Aller au contenu principal

LA SUÈDE ET LE CLIMAT : MACHINE ARRIÈRE

ARTICLE : Climat : la Suède « fait désormais marche arrière »

Par Anne-Françoise Hivert LE MONDE

Elue en septembre 2022, la coalition composée de la droite et de l’extrême droite mène une politique qui va provoquer la hausse des émissions de CO₂, d’ici à 2030, sans expliquer comment elle compte tenir ses engagements au niveau européen.

La toute jeune ministre suédoise du climat et de l’environnement, Romina Pourmokhtari, âgée de 28 ans, peut souffler. Mercredi 17 janvier, le Parlement a rejeté la motion de défiance déposée contre elle par les Verts et les centristes. Néanmoins, les critiques persistent à l’égard de la politique climatique menée par le gouvernement libéral-conservateur, soutenu par les Démocrates de Suède (extrême droite). L’opposition, les scientifiques et les ONG, mais aussi l’industrie, s’inquiètent de voir le pays perdre sa position de chef de file de la transition écologique, acquise au début des années 1990, quand il avait été l’un des premiers à adopter une taxe carbone.

Lire aussi : Le gouvernement suédois critiqué pour le manque d’ambition de sa politique climatique

« Si la politique intérieure n’est pas à la hauteur des ambitions des entreprises et de la nécessité d’une action urgente, la Suède prendra du retard dans la transition et les investissements risquent de partir pour l’étranger », avertissaient, en avril 2023, les responsables de dix des plus grosses compagnies suédoises, parmi lesquelles Volvo, Scania, H&M et AstraZeneca. Ils appelaient le gouvernement à « saisir la dernière chance » en se montrant ambitieux dans le plan d’action climatique que la loi lui imposait de présenter avant la fin de 2023.

Envisageant d’abord de repousser l’échéance − ce qui a provoqué la motion de défiance contre Mme Pourmokhtari –, le gouvernement l’a finalement dévoilé, le 21 décembre. Cependant, alors que la ministre avait promis de grandes annonces, « le plan ne contient aucune mesure qui pourrait être adoptée par le Parlement et uniquement des propositions qui doivent être soumises à un examen, sans garantir qu’elles seront un jour adoptées », déplore Mikael Karlsson, chercheur en sciences de l’environnement à l’université d’Uppsala. « En gros, on remeuble un peu le Titanic, mais le navire continue de couler », résume-t-il.

Même frustration du côté du Conseil suédois de la politique climatique : « Le plan vise toujours la neutralité carbone, d’ici à 2045, mais sans expliquer comment la Suède va atteindre ses objectifs pour 2030 », déclare sa présidente, Asa Persson. Directrice de recherche à l’Institut de l’environnement de Stockholm, elle rappelle que le conseil demande, depuis plusieurs années, l’accélération du rythme de la transition. Mais, au lieu d’aller plus vite, « la Suède fait désormais marche arrière », se désole Mme Persson.

« Un virage à près de 180 degrés »

Dans son dernier projet de loi de finances, présenté à l’automne 2023, le gouvernement, mené par le conservateur Ulf Kristersson, admet que sa politique va entraîner, pour la deuxième année de suite, une hausse des émissions, à hauteur de 4,8 millions à 8,7 millions de tonnes, d’ici à 2030.

« On n’a pas vu ça depuis au moins vingt ans », assure Asa Persson. Mikael Karlsson le confirme : la droite et l’extrême droite, élues en septembre 2022, notamment sur la promesse de renforcer le pouvoir d’achat des ménages, ont « de facto effectué un virage à près de 180 degrés sur la politique climatique ».

Mesure après mesure, la coalition semble déterminée à détricoter tout ce qui devait contribuer à rapprocher la Suède de ses objectifs climatiques. Elle a ainsi décidé de réduire la part de biocarburants incorporés à l’essence et au diesel, une mesure responsable de la plus grosse part des augmentations d’émissions, d’abandonner les critères climatiques dans l’attribution des marchés publics, d’éliminer le système de bonus favorisant les véhicules propres ou les crédits d’impôt pour l’achat de voitures électriques. La prime qui devait encourager le covoiturage et l’usage des transports en commun pour se rendre au travail disparaît, de même que les subventions pour l’éolien offshore et les projets de train à grande vitesse.

Par ailleurs, les subventions accordées par l’Etat aux énergies fossiles ont augmenté de 10 % en 2023, pour atteindre 31 milliards de couronnes (2,7 milliards d’euros), selon l’Association suédoise de protection de la nature. « A l’heure actuelle, cela signifie que la Suède perd 85 millions de couronnes chaque jour en rendant les émissions moins chères », a constaté la présidente de l’ONG, Beatrice Rindevall.

L’équation ne tient pas

A titre de comparaison, en 2024, le gouvernement consacrera 19,3 milliards de couronnes à la lutte contre le changement climatique et à la protection de l’environnement, soit 259 millions de couronnes de moins qu’en 2023, alors que l’enveloppe avait déjà été rabotée de 4 milliards de couronnes par rapport à 2022.

« Il est clair que la droite a cédé face aux exigences des Démocrates de Suède », dénonce Mikael Karlsson, qui rappelle que la dernière fois que les conservateurs dirigeaient le gouvernement, entre 2006 et 2014, ils avaient élevé les objectifs environnementaux. Selon l’accord de coalition présenté en octobre 2022, les Démocrates de Suède – ils ne siègent pas au gouvernement, mais participent aux ministères − ne devaient avoir aucune influence sur la politique climatique. Mais, depuis novembre 2023, ce n’est plus le cas : en acceptant le principe de la neutralité carbone, d’ici à 2045, ils ont obtenu en échange que la Suède renonce à son objectif de réduire de 63 % ses émissions dans les transports et dans l’agriculture, d’ici à 2030.

Selon le gouvernement, il n’est toutefois pas question de remettre en cause les objectifs européens. Sauf que les engagements fixés dans le cadre du Green Deal sont « tout aussi ambitieux », remarque Asa Persson. Pour Magnus Nilsson, analyste spécialiste de la politique climatique européenne, l’équation ne tient pas, d’autant que « le gouvernement mise tout sur le nucléaire et qu’aucune centrale ne va voir le jour avant dix ans au moins ». Or, « pendant cette période critique, la Suède augmente ses émissions et ne dit pas comment elle compte accroître le stockage du carbone dans ses sols et dans ses forêts, ce qui demanderait de réduire l’abattage de 3 % à 4 % par an », poursuit l’analyste.

Dans son plan d’action, le gouvernement évoque la possibilité d’acheter des droits d’émission. Encore faudrait-il que d’autres pays européens aient dépassé leurs objectifs et puissent en vendre, ce qui apparaît « complètement irréaliste », selon M. Nilsson, qui s’inquiète que l’Union européenne ne revienne sur ses engagements.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.