
ÉMISSION : Robert Badinter, une vie de combat contre la peine de mort
Par Pablo Maillé, Éric Chaverou, Maxime Tellier. 9 février FRANCE CULTURE
Décédé ce vendredi 9 février à l’âge de 95 ans, Robert Badinter a fait de l’abolition de la peine de mort le combat de sa vie. Retour sur son parcours.
Robert Badinter, ancien sénateur socialiste, ancien président du Conseil constitutionnel et ancien ministre de la Justice de François Mitterrand, est décédé ce vendredi 9 février à l’âge de 95 ans. Figure politique majeure de la Ve République, il restera célèbre pour son combat contre la peine de mort, dont il avait obtenu l’abolition en France suite à un discours historique devant l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981.
Diplômé d’un doctorat en droit au début des années 1950, Robert Badinter se fait d’abord connaître comme avocat au barreau de Paris. En 1963, à Dakar, il défend le ministre des Finances sénégalais, Valdiodio N’diaye, accusé de tentative de coup d’État par son président de la République. Un peu moins de dix ans plus tard, en 1972, il est le défenseur de Roger Bontems dans l’affaire du meurtre d’une infirmière et d’un gardien de la centrale de Clairvaux. Un procès fondateur de l’engagement futur de Robert Badinter, puisqu’il ne parvient pas à éviter la peine de mort à son client.
« De 1972 à 1981, j’ai vécu intensément ce combat contre la peine de mort. Une réalité brûlante, saisissante, dans les enceintes judiciaires. »
Le 28 novembre 1972 au petit matin, Roger Bontems est guillotiné dans la cour de la prison de la Santé à Paris sous un dais noir, aux côtés de Claude Buffet dont la cour d’assises a reconnu que lui seul avait tué l’infirmière et le gardien. Après cette double exécution, dont Robert Badinter fera le récit dans un livre, l’Exécution, l’avocat se mue en ardent opposant à la peine capitale. Dans Les Matins, en octobre 2016, il confiait : « J’avais le sentiment que la mort était présente dans les audiences, qu’elle était là comme une hyène invisible, qu’elle guettait sa proie. La mort. Pour refouler cela, pour combattre cela, pour refuser cela, c’était d’une intensité que je n’ai jamais connu à aucun autre moment de ma vie. Quand vous avez à 50 centimètres derrière vous, le banc sur lequel l’accusé est assis, et qu’à quelques mètres de vous, vous avez la famille des victimes, la partie civile, l’avocat, et le procureur, qui – souvent avec beaucoup de talent – pendant des heures réclament la tête de celui qui est là, et que vous savez qu’il vous reste une heure à peine – c’était déjà à mon avis trop long – pour arracher un homme à la mort – qu’il n’y a plus que vous, que des mots. Et c’est pourquoi jamais je n’ai utilisé de notes. Il fallait que vous arriviez à convaincre ceux qui vous faisaient face. Et vous ne pouvez convaincre en étant le lecteur de textes préparés. Il faut que cela jaillisse des profondeurs de vous-même. Je n’ai jamais connu épreuve qui se compare à cela. »
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De 1977 à 1981, il arrache six hommes à la guillotine
Après son échec à sauver Roger Bontems, l’avocat entame son combat dans les prétoires : il défend par exemple Patrick Henry, cet homme qui avait tué un garçon de sept ans, finalement sauvé de la peine capitale en 1977. Le jour de sa plaidoirie devant la cour d’assises de Troyes, Badinter plaide contre la peine de mort et évoque l’exécution à laquelle il a assisté quelques années plus tôt. Il évoque « le bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux », puis, s’adressant aux jurés : « Si vous décidez de tuer Patrick Henry, c’est chacun de vous que je verrai au petit matin, à l’aube. Et je me dirai que c’est vous, et vous seuls, qui avez décidé ». Patrick Henry est finalement condamné à la perpétuité et sauve sa tête.
Les procès se multiplient ensuite pour l’avocat mais son engagement prend aussi une tournure politique : il participe activement aux deux campagnes présidentielles de François Mitterrand, et devient, avec son élection en 1981, Garde des Sceaux. Sans plus attendre, il se consacre à ce qui deviendra la cause de sa vie. Il présente le 17 septembre son projet de loi d’abolition de la peine de mort devant les députés. Un pari risqué, alors qu’une majorité de Français se disent toujours favorables à la peine de mort et que la classe politique dans son ensemble reste assez réservée sur le sujet. Le projet est pourtant bien adopté par l’Assemblée nationale le 18 septembre 1981, par le Sénat ensuite, et la loi est finalement officiellement promulguée le 10 octobre 1981. « Pour moi, l’abolition était inévitable. Elle a été beaucoup trop tardive. Nous étions le dernier pays de l’Europe occidentale à abolir la peine de mort, le dernier. Et je dois dire que la conscience prise par les Français de l’abolition – que c’était fini pour toujours – a été plus long que je ne le croyais. Mais aujourd’hui, c’est terminé.«
« La prise de conscience par les Français de l’abolition, que c’était fini, et pour toujours, a été plus longue que je ne le croyais. »
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Un « Sage de la République »
Robert Badinter s’est ensuite fait plus discret mais n’a jamais vraiment mis de côté son combat pour l’abolition de la peine de mort. Nommé président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, il sera aussi sénateur socialiste des Hauts-de-Seine durant seize ans, l’unique élu socialiste du département. Il apparaissait pour beaucoup comme un « Sage de la République » et intervenait encore régulièrement sur des sujets de société ou de politique. En 2014, il se désolait ainsi dans Le Parisien de la « dégénérescence » du débat politique et de « cris antisémites poussés par certains manifestants de « Jour de Colère », une manifestation d’opposants à François Hollande et au gouvernement : « C’est la première fois depuis la fin de l’Occupation que l’on entend hurler dans les rues de Paris « dehors les Juifs ». Enfant, j’ai vu sur les murs des maisons, écrit à la craie « mort à Blum, mort aux juifs ». Après la guerre, on n’osait plus tenir de tels propos. J’ai vécu adolescent la nuit de l’Occupation. Je sais ce que signifient la haine des juifs et le cri « dehors les juifs ». Ces slogans de dimanche sont mortifères et ils atteignent de plein fouet la République« .
À propos de l’abolition de la peine de mort, Robert Badinter aimait à rappeler que son principe avait été constitutionnalisé par le Congrès à la demande du président Jacques Chirac en 2007 : article 66-1 . Sans oublier la garantie des traités internationaux : « Selon notre Constitution, les accords internationaux ont une valeur juridique supérieure à la loi nationale. Or, c’est un ensemble de conventions internationales que nous avons souvent initié, en tout cas toujours signé et ratifié, qui interdisent le recours à la peine de mort. C’est vrai d’abord au sein du Conseil de l’Europe, et toute l’Europe a aussi ratifié le protocole n°6 qui interdit de rétablir la peine de mort. Il n’y a qu’un Etat parmi les 48 du continent européen qui pratique encore la peine de mort, et ce n’est pas surprenant, c’est le dernier des Etats staliniens : la Biélorussie. Donc l’Europe est complètement purgé de la peine de mort. C’est son honneur et c’est tellement révélateur. Et puis, il y aussi le monde entier et les conventions signées dans le cadre des Nations unies. » (Extrait des Matins, du 10 octobre 2016)
Mais ce combat reste loin d’être gagné puisque le nombre d’exécutions enregistrées, 1 634 en 2015, n’a jamais été aussi élevé dans le monde depuis 1989. Un chiffre en deçà de la réalité car les milliers d’exécutions en Chine ne rentrent pas dans les statistiques mondiales en raison de leurs qualifications de secret d’État par le gouvernement.
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