
La capacité d’autonomisation et d’action de chacun d’entre nous sur son environnement
Le terme d’Empowerment n’a pas d’équivalent en français. Les Québécois parlent d’ « autonomisation », en France on préfère « pouvoir d’agir ». « Mais ces traductions – comme l’indique l’article ci contre – restent imparfaites, et occultent notamment sa dimension collective. D’où l’adoption de l’anglicisme. L’empowerment, c’est le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités sur les conditions auxquelles elles sont confrontées. »
Apparu dans les années 1970 aux Etats-unis, le terme, sans véritable équivalent en français, évoque la capacité d’autonomisation et d’action de chacun d’entre nous sur son environnement. La crise sanitaire lui donne encore plus d’actualité.
ARTICLE
Notion : « Empowerment » ou le « pouvoir d’agir »
Constituer un comité citoyen afin « que les gens comprennent pourquoi certaines décisions sont prises », suggérait le 20 novembre dans un entretien au Monde Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19. « Entre la parole scientifique et la parole politique, il y a une place pour une parole autonome des citoyens », renchérissait dans Libération Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique. Aucun des deux n’a prononcé le mot « empowerment ». Mais ils en étaient tout proches.
Le terme n’a pas d’équivalent en français. Les Québécois lui préfèrent parfois « autonomisation », d’autres ont tenté « pouvoir d’agir ». Mais ces traductions restent imparfaites, et occultent notamment sa dimension collective. D’où l’adoption de l’anglicisme. L’empowerment, c’est le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités sur les conditions auxquelles elles sont confrontées.
Conditions sociales, économiques, politiques, écologiques, médicales… Le champ est vaste, et ce mot polysémique a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. La revue Recherche sociale lui a consacré un numéro tout entier(« L’action publique au défi de l’empowerment », 2014/1), de même que Cahiers du Genre (« Pratiques de l’empowerment », 2017/2) ou encore L’Information psychiatrique (« Empowerment ? », 2018/10) – pour ne citer que ces quelques exemples.
Pourquoi un tel engouement ? « Au cours des années 2000, la notion d’empowerment a fait son entrée en France, dans la littérature et dans les débats publics, détaillent la sociologue Marie-Hélène Bacqué et l’économiste Carole Biewener dans L’Empowerment, une pratique émancipatrice ? (La Découverte, 2013). On la retrouve sous la plume de chercheurs travaillant sur la participation, qui y voient un modèle type de démocratie participative. Mais elle est aussi mobilisée dans différents rapports et ouvrages s’adressant aux travailleurs sociaux et de la santé qui désignent par là une démarche collective d’intervention sociale ; dans des écrits émanant de mouvements sociaux qui voient dans l’empowerment un projet et une démarche d’émancipation ; ou encore dans des manuels de management s’adressant aux cadres d’entreprise. »
Si l’apparition de ce vocable reste relativement récente en France, il émerge aux Etats-Unis dès les années 1970, notamment dans les mouvements féministes. Les militantes l’emploient pour désigner le processus par lequel elles développent une conscience sociale et critique leur permettant d’acquérir des capacités d’action.
Le 17 novembre 1980, à Washington, lors d’une manifestation antinucléaire qui restera dans les annales sous le nom de Women’s Pentagon Action, deux mille femmes se dirigent ainsi vers le Pentagone munies de quatre poupées géantes : celle du deuil (habillée de blanc), celle de la colère (rouge), celle du défi (noir)… et celle de l’empowerment (jaune).
Dans les années 1990, le« black empowerment » apparaît en Afrique du Sud, les « empowerment zones » (zones éligibles à recevoir des aides du gouvernement) aux Etats-Unis.Le mot s’introduit également dans les programmes de l’Union européenne, au prix d’un affaiblissement de sa portée radicale.
Dans le même temps, son usage se répand dans un nouveau domaine, celui de la santé mentale. « L’empowerment, c’est redonner du pouvoir au patient. C’est lui donner les moyens de devenir compétent pour gérer sa maladie, et ainsi promouvoir la décision médicale partagée », résume le psychiatre Pierre-Michel Llorca, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand. Pour quel bénéfice ? « Globalement, les patients rechutent moins », affirme-t-il.
La méthode ne constitue pas pour autant une panacée. Dans un article intitulé « L’empowerment, au risque de l’hypocrisie » (L’Information psychiatrique, 2018/10), le psychiatre Thierry Trémine, chef de service au centre hospitalier Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), estime que ce concept a perdu sa fonction initiale d’émancipation pour devenir « un de ces mots magiques qui renvoie l’individu au management de lui-même ». En ce sens, ajoute-t-il, l’empowerment serait alors « une solution facile à “l’empourrissement” des politiques publiques ».
Parce qu’elle fait appel à la capacité d’agir sur l’environnement de chacun d’entre nous, cette notion aurait pourtant tout à gagner à être convoquée dans la grave crise sanitaire que nous traversons. « L’empowerment en santé publique, cela consiste à responsabiliser les citoyens, à créer les conditions pour que ces derniers fassent des choix solidaires de prévention et d’attention », rappelle Henri Bergeron, chercheur CNRS au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po. Or il existe un savoir-faire en la matière, mis en œuvre, par exemple, dans les campagnes de prévention contre l’obésité ou les addictions. Mais dans le cas du Covid-19, la communication du gouvernement a surtout été fondée sur la peur et la culpabilisation.
« Risquer une amende quand on ne respecte pas les contraintes, c’est une mesure coercitive plus qu’incitative, souligne-t-il. Rendre l’information accessible et transparente, afficher une stratégie assumée en faisant en sorte que les mesures prises fassent sens pour tous, ce serait déjà un premier pas vers la responsabilisation de chacun. » Il n’est pas trop tard pour s’y mettre.