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La démocratie française est-elle à l’agonie ? Éléments de réponse et d’espoir
Par Michel Winock 23.10.2023 CHALLENGES
Défiance envers les élus de la République, penchant pour un pouvoir autoritaire, conflit de générations… La démocratie française ne va pas bien. Mais certains éléments, comme l’attachement aux syndicats et une plus forte adhésion à l’Union européenne, appellent à l’optimisme estime notre éditoraliste Michel Winock.
Depuis longtemps, nous le savons, notre république démocratique est blessée. La onzième enquête annuelle pour la Fondation Jean Jaurès, le CEVIPOF et le Monde, dont les résultats ont été publiés le 13 octobre dernier, enfonce un peu plus le couteau dans la plaie. Quelques chiffres alarmants donnent la mesure de nos maux. 35 % des personnes interrogées émettent des doutes sur le système démocratique lui-même (contre 24 % en 2014). 82% de Français sont d’avis qu’ « il faut à la France un pouvoir autoritaire, un vrai chef pour remettre de l’ordre » — un maître, quoi !
Liberté, égalité, fraternité : que reste-t-il de nos valeurs partagées?
Cette demande d’autorité, alors que la Vème République confère tant de pouvoir à son Président, laisse perplexe. Cet appel au chef associé au doute sur le régime démocratique est particulièrement fort à l’extrême droite (un sympathisant RN sur deux); mais il progresse sensiblement chez les électeurs de… gauche.
Un front républicain léthargique
Dans le même sens, on note que le Rassemblement national est devenu pour 44% « un parti capable de gouverner le pays » (contre 31% en 2015). Le Front républicain est bel et bien tombé en léthargie.
La sphère politique, elle, suscite une méfiance continue. En majorité, les Français estiment que leurs élus sont corrompus. L’Assemblée nationale est décriée : la confiance dans les députés n’est le fait que de 29 % des sondés. La perte d’une majorité absolue et l’intransigeance des oppositions, donnant souvent un spectacle indigne d’un Parlement, ont exercé aussi leurs effets. L’affrontement du gouvernement et de l’opinion majoritaire sur la réforme des retraites, finalement votée grâce au 49.3, a creusé un peu plus le fossé entre les citoyens et leurs représentants.
L’affaissement du civisme est attesté, lui, par le taux de plus en plus élevé de l’abstention électorale. À moins de 20 % au début de la Ve République, l’abstention aux élections législatives de 2017 atteignait plus de 51 % ; près de 54 % au second tour de 2022. L’élection présidentielle elle-même est affectée : de 15 % d’abstention en 1965, à 26 % au premier tour de 2022. En plus de ces millions d’abstentionnistes, il faut aussi tenir compte des non-inscrits ou mal-inscrits dont le nombre est situé entre trois et cinq millions. Les causes sont donc multiples.
Les électeurs désertent les urnes
En particulier, pour les législatives qui ont lieu dans la foulée de la présidentielle, il semble aux électeurs que les jeux sont faits une fois le Président élu — ce que les élections de 2022 ont infirmé. On serait avisé d’espacer nettement les deux formes d’élection ou de les organiser le même jour.
Quoi qu’il en soit, le fait massif est que les citoyens français désertent peu à peu les urnes ; un peu plus d’un tiers seulement des électeurs inscrits (les plus aisés, les plus diplômés) vote régulièrement, systématiquement. Les autres, ou participent par intermittence, ou s’abstiennent. Peu à peu nous devenons une république censitaire.
L’un des aspects les plus décevants de cette enquête provient de l’attitude des jeunes (moins de 35 ans). On ne s’étonnera pas trop qu’ils votent en majorité pour les extrêmes, Mélenchon et Le Pen. On n’est pas modéré quand on a 20 ans !
Plus grave sans doute, on compte parmi eux 42% d’abstentions au premier tour de la dernière présidentielle pour les 18-24 ans et 46 % pour les 25-34 ans. Au second tour, 57 % des moins de 35 ans ont voté Le Pen (31 % pour les plus de 65 ans).
Conflit de générations
Nous nous trouvons là devant un conflit de générations, où s’opposent des citoyens âgés ayant acquis une conscience historique et une jeunesse qui vit avant tout dans le présent à une époque où ni les partis, ni les idéologies, ni les églises ne sont à même de vaincre leur éloignement des urnes.
Parmi tous ces chiffres, en est-il malgré tout qui nous rassurent un peu ? Notons le retour en grâce des syndicats, dont on a longtemps déploré les divisions. 40 % de bons points pour eux, soit 7% de mieux qu’en 2019, un progrès dû sans doute à leur union dans la bataille des retraites. Le second point positif, qui étonne presque, c’est la confiance accrue dans l’Union européenne, qui atteint l’un de ses plus hauts niveaux historiques (43 %). La gestion du Covid et le plan de relance européen initié par la France et l’Allemagne ont permis à beaucoup de comprendre les bons effets de la solidarité entre les membres de l’Union.
Reconstruire la démocratie
Au total, le bilan est préoccupant. Reconstruire la démocratie apparaît comme un vaste programme dans un pays habité par le scepticisme, le pessimisme ou la colère, quand ce n’est pas l’indifférence, le repli sur soi, la torpeur individualiste. Il faut pourtant s’y atteler : rien n’est jamais acquis, même pas le pire.
Ce message nous parvient de Pologne, où le parti national-populiste au pouvoir vient de perdre les élections. « La Pologne a gagné, la démocratie a gagné, nous les avons chassés du pouvoir, a déclaré dès dimanche soir Donald Tusk, le président de la Plate-forme civique (PO, opposition) et ex-président du Conseil européen. C’est la fin de cette mauvaise période, c’est la fin du règne du PiS ».
Enfin, un rayon de soleil sur notre désenchantement !