
DES AVEUX TERRIFIANTS ET UNE « HAINE RAISONNÉE » DE NOTRE DÉMOCRATIE LIBÉRALE
« Dominique Bernard était prof de français. C’est l’une des matières où l’on transmet la passion, l’amour, l’attachement du système en général. De la République, de la démocratie, des droits de l’homme, des droits français et mécréants » Citation présentée dans l’article ci contre.
ASSASSINER LE PROFESSEUR UNIQUEMENT POUR LES VALEURS QU’IL INCARNE
Mohammed Mogouchkov le revendique : il s’en est pris à son ex-professeur, dans son ancien établissement, pour les valeurs qu’il incarnait mais sans avoir « de problème particulier avec lui ». Dominique Bernard était-il sa seule cible ? « C’était la tache principale », « intentionnelle », acquiesce-t-il, évoquant un plan élaboré « une à trois semaines à l’avance ».
SA RELATION AUX FEMMES :
Il s’est confié sur ses relations avec sa mère qui « ne voulait pas forcément mettre le voile » ni « faire la prière ». Des relations qui se sont tendues jusqu’à la rupture, comme avec sa sœur qu’il accuse d’aimer la musique « le système de liberté individuelle en France qui permet de se soustraire aux lois musulmanes ».
ARTICLE : « Dominique Bernard était la cible finale » : le terroriste d’Arras raconte son crime et sa radicalisation
LE PARISIEN
Lors de son dernier interrogatoire, Mohammed Mogouchkov a livré des aveux terrifiants, détaillant la planification minutieuse du meurtre de son ancien professeur, désigné comme cible unique. Durant cette confession inédite, il a aussi raconté sa lente dérive djihadiste.
Il est rare que les terroristes islamistes survivent à leurs actes criminels insensés. Bien souvent, ils meurent abattus par les forces de l’ordre au terme de leur périple sanglant, emportant avec eux les secrets de leur basculement dans la fureur djihadiste.
Aussi, le dernier interrogatoire de Mohammed Mogouchkov, face au juge antiterroriste en novembre dernier, revêt un caractère exceptionnel. Pour la première fois, le jeune Russe de 21 ans s’est exprimé sur l’attentat qu’il a perpétré, le 13 octobre 2023, dans son ancienne cité scolaire à Arras (Pas-de-Calais). Un professeur de lettres, Dominique Bernard, est mort lors de cette attaque au couteau, et trois autres personnes du corps enseignant et administratif ont été grièvement blessées.
« C’était planifié. Les moyens utilisés, ce qu’il y avait dans mes mains, le jour choisi, l’emplacement et la cible étaient intentionnels », a confessé l’assaillant lors de cette longue déposition dont Le Parisien
Aujourd’hui en France a pris connaissance. Des aveux détaillés, froids et en apparence spontanés au cours desquels Mohammed Mogouchkov a raconté comment il a minutieusement préparé la mise à mort d’un serviteur de cette école française qu’il exècre, et son long processus de radicalisation. Durant sa garde à vue, il avait fait le choix du silence, ne s’exprimant que pour se jouer des enquêteurs. Ce changement d’attitude s’accompagne toutefois d’une constante : le jeune tueur n’exprime toujours aucun regret vis-à-vis de son acte abominable.
La cible : « La pensée s’arrêtait à M. Bernard »
C’est l’une des révélations terrifiantes de son interrogatoire. Lorsqu’il se rue devant le portail du collège-lycée Gambetta avec deux couteaux, ce vendredi 13 octobre vers 11 heures, Mohammed Mogouchkov n’attaque pas au hasard Dominique Bernard.
L’enseignant est même l’unique cible envisagée initialement par le jeune homme lorsqu’il a conçu son projet djihadiste. « La première cible touchée était la cible principale, finale. Qui était planifiée, lâche Mohammed Mogouchkov devant la juge d’instruction. (…) Tous les mouvements qui se sont passés après les coups portés sur Dominique Bernard étaient improvisés. Même si j’ai mis des semaines à penser à ça [l’attentat], la pensée s’arrêtait à M. Bernard. »
Ancien collégien à Gambetta, le jeune Russe se souvient d’avoir eu la victime comme professeur de français « au moins une année, en quatrième ». Il précise n’avoir jamais eu de différend personnel avec son ancien enseignant, en poste à Arras depuis les années 1980. S’il a décidé de l’assassiner, c’est par haine des valeurs républicaines françaises et de ce que représentait la victime et ses enseignements. « Dominique Bernard était prof de français. C’est l’une des matières où l’on transmet la passion, l’amour, l’attachement du système en général. De la République, de la démocratie, des droits de l’homme, des droits français et mécréants », énumère Mohammed Mogouchkov avec dégoût.
Dans son esprit obscurci par le fanatisme religieux, l’école française incarne l’ennemi absolu. Lieu de transmission des principes de la laïcité, elle est perçue comme hostile aux musulmans dans l’idéologie extrémiste de l’assaillant. « Un établissement scolaire, c’est symbolique déjà, s’est-il félicité. C’est le symbole de la naissance du système. Le système a besoin d’avoir des générations et de garantir la continuité de l’idéologie en place sur les nouvelles générations. C’est le symbole du polythéisme. »
Les préparatifs : « Le vendredi rongeait mon immobilisme »
Avant de tuer son ancien professeur, Mohammed Mogouchkov a pris le soin de rédiger sur une feuille une chronologie des différentes étapes à suivre : de la sortie de son domicile en bus jusqu’à l’assaut devant le lycée Gambetta en passant par l’achat d’un téléphone pour enregistrer une vidéo et un audio de revendication près du monument aux morts d’Arras. Avec, à chaque fois, un horaire à la minute près. Une mystérieuse mention, inscrite à l’heure de l’attaque à 10h59, n’a jamais pu être déchiffrée par les enquêteurs : « B.J.G = > C. »
Interrogé par la juge d’instruction sur le sens de cette note, le jeune Russe révèle qu’il s’agit des initiales de Dominique Bernard – « B » – et de deux autres enseignantes de Gambetta – « J. » et « G ».- L’une d’entre elles a été sa professeur d’EPS. Enfin, « C » renvoie à la cantine de Carnot, le lycée technologique qui se trouve dans la même cité scolaire. « C’est l’itinéraire de ces personnes au moment de la seconde sonnerie », décrypte l’assaillant.
Comme savait-il à l’avance que Dominique Bernard irait déjeuner avec ces deux collègues-là le jour de l’attentat ? Le jeune Russe explique avoir observé les habitudes du trio lors… de repérages devant le lycée « les vendredis précédents », sans pouvoir préciser depuis quand. Un aveu qui soulève forcément des questions sur la surveillance du jeune radicalisé : fiché S depuis l’été 2023, il faisait l’objet d’un suivi actif par les agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), y compris physique.
De même, Mohammed Mogouchkov confie avoir acquis ses deux couteaux pliants au centre commercial Auchan d’Arras, l’un la veille, le second au cours des sept jours précédant le meurtre. « La grande majorité des préparatifs étaient faits les vendredis entre une et trois semaines avant. Le vendredi rongeait mon immobilisme », éclaire le jeune tueur. Il reconnaît aussi avoir tenté d’envoyer son enregistrement vocal de 13 minutes, dans lequel il prête allégeance à Daech et déverse son fiel contre la France, à six destinataires différents. Parmi eux, un homme politique français, une journaliste du Figaro, le bureau des relations médias de l’état-major des Armées ainsi que le centre de réflexion sur la sécurité intérieure, un think-tank créé par un avocat. « C’était pour leur faire passer l’audio, ils étaient concernés on va dire », se contente d’expliquer Mohammed Mogouchkov, précisant seulement : « J’avoue que c’est axé à droite ». Le jeune djihadiste n’a pas su expliquer pourquoi son email, intitulé prosaïquement « Bah c’était moi », n’est pas parvenu à ses correspondants.
L’élément déclencheur : « De l’ordre du passionnel »
Quand Mohammed Mogouchkov a-t-il eu l’idée de commettre un attentat ?
« Avant le 7 octobre, c’est sûr », tranche le suspect. La guerre entre Israël et le Hamas, ravivée six jours avant l’assassinat de Dominique Bernard par les massacres terroristes du mouvement palestinien, n’aurait donc pas constitué un élément déclencheur. Dans une déclaration alambiquée, l’assaillant d’Arras décrit une lente maturation psychologique, une pulsion mortifère qui aurait fini par le dévorer à la lecture de textes islamiques guerriers.
« Le vendredi, ma pensée était comme s’il y avait une fixette sur ça. J’y pensais, développe-t-il. Le vendredi, il y a plus de lectures du Coran, d’actes dévotionnels en islam. C’est ça qui chauffe. (…). Les derniers vendredis avant l’acte, ça me rongeait un peu. Certains versets du Coran rongent l’immobilité, dans le sens ne pas passer à l’acte, ne pas avoir ce côté violence, offensif. (…) J’avais ça en tête ces dernières semaines. C’est pas juste rationnel. Juste le fait d’écrire, de planifier ou même d’aller faire un repérage sans même être sûr si on veut vraiment le faire et quand, c’était quelque chose de l’ordre du passionnel. »
C’est à l’été 2023 que le basculement aurait eu lieu. Le jeune Russe se serait mis à lire de manière compulsive le Coran en intégralité, en particulier les passages sujets à interprétation sur la nécessité du djihad contre les ennemis de l’islam. « Ces versets la s’enchaînent et se répètent. (…) Les mauvaises langues diraient que c’est de la propagande ou du bourrage de crâne (…) L’humain est fait comme ça. On vous répète, on vous répète, peut être qu’il n’était pas d’accord et il est d’accord, et ça le pousse à faire ça (commettre une action violente) ».
Dans cet exercice d’introspection rare en terrorisme, Mohammed Mogouchkov assure n’avoir pas toujours eu « une détermination totale ». « Ce n’était pas planifié de manière certaine ce jour-là, c’était une velléité. Quelques semaines avant, il y avait l’idée et la planification matérielle, mais la certitude du passage à l’acte ce vendredi ou le prochain, il n’y en avait pas », reconstitue le jeune djihadiste. Il n’aurait pas choisi la date en hommage aux attentats du 13 novembre 2015 ou à l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. « Un vendredi dans le futur était en tête, pas le 13. Parce que c’est un jour qui a une plus grande symbolique dans l’islam », expose-t-il.
Sa radicalisation : « Avec mon frère, le terrorisme est devenu familier »
La biographie tumultueuse de la famille Mogouchkov semble avoir joué une influence majeure dans la radicalisation de Mohammed. Exilé de la république d’Ingouchie (Russie) dans les années 2000, le clan a vécu sous la menace régulière d’expulsions depuis son installation en France. Dans cette structure familiale patriarcale, le père impose à tous une pratique rigoriste de l’islam. Il serafinalement forcé de quitter le territoire français en 2018. Quelque mois plus tard, l’aîné, Movsar Mogouchkov, est mis en examen et écroué pour son implication dans un projet d’attentat déjoué visant l’Elysée.
« Au début on est choqué, on se dit que mon frère est dans une affaire terroriste puis une connexion s’est faite avec ce domaine, se remémore Mohammed Mogouchkov lors de son interrogatoire. Avec mon père, il n’y avait pas de terrorisme, juste de la radicalité. Mais avec mon frère c’est devenu plus familier : les projets, le terrorisme, le judiciaire, le GIGN, le fait qu’il appelle de la prison (…) Petit à petit, ça m’a intéressé, ça m’a radicalisé. » Alors que quelque mois avant encore, il allait au cinéma « voir Avengers », guère intéressé par l’islam, il ressent l’envie soudaine d’aller à la mosquée. « Quand j’y repense, je me dis que ça a vraiment joué sur moi, ça a fait un lien dans le subconscient », analyse-t-il. Mohammed Mogouchkov se met à lire des « récits sur les conquêtes à l’époque du Prophète », à suivre « les actualités terroristes » et à s’intéresser au dossier de son frère.
En parallèle, le cadet de la fratrie reprend les responsabilités de chef de famille malgré son jeune âge. Sur les instructions à distance du père, c’est à lui qu’incombent les rappels à la discipline islamique. Les relations deviennent conflictuelles avec sa mère, qui, à l’inverse, refuse de pratiquer la religion et ne cache pas son attachement à son pays d’accueil, au point de crier « vive la France, vive la République » à la maison. Décrit comme un excellent élève jusqu’en première, Mohammed Mogouchkov décroche à partir de la terminale. « À partir du BTS puis de l’université, j’étais vraiment radicalisé, retrace-t-il. Après l’interpellation de mon frère, je me suis responsabilisé et c’est l’intérêt pour l’islam qui a rongé ce qu’il y avait eu en première. Quand vous n’aimez pas les profs devant vous, les élèves, il n’y a plus de raison d’avoir de bonnes notes. Ils sont mécréants, ils croient au système républicain, ça a fait mon dégoût de l’école. »
Les éventuelles complicités : « Personne n’était au courant »
Si l’histoire familiale a pesé dans son endoctrinement djihadiste, Mohammed Mogouchkov tient à dédouaner ses proches de toute responsabilité dans son crime.
« Personne n’était au courant de ce projet ou même de cette volonté [de le mettre en œuvre]. Ni de près ni de loin », jure le jeune homme. Une assertion que l’enquête doit encore vérifier. Pour l’heure, son petit frère a aussi été mis en examen et écroué, soupçonné de lui avoir fait une démonstration de couteaux alors qu’il n’ignorait rien de sa radicalisation. De même, les enquêteurs s’interrogent sur l’éventuelle influence qu’a pu exercer son aîné Movsar.
L’assaillant d’Arras, lui, évoque un « cheminement individuel » dont il n’aurait pas lui-même toutes les réponses. « Je pense tout le temps à comment j’ai pu en arriver là, glisse-t-il. Comment, mentalement, de façon personnelle et sans effet de groupe ? Personne ne va tuer des gens, surtout à l’arme blanche, par simple petite envie. La partie violente, c’est la finalité, tout ce qui est avant est important aussi. » Et Mohammed Mogouchkov d’esquisser une timide réflexion sur le bien-fondé de l’assassinat odieux de son ancien professeur : « Ce coté de la morale, est ce que c’est bien, mal, mérité, je suis en train d’y penser. Comment j’ai pu aiguiser cet état d’esprit ? »