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LES TRAGÉDIES DE LA JUSTICE : HAMLET ET ANTIGONE CONVOQUÉS

ÉMISSION : Pourquoi se réfère-t-on toujours à Antigone ou à Hamlet pour parler des « tragédies de la justice » ?

Jeudi 16 novembre 2023. FRANCE CULTURE

Selon Bergson, les tragédies portent toujours un nom individuel. Quand on parle du tragique devant certains actes, on pense aux coupables et à les traduire en justice.

Pourquoi les héros tragiques, tels que sont Antigone et Hamlet, reviennent sans cesse sur la scène des grandes démocraties ?

La différence entre le tragique en général et les tragédies réelles, c’est toujours la différence entre le général et le particulier ou même l’individuel. On l’a déjà dit et il faut le répéter, le tragique ce n’est jamais seulement le malheur général ou même la faute générale qui s’abat sur l’humanité. En général, le tragique, c’est toujours l’acte individuel, la personnalité individuelle qui porte sur elle jusqu’à sa propre destruction, parfois volontaire, comme c’est le cas d’Antigone ou Hamlet qui vont jusqu’à se détruire eux-mêmes et tous les êtres qu’ils aiment pour réparer une injustice. C’est l’individu qui porte en lui l’acte qui cause le malheur et l’acte aussi de vouloir le réparer.

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Aller plus loin que la simple individualisation du héros tragique

Ainsi, les tragédies, Bergson l’avait noté et il faut le répéter, portent toujours un nom individuel. Les responsables ont toujours des noms et c’est bien normal. Et même quand on parle du tragique aujourd’hui devant certains actes, il faut d’une certaine façon toujours penser à leurs responsables et chercher à les traduire en justice. Ainsi se réfère-t-on toujours à Antigone ou à Hamlet, qui sont des exemples particulièrement frappants pour les tragédies de la justice, parce qu’ils vont, d’une certaine façon, les justifier de fautes non réparées par la loi, de fautes non réparées par la cité, de fautes individuelles ou collectives que la cité elle-même n’a pas eu la responsabilité de reprendre, auxquelles elle n’a pas eu la capacité de répondre. Mais alors, justement, il faut aller plus loin que cette simple individualisation du héros tragique, de la tragédie qui porte un nom, un nom qui reste gravé au fer rouge et qui vient bizarrement, même dans les grandes tragédies collectives de notre temps, revenir comme un remords. Dans l’histoire, ces tragédies reviennent toujours. Combien d’Antigone et d’Électre ne sont-ils pas revenus sur les scènes des grandes démocraties, des pays en guerre en Europe ?

Antigone et Électre, pour réparer une injustice

La pièce Antigone a été rejouée sur les scènes à chaque fois qu’un drame se produit, mais pourquoi exactement ? C’est qu’il y a un élément tout à fait essentiel pour Antigone ou pour Hamlet qui est qu’ils viennent réparer un acte que la loi de la cité n’a pas su interdire ou ensuite punir. C’est le défaut de la loi qui pousse la tragédie à son second degré et qui nous indique aussi en creux comment la réponse à la tragédie ou au tragique ne réside pas dans le sens de la philosophie en général, mais dans les institutions morales et politiques. Antigone reproche à Créon, dans une scène célèbre, de ne pas avoir par la loi réparée l’injustice faite entre ses deux frères, mais au contraire de la perpétuer, puisqu’il interdit l’enterrement d’une des deux victimes du fratricide, l’enterrement aussi de la haine et de la guerre civile. Hamlet, lui, reproche à son oncle d’avoir continué la trahison qu’il avait commise vis-à-vis de son frère en prenant le royaume, et ainsi, c’est la ville entière, le pays, le Danemark où il y a quelque chose de pourri à cause d’une violation individuelle. Ainsi, il ne faut pas s’y tromper devant la faute, devant la transgression. Le tragique met tout à coup brutalement l’un en face de l’autre, l’individu dans la réalité de ses actes et la loi morale et politique est la seule façon de s’y opposer. Antigone ou Hamlet sont les héros tragiques par excellence pour nous, parce que précisément, ils ne sont pas seulement des individus déchirés par des actes, mais des individus qui s’indignent de ce que la loi des hommes, incarnée par le cœur de la cité, de ce que la loi des hommes qui pourrait y répondre, n’arrive plus à le faire.

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