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VIOLENCE DOMESTIQUE : CRIMINALISATION DU CONTRÔLE COERCITIF

ARTICLE : Violence domestique : criminaliser le contrôle coercitif en France pourrait apporter plus de justice aux victimes

Publié : 16 janvier 2024, THE CONVERSATION Evan Stark, Université Rutgers, Andreea Gruev-Vintila, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Au cours de la dernière décennie, dans de nombreux pays européens, les législateurs, les magistrats, les ministres du gouvernement, les organismes d’application de la loi, les avocats et les fournisseurs de services ont reconnu que les approches dominantes de la violence domestique échouaient et ont adopté le nouveau modèle de « contrôle coercitif » pour recadrer la violence domestique comme un crime contre les droits et les ressources plutôt que comme une agression.

Criminaliser le contrôle coercitif

En 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a chargé les autorités de réviser « promément » la définition juridique de la violence domestique afin qu’elle couvre « les manifestations de comportement de contrôle et de coercition ».

S’appuyant sur des entretiens avec plusieurs centaines de professionnels, de victimes, de prestataires de services et d’universitaires français, la mission parlementaire française Chandler-Vérien sur la violence domestique chargée par le Premier ministre Borne d’améliorer le traitement judiciaire de la violence domestique a souligné l’urgence de traduire le contrôle coercitif en loi et a appelé le contrôle coercitif à être au cœur des futures campagnes d’information et de la formation professionnelle.

Les ministres français de l’égalité entre les femmes et les hommes Bérangère Couillard et Isabelle Rome, une magistrate expérimenté, ont déclaré leur volonté d’aller de l’avant avec cette approche de la violence domestique. Lors d’une audience pénale révolutionnaire à la Cour d’appel de Poitiers qui s’est tenue en novembre 2023, la première présidente Gwenola Joly-Coz et le procureur général Eric Corbaux ont utilisé le cadre du contrôle coercitif dans toutes les affaires de violence domestique. Les décisions du tribunal sont attendues en janvier 2024.

Isabelle Lonvis-Rome, ancienne ministre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, veut que le concept de « contrôle coercitif », qui couvre le comportement prédateur déployé par un homme pour soumettre son conjoint, soit mieux pris en compte par le système judiciaire (Public Sénat).

Nous pensons que l’adoption d’une infraction de contrôle coercitif en France serait une avancée significative dans le programme pour l’égalité. Criminaliser un tel comportement aiderait à protéger 213 000 femmes, dont 82 % sont mères, et leurs 398 310 enfants, qui sont également victimes de violence domestique, et ainsi à prévenir la mort de centaines de partenaires, d’ex-partenaires et d’enfants chaque année.

Contrôle coercitif : un « crime de liberté »

Le contrôle coercitif a été appelé un « crime de liberté » en raison de l’expérience de piégeage qu’il produit, analogue à la prise en otage. Les droits violés comprennent l’autonomie, la dignité et l’autodétermination, d’autant plus lorsque les victimes ont un handicap. À moins que la gamme d’actions des auteurs ne soit encadrée comme une seule conduite malveillante et arrêtée, ce modèle d’abus et d’exploitation peut se poursuivre pendant des années, sans être détecté.

La situation française et internationale décrite par l’un d’entre nous dans le livre de 2023 Contrôle coercitif : Au cœur de la violence domestique (Le Contrôle coercitif au cœur de la violence conjugale) reflète trois éléments de preuves :

  • les lois actuelles sur la violence domestique n’ont pas réussi à tenir les auteurs responsables et à protéger les victimes, principalement les femmes et les enfants ;
  • le manque de contrôle social et de sanctions légales encourage l’aggravation et la récidive, créant une porte tournante dans les tribunaux et les prisons français ;
  • les victimes sont confrontées à des situations qui ressemblent plus à la captivité qu’à une agression.

Un système d’impunité

Le Haut Conseil pour l’égalité de l’État français a constaté que le taux de condamnation des auteurs de violence domestique équivalait à un « vrai système d’impunité ». L’écart entre la criminalisation actuelle de la violence domestique et sa réalité vécue par les victimes peut éroder la confiance dans le système judiciaire.

Le taux de condamnation des auteurs et le nombre d’homicides domestiques en France reflètent le manque de responsabilité des auteurs. En 2022, 118 femmes, 29 hommes et 12 enfants ont été tués. En 2021, 121 féminicides ont été officiellement enregistrés, une situation encore plus alarmante si l’on ajoute les 684 femmes qui ont tenté de se suicider ou se sont suicidées à la suite d’un « harcèlement domestique ». Cet échec, qui se produit malgré les efforts déployés, met en évidence le lien entre l’inefficacité de la compréhension et de la criminalisation actuelles de la violence domestique et son accent sur les actes qui sont de mauvais marqueurs de ses formes les plus dangereuses.

La situation en France n’est pas unique. En 2016, lorsque la ministre de l’Intérieur a découvert que l’Angleterre dépensait plus pour la police de la violence domestique que pour la défense nationale, mais que ni les homicides domestiques ni les rapports de violence entre partenaires à la police n’avaient diminué, elle a appelé à une toute nouvelle approche et a adopté un « contrôle coercitif » pour remplacer les 14 définitions de la violence domestique utilisées par les services de santé et sociaux en Grande-Bretagne. De même, en 2018, le parlement écossais a adopté à l’unanimité la loi sur la violence domestique, un crime construit autour d’éléments de contrôle coercitif qui comportait une peine maximale de 14 ans de prison, de la même manière que le meurtre.

Surveillance, isolement, intimidation, contrôle, menaces crédibles personnalisées

Depuis que l’un d’entre nous a publié Coercive Control : How Men Entrap Women in Personal Life en 2007, en 2007, plus de 1 000 monographies et d’innombrables témoignages de survivants soutiennent l’opinion selon laquelle le contrôle coercitif devrait être l’objectif principal de l’intervention de l’État dans les cas d’abus, et non dans les cas de violence domestique, y compris l’arrestation et la poursuite des auteurs, les services de protection, de soutien et d’autonomisation pour les victimes et la protection des enfants.

Le livre présente la preuve que 75 % des incidents de violence domestique qui conduisent actuellement à l’arrestation sont des agressions répétées commises par une petite proportion de délinquants dans le contexte de comportements abusifs complémentaires, y compris les agressions sexuelles, le harcèlement et d’autres tentatives d’intimider les victimes, et des tactiques pour les isoler et les contrôler en prenant leur argent, en les privant de ressources et en réglementant leur vie ainsi que celle de leurs enfants.

Dans la plupart des cas, la violence et/ou les abus sexuels s’accompagnent d’intimidation, d’isolement, de tactiques de contrôle et de menaces crédibles personnalisées. Ceux-ci commencent dans la maison et peuvent s’étendre à toutes les activités, y compris le travail, et impliquer des enfants, d’autres membres de la famille et d’autres personnes non apparentées, y compris des professionnels, en tant qu’espions, informatrices ou co-victimes.

Parce que les auteurs visent à monopoliser toutes les ressources et tous les privilèges disponibles dans une relation ou un espace familial, leur partenaire adulte est généralement leur cible principale. Mais toute personne considérée comme obstruant ce monopole est susceptible d’être ciblée en tant que victime secondaire, y compris les enfants, les grands-parents, les frères et sœurs, les amis, les voisins, les collègues, ainsi que les professionnels du droit et des services sociaux. L’inclusion par l’Écosse de la « maltraitance des enfants » comme un élément du crime de contrôle coercitif souligne à quel point il est facile pour la police, les tribunaux et les professionnels de la protection de l’enfance de manquer la fréquence avec des enfants de tous âges qui sont « armés », enrôlés en tant que confédérés ou entrés « victimes à côté » par des auteurs qui veulent les utiliser pour blesser ou contrôler leurs mères.

Les effets de ces tactiques sur les victimes adultes et leurs enfants vont de la peur paralysante, de la dépendance psychologique, du sabotage de l’enfant et de la mèredu traumatisme induit par le tribunal et l’auteur, et l’appauvrissement à la « mort d’un millier de coupures », à la suicidalité et à la mortalité.

Et les enfants ?

Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause la plus importante de violence contre les enfants et d’homicide d’enfants en dehors des zones de guerre. Cela se produit souvent après une séparation, dans le cadre de procédures judiciaires relatives à la garde de l’enfant et aux droits parentaux ou pendant les droits de visite. L’agresseur peut sentir que la seule façon de punir son partenaire est de saboter sa relation avec les enfants ou de les blesser ou de les tuer, comme nous l’avons tragiquement vécu en France cette année avec le meurtre de la petite Chloé, âgée de 5 ans, par son père dont la mère avait demandé le divorce et contre qui elle avait obtenu une ordonnance de protection.

L’enfant est une victime adjoinée dans ces cas, où le risque ne peut être déchiffré qu’en termes de contrôle coercitif sur la mère. L’importance d’étendre la protection aux enfants dans une loi sur le contrôle coercitif a été soulignée par une contribution française à un rapport de l’ONU sur la violence à l’égard des femmes et des filles, la demande des juges d’inclure le contrôle coercitif dans le droit français de la famille et une jurisprudence récente en matière de droit de la famille.

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