
Les cahiers de doléances ? Pour Macron, c’est «cause toujours»
TITRE LIBÉRATION – par Thomas Legrand 23 01 24 – QUI POURSUIT :
« Lancés par le chef de l’Etat pour prendre le pouls du pays après la révolte des gilets jaunes, les cahiers de doléances prennent la poussière. S’il veut vraiment du «bon sens», l’exécutif serait bien inspiré de jeter un œil à ce «trésor national» et au travail des chercheurs qui l’ont lu et décortiqué.
« Cause toujours ! Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse du 8 janvier, a affirmé vouloir agir selon le fameux «bon sens». Si le bon sens populaire existe, alors on devrait en trouver des traces dans les cahiers de doléances du grand débat de 2019. Pourtant ceux-ci sont passés à la trappe dans le séquençage infernal du rythme communicationnel gouvernemental.
« L’oubli volontaire des cahiers de doléances post-gilets jaunes est une manifestation éclatante de ce mépris, ressenti comme tel par une bonne partie des Français, dont fait preuve l’exécutif. L’idée qu’avait eu Emmanuel Macron d’emboîter le pas des maires ruraux, au plus fort du mouvement de contestation, d’ouvrir de nouveaux cahiers de doléances, en généralisant cette pratique à tout le pays, n’était-elle donc qu’une grosse arnaque communicationnelle ? »
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Une proposition de loi pour leur publication
Cinq ans après le lancement du grand débat national, les doléances n’ont pas été rendues publiques sur Internet. Le résultat d’une vision stigmatisante de l’exécutif à l’égard des campagnes, selon la députée écologiste Marie Pochon, qui a déposé une proposition transpartisane pour leur publication.
Cinq ans après le mouvement des gilets jaunes – qui a débouché sur le Grand Débat national – où sont passés les presque 20 000 cahiers de doléances ? Car s’ils devaient être rendus publics, ils n’ont jamais été mis en ligne. La faute à des problèmes techniques et à un coût élevé, avait justifié l’exécutif. «Les cahiers citoyens ouverts dans les mairies seront mis en ligne sous licence libre», assurait pourtant le site du Grand Débat avant d’être effacé d’Internet.
1. ARTICLE : Cahiers de doléances des gilets jaunes, cinq ans plus tard : «Il y a eu une volonté de déposer un couvercle sur les expressions des Français»
par Sacha Nelken LIBÉRATION 16 01 24
Ce sont 19 899 cahiers gardés au chaud dans les archives départementales.Cinq ans après la crise des gilets jaunes, les recueils de doléances rédigés par les citoyens à l’invitation d’Emmanuel Macron n’ont toujours pas été rendus publics. Pourtant, au moment de lancer le grand débat national, le Président avait promis que les propositions des citoyens seraient centralisées et accessibles à tous. «Les cahiers citoyens ouverts dans les mairies seront mis en ligne sous licence libre», assurait ainsi le site du grand débat avant d’être effacé d’Internet.
Alors, pour corriger cette anomalie, la députée écologiste Marie Pochon a déposé à l’Assemblée nationale une proposition transpartisane (signée par des élus PS, Les Ecologistes, PCF, LFI, Modem, Renaissance et Liot) pour que ces doléances puissent être anonymisées et publiées sur Internet. Un moyen, selon elle, de faire entrer les attentes des Français émises durant la crise démocratique dans le débat politique.
Pourquoi vouloir rendre publiques les doléances du grand débat national ?
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2. ARTICLE : Cinq ans après, les cahiers de doléances des gilets jaunes restés lettre morte
par Rachid Laïreche et Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux LIBÉRATION 16 01 24
Le 15 janvier 2019, au début de la crise des gilets jaunes, le chef de l’Etat lançait son «grand débat national» et invitait les citoyens à rédiger des contributions en ligne qui n’ont finalement jamais été publiées. En voici un petit florilège.
Le président, Emmanuel Macron, s’apprête à faire une grande adresse aux Français ce mardi 16 janvier 2023. Le 15 janvier 2019, il instaurait son grand débat, censé répondre à la contestation sociale des gilets jaunes. Nous avons pu consulter quelques cahiers de doléances, lancés durant le mouvement des gilets jaunes, il y a tout juste cinq ans. Des cris, des revendications, des propositions et des rêves. Aucun texte ne se ressemble. Les écritures changent, la forme, le style. Certains écrivent en gros, sautent des lignes ; d’autres écrivent proprement, s’appliquent. Il y a des longs et des petits textes. Petit florilège des 200 000 contributions rédigées à la main.
«Monsieur le Président, j’aimerais que vous expliquiez à ma fille de 5 ans pourquoi maman ne met pas le chauffage partout dans la maison ? Pourquoi maman n’achète pas du pain tous les jours ? Pourquoi le soir, maman mange les restes dans son assiette ou une tasse de café ? Pourquoi maman fait des nouilles passé le 15 du mois ? Pourquoi maman a traversé beaucoup de rues très loin de la maison pour enfin décrocher un emploi précaire alors que selon vous une seule rue suffisait ? Pourquoi le …
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MISE À JOUR
4. ARTICLE Les milliers de cahiers de doléances, une mine pour les chercheurs cinq ans après les « gilets jaunes »
La poignée de linguistes et de politistes qui travaille à retranscrire et à analyser les messages écrits par les citoyens à l’hiver 2018-2019 y voit un matériau aussi précieux que sous-exploité pour saisir les préoccupations des habitants des territoires ruraux.
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Quête de dignité, de justice territoriale et fiscale, difficultés d’accès aux soins et aux services publics, sentiment d’enclavement… Les quelques chercheurs qui ont dépouillé des cahiers de doléances rédigés au cours de l’hiver 2018-2019, au moment de la crise des « gilets jaunes », sont unanimes : « Il s’agit d’un matériau précieux qui mériterait d’être mieux exploité pour éclairer le débat public », résume Manon Pengam, maîtresse de conférences en sciences du langage à l’université CY Cergy-Paris, qui a travaillé sur une partie des cahiers creusois. « Un espace d’expression sans précédent », abonde Samuel Noguera, doctorant au centre Emile-Durkheim (Sciences Po Bordeaux), qui prépare une thèse sur les cahiers girondins.
Cinq ans plus tard, les revendications et les propositions concrètes qu’y formulaient alors les Français – pour une grande part des habitants de territoires ruraux – n’ont rien perdu de leur actualité, tandis que les crises se sont depuis succédé.
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Souvenons-nous. Cherchant une issue à la crise des ronds-points, Emmanuel Macron lançait, le 15 janvier 2019, le grand débat national : trois mois pour sonder les Français à travers des déplacements, une plate-forme numérique et donc les cahiers de doléances ouverts dans les mairies. Ce dernier mode de consultation fut particulièrement plébiscité : on recense 19 899 cahiers, contenant plus de 200 000 contributions rédigées à la main dans environ 16 500 mairies. Surtout, « les cahiers ont mobilisé une population plus rurale, plus âgée et peu politisée, à laquelle on n’a pas l’habitude d’avoir accès », souligne Samuel Noguera.
Lire notre décryptage : Le bilan du grand débat en six questionsAjouter à vos sélections
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Le chef de l’Etat devait restituer ce travail le 15 avril 2019. L’incendie de Notre-Dame de Paris en a décidé autrement. Finalement, le bilan du grand débat n’aura jamais lieu.
Quant aux cahiers, ils ont été numérisés dans leur quasi-totalité, transcrits et conservés aux Archives nationales dans leur version numérique ; ils ont fait l’objet d’une synthèse, en juin 2019, par des opérateurs privés, avant de retourner dormir sur les étagères des archives départementales, classés selon deux régimes : les fonds consultables et ceux qui ne le seront pas avant cinquante ans, car ils contiennent des informations sensibles relatives à la vie privée des auteurs (coordonnées postales, téléphone, bancaire…), sauf à faire une demande de dérogation préfectorale.
Des cahiers « sous-exploités »
Que l’on ne s’y trompe pas toutefois : « Les cahiers n’ont pas été confisqués, souligne Magali Della Sudda, chercheuse en science politique au CNRS et membre d’un collectif de recherche citoyen en Gironde. Ils ont tout bonnement été ignorés, d’où le fait qu’ils soient sous-exploités, y compris par les chercheurs. » Ils contiennent pourtant une mine d’informations permettant de saisir les attentes des Français.Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétencesDécouvrir
En décortiquant les cahiers creusois auxquels elle a eu accès, aidée d’une équipe de bénévoles qu’elle a formée, Manon Pengam a notamment été « frappée » par l’omniprésence des « nous » et des « ici ». Comme dans les phrases, « ici, on crève », « ici, on n’a plus rien ». « Il y a à la fois un “nous” de conscience sociale et un “nous” porteur d’une identité collective rurale, relatif au mode d’habiter, réclamant davantage de considération et d’équité avec les territoires urbains », analyse-t-elle.
Frappée également par la surreprésentation des adjectifs « petits » et « grands » : « D’un côté, les grands centres urbains, les grandes régions, les groupes, les grandes exploitations polluantes ; de l’autre, les petites communes, les petits patrons, les petites pensions, les petits collèges, les hôpitaux, les routes, les agriculteurs, etc. » Elle note aussi une fierté à se revendiquer Creusois, tandis que le département pâtit de stéréotypes associés à l’hyperruralité.
Côté thématique, « la question des retraites, de l’accès aux soins et aux transports est omniprésente ». Et la linguiste d’y voir un nouveau champ de recherche jusqu’ici peu exploité « sur les discours issus des ruralités ».
Profils des auteurs très divers
Du côté de la Gironde, où la mobilisation des « gilets jaunes » a été très forte, un travail d’analyse inédit est mené à l’initiative d’un collectif de recherche citoyen composé d’anciens « gilets jaunes » et de chercheurs, dont Magali Della Sudda. Ensemble, ils ont transcrit 1 996 contributions, associant méthodes scientifiques et ancrage local. Le conseil départemental a ensuite missionné Samuel Noguera pour exploiter l’ensemble du corpus girondin, avec l’objectif d’aboutir à des recommandations en matière d’action publique.
Parmi les thèmes les plus récurrents dans les textes girondins : le « pouvoir-vivre dignement », la participation citoyenne,les services publics, les impôts, la transition écologique. Les profils des auteurs sont très divers, tant par l’âge que par le statut social (ouvriers, collégiens…), avec davantage de retraités dans les zones les plus rurales.
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En revanche, l’immigration et la sécurité sont des doléances « très minoritaires », souligne Magali Della Sudda, avant de préciser : « C’est Danielle, “gilet jaune” retraitée, qui a attiré notre attention sur le fait qu’elles provenaient surtout de la même commune et d’un même contributeur. » Preuve, selon la chercheuse, « du fossé entre les sujets qui accaparent le débat public et les préoccupations réelles des citoyens ».
D’où l’intérêt, pour Samuel Noguera, qui décortique l’équivalent de quarante-cinq cartons, 375 cahiers et 5 000 doléances, de « remettre en contexte les doléances dans l’écologie des territoires dont elles sont issues. S’exprimer dans une métropole n’est pas s’exprimer dans un territoire ultra-rural. Et, au sein d’un même territoire, on ne porte pas les mêmes revendications selon que l’on habite le Blayais et le Médoc, qualifié de couloir de la pauvreté et dont les deux circonscriptions ont été remportées par le Rassemblement national [RN] en 2022, dans le Sud ou bien dans la métropole ».
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C’est dans le Médoc enclavé, sans voie rapide pour rejoindre Bordeaux, que se concentrent les doléances réclamant davantage de liaisons autoroutières et ferroviaires. « On peut aussi lire, a posteriori, des indices des résultats électoraux de 2022 », note Samuel Noguera.
Les chercheurs soulignent aussi une surreprésentation de doléances d’ordre « programmatique », dans lesquelles les contributeurs s’expriment à la façon des professions de foi de programmes politiques. Preuve, selon Manon Pengam,« que non seulement les citoyens ne sont pas désintéressés, mais qu’ils sont tout à fait aptes à formuler un programme d’actions désirables ».
Question de la restitution vivace
Travaillant sur l’ensemble des contributions numérisées (cahiers de doléances et contributions aux plates-formes numériques) selon des méthodes de traitement automatique des textes permettant de relier les thèmes des doléances à leur origine géographique, un groupe de chercheurs de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et de l’Institut national de l’information géographique et forestière coordonné par la linguiste Sabine Ploux projette de développer courant 2024 une plate-forme en ligne. « Ça permettra aux utilisateurs de retrouver les principaux thèmes abordés, de voir où ils ont été abordés, dans quel type de commune, rurale ou urbaine. Par exemple, de voir où l’on a le plus parlé de l’éolien et de le coupler avec les installations existantes ou les projets. » La linguiste y voit « une forme de restitution auprès des citoyens et des maires ».
Car cette question de la restitution demeure vivace. Elle est au cœur du documentaire d’Hélène Desplanques Les Doléances − il sera diffusé le 8 février sur les antennes régionales de France 3, le 13 mars à l’Assemblée nationale, avant de poursuivre sa tournée, notamment en milieu rural. La réalisatrice a sillonné le territoire aux côtés de Fabrice Dalongeville, maire (sans étiquette) d’Auger-Saint-Vincent, dans l’Oise, à la rencontre d’auteurs de doléances et des chercheurs. Avec un objectif : enjoindre à Emmanuel Macron de tenir sa promesse de l’époque de les rendre publiques et accessibles au plus grand nombre.
Cette demande de publicisation sur un site Internet et d’organisation d’un événement de restitution fait aussi l’objet d’une résolution transpartisane déposée à l’Assemblée nationale par la députée écologiste de la Drôme, Marie Pochon, qui enjoint également au gouvernement de « financer la recherche publique scientifique pour qu’elle s’en saisisse ».
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Car sans intervention des chercheurs, de la société civile et des dispositifs patrimoniaux, ces écrits, que Manon Pengam qualifie de « discours fragiles, c’est-à-dire enfouis, menacés », risquent de ne pas être lus, analysés, restitués. « Et les citoyens, à force de voir les dispositifs participatifs s’accumuler et leurs résultats ne pas être pris en compte, risquent de ne plus se déplacer, même pour voter », craint Samuel Noguera.