS L’ÉMISSION

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