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REMPLACEMENT DES ENSEIGNANTS : UNE PROMESSE (84) TOUJOURS NON TENUE

LES ABSENCES MAL GÉRÉES DEPUIS 2017

Contrairement à ce qu’a assuré le chef de l’Etat, les absences de longue durée ne sont pas mieux gérées qu’à son arrivée au pouvoir en 2017. Elles pèsent lourdement sur la scolarité de nombreux élèves. 

ARTICLE : Les enseignants non remplacés, un problème non résolu pour le gouvernement : « On va dépenser des millions pour des uniformes, alors que tous nos enfants n’ont pas d’enseignants ? »

Par Eléa Pommiers Publié le 20 janvier 2024

D’un chiffre, Emmanuel Macron a balayé l’enjeu. « Durant mon premier quinquennat, (…) on a réussi à répondre au problème des absences longues des professeurs », s’est félicité le président de la République durant sa conférence de presse, mardi 16 janvier« On a des résultats formidables », a-t-il insisté en s’appuyant sur un taux de « 95 % » des absences longues remplacées dans le second degré. Le « ressenti sur le terrain » selon lequel la promesse républicaine « d’un professeur devant chaque élève » n’est pas tenue résulte ainsi, d’après le chef de l’Etat, des « absences de courte durée », très peu remplacées. « On est en train de s’attaquer [à ces absences] », a conclu Emmanuel Macron, en référence au « pacte enseignant » qu’il a souhaité créer en septembre 2023 pour inciter les professeurs volontaires à accepter des heures supplémentaires pour assurer, notamment, des remplacements courts.

Ces déclarations ont heurté les syndicats enseignants et de nombreux parents d’élèves. « C’est une distorsion totale d’appréciation par rapport à ce qu’on vit sur le terrain, où la situation est toujours aussi catastrophique, notamment sur les remplacements de longue durée ! », s’insurge Grégoire Ensel, président de la FCPE. « On a les mêmes remontées que d’habitude, ce n’est pas mieux que les années précédentes », abonde Laurent Zameczkowski, porte-parole de la fédération des parents d’élèves PEEP.

Le sujet a gagné en sensibilité quand la nouvelle ministre de l’éducation nationale a pointé, vendredi 12 janvier, un « paquet d’heures pas sérieusement remplacées » dans le public pour justifier son choix de scolariser ses enfants dans le privé il y a quinze ans. L’accusation, dans le cas d’Amélie Oudéa-Castéra, était infondée. Mais, au-delà de sa situation personnelle, la déclaration a révolté en installant l’idée que la première responsable du service public d’éducation contournait l’école publique – qui accueille 80 % des élèves – pour éviter à ses enfants un problème que le ministère a la responsabilité de résoudre.

A ce titre, la présentation faite par le chef de l’Etat de ce sujet au cœur des préoccupations des parents d’élèves n’est pas anodine politiquement. Pour les absences de moins de quinze jours, celles dites de courte durée, la règle établie par l’éducation nationale veut que les rectorats n’affectent pas de remplaçants et que leur couverture repose sur les équipes des collèges et lycées, chargées de compenser en interne. L’éducation nationale est en revanche tenue de nommer des remplaçants pour les absences de plus de quinze jours, pour lesquelles chaque raté renvoie l’Etat – et donc le gouvernement – à sa responsabilité.

Crise de recrutement

De fait, les parents s’alarment d’abord des non-remplacements longs, car ce sont ceux qui pèsent le plus sur les trajectoires scolaires et servent de terreau à l’inégalité des chances. Et même si les aléas sont inévitables pour une administration qui doit gérer plus de 718 000 professeurs au sein de 51 000 établissements publics, les indicateurs montrent que la situation se dégrade, en réalité, depuis six ans. Le taux de couverture des absences longues est élevé, comme l’a souligné Emmanuel Macron, mais il était de 94 % en 2022, contre plus de 97 % jusqu’en 2017. Interrogé plusieurs fois, le ministère a refusé de préciser au Monde combien de ces remplacements sont demandés chaque année, et combien d’heures de cours perdues résultent d’absences longues.

L’école primaire, où l’éducation nationale doit affecter un remplaçant dès la première demi-journée d’absence d’un professeur, n’est pas épargnée par ces difficultés croissantes : 78 % des remplacements y sont effectués dans les temps, contre 82,7 % en 2016-2017 et plus de 90 % en 2005-2006. « C’est plus rare que dans le secondaire, mais il arrive qu’il manque un enseignant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ou que les remplaçants se succèdent », observe Laurent Zameczkowski.

Les raisons sont moins à chercher du côté de la quantité d’absences – les enseignants sont en moyenne arrêtés moins fréquemment pour maladie que le reste des salariés, et moins longtemps – que de celui de la crise de recrutement que traverse l’éducation nationale depuis plusieurs années, et qui s’aggrave depuis 2022.

Le ministère et les rectorats assurent « tout faire » pour répondre aux besoins, mais se heurtent souvent au même écueil : le manque de vivier. Faute de recrues en nombre suffisant aux concours, à la rentrée 2022, 3 100 postes étaient vacants dans les 7 800 collèges et lycées publics, et il a fallu en moyenne 26,7 jours pour les combler.

« Rupture d’égalité »

Dans le second degré, les effectifs d’enseignants titulaires affectés à du remplacement ont par ailleurs été drastiquement réduits par les gouvernements depuis vingt ans, passant de plus de 37 000 en 2006 à moins de 10 000 en 2021. Et la pénurie de professeurs oblige à en mobiliser de plus en plus sur des postes non pourvus dès la rentrée, les empêchant donc d’assurer leur mission en cours d’année en cas de maladie longue, congé maternité, départ en retraite. Bien que les effectifs de remplaçants y soient plus nombreux, ce phénomène affecte aussi le premier degré.

Tous les territoires sont concernés mais certains sont plus exposés : c’est le cas par exemple des académies de Créteil et Versailles, les plus grosses du pays. En Seine-Saint-Denis, département qui affiche un taux de remplacement parmi les moins élevés, la FCPE avait recensé en 2022-2023 plus d’une vingtaine de collèges et lycées où les absences non remplacées se comptaient en mois. « Les problèmes perdurent : un collège qui a passé deux ans sans prof de physique et où il manque cette fois une prof d’espagnol depuis septembre, un lycée avec quatre enseignants pas remplacés depuis deux à quatre mois…  », liste Hanaine Ben Hadj, représentante FCPE dans le département.

Le fils de Lucile Guibal, scolarisé en 2de à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), n’a ainsi pas de professeur de physique-chimie depuis la rentrée. « Le lycée essaye de compenser, mais ça ne rattrapera jamais toutes les heures. Comment voulez-vous après qu’ils aient le niveau ! », s’énerve cette mère de famille, inquiète pour son enfant qui souhaite prendre la spécialité physique-chimie en 1re.

Dans l’Ain, Isabelle (elle n’a pas souhaité donner son nom) dénonce la même « rupture d’égalité » pour son fils qui, en 1re, n’a pas de professeur de français depuis la rentrée de septembre 2023. Faute de remplaçant, des cours en visioconférence ont un temps été organisés avec un professeur de Lyon, plus disponible depuis la rentrée. Pour son fils qui passera le bac en juin et n’a pour l’heure jamais pu s’entraîner sur un exercice écrit en classe, elle paye un professeur privé, mais sait déjà que les lacunes seront irrémédiables. « Ceux qui n’ont pas les moyens d’assumer ces cours privés n’ont rien, c’est d’une injustice folle », s’indigne-t-elle. Mardi, elle a regardé l’intervention présidentielle, et elle ne décolère pas contre celui à qui elle a donné sa voix en 2022 : « On va dépenser des millions pour instaurer un uniforme à l’école, alors que tous nos enfants n’ont pas d’enseignants ? », lance-t-elle, révoltée.

Risques de décrochage

Ces non-remplacements augmentent les risques de décrochage, surtout quand ils touchent des élèves en difficulté. « Il peut manquer jusqu’à douze heures par semaine pour certaines des classes de mon établissement et on sait qu’on ne trouvera personne », se désole une proviseure de lycée professionnel dans l’académie de Versailles, à qui il manque depuis plusieurs mois deux enseignants de disciplines dont le volume horaire est important. « Nos profs accumulent les heures supplémentaires pour essayer de compenser, mais on n’y arrive pas, les élèves passent beaucoup de temps en permanence et ça se ressent : on a plus de dégradations dans le lycée, et l’absentéisme des élèves augmente », déplore-t-elle.

Les contractuels, auxquels les académies ont désormais majoritairement recours pour les remplacements (ils étaient 10 000 sur cette mission en 2021), n’apportent pas toujours la solution qu’espèrent les parents. « Sur le papier, le remplacement est fait mais ce n’est pas pour autant que les enfants progressent comme ils devraient car les nouveaux contractuels ne sont pas formés, et parfois ils ne sont même pas qualifiés pour le poste », regrette Isabelle Boutherre, parent d’élève dans l’Ain, dans le même lycée que la mère d’élève citée plus haut.

Aucun ne nie par ailleurs les difficultés que peuvent causer les absences courtes, perlées, surtout lorsqu’elles se répètent. Le « pacte », promis par le gouvernement comme une solution, ne résout pas le problème : seules 15 % des absences courtes ont été remplacées au cours du premier trimestre de l’année scolaire 2023-2024, selon un indicateur créé à la rentrée, dont la Rue de Grenelle affirme cependant qu’il est en progression. « Lorsqu’un professeur attrape une grippe ou a un enfant malade à garder, on n’a pas le temps de s’organiser dans la journée », explique Nicolas Bonnet, proviseur en Gironde et secrétaire départemental du SNPDEN-UNSA.

Les parents attendent d’autres réponses : « L’objectif, c’est que les élèves aient toutes les heures qui leur sont dues dans chaque discipline et avec le pacte, on a parfois un prof d’anglais qui remplace une heure de français, jamais rattrapée », pointe Grégoire Ensel. Outre davantage de recrutements, réclamés aussi par les syndicats enseignants, la FCPE souhaite, en 2024, demander au ministère la révision du délai d’affectation d’un remplaçant, pour l’abaisser à moins de quinze jours.

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