
L’urgence à repenser les équilibres institutionnels : article 49.3 et modes de scrutin
Il est urgent de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace. Tel est le propos de l’article (2.) proposé à la lecture ci-dessous
EXTRAIT : « Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif.
« Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique.
« La clarification de l’article 49.3 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle. »
VOIR EN POINT 1. le dispositif de l’article 49.3
1. L’article 49.3 : comment ça marche ?
SOURCE : gouvernement. fr – Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Manuel Valls. 16/06/2015
Le point sur cette procédure prévue par la Constitution.
Que dit l’article 49.3 ?
L’article 49, alinéa 3 de la Constitution française prévoit que :
« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».
Article 49 alinéa 3
- Constitution
Comment ça marche ?
Lors du vote d’un projet ou d’une proposition de loi, le Premier ministre peut décider d’engager la responsabilité du Gouvernement. Dans ce cas:
- L’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution fait l’objet d’une délibération préalable en Conseil des ministres.
- Le projet ou la proposition de loi est alors réputé adopté sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures et signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale.
Deux cas de figure possibles :
- Si aucune motion de censure n’est déposée, le projet ou la proposition est considéré comme adopté ;
- Si une motion de censure est déposée, elle est discutée et votée dans les mêmes conditions que celles présentées par les députés.
En cas de rejet de la motion, le projet ou la proposition est considéré comme adopté. Dans l’hypothèse inverse, le texte est rejeté et le Gouvernement est renversé.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la responsabilité du Gouvernement peut être engagée sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale et sur un seul autre projet (ou proposition) de loi au cours d’une même session.
Auparavant, le Gouvernement pouvait y recourir autant de fois qu’il l’estimait nécessaire et quelle que soit la nature du texte (de 1988 à 1993, le Gouvernement a ainsi utilisé l’article 49.3 à 39 reprises).
Quelques exemples
Depuis 1958, l’article 49.3 a été utilisé à 88 reprises, comme par exemple :
- Michel Rocard (mai 1988-mai 1991) a engagé à 28 reprises la responsabilité de son Gouvernement aux termes de l’article 49.3. 5 motions de censure ont été déposées par l’opposition, à chaque fois rejetées. Plusieurs textes ont été adoptés grâce au 49-3, notamment la loi créant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la réforme du statut de la Régie Renault et la loi de programmation militaire 1990-1993.
- Trois projets de loi ont été adoptés, sous le Gouvernement de Pierre Bérégovoy (avril 1992-mars 1993), en application de l’article 49.3 : la maîtrise des dépenses de santé, le projet de loi de finances pour 1993 et le fonds de solidarité vieillesse.
- Après le dépôt de quelque 3 800 amendements contre le projet de loi sur les privatisations d’entreprises publiques, Édouard Balladur (mars 1993-mai 1995) engage la responsabilité du Gouvernement. La motion de censure déposée par l’opposition est rejetée et le texte est alors adopté.
- Jean-Pierre Raffarin (mai 2002-mai 2005) s’est saisi deux fois de l’article 49.3 : une première pour faire adopter sa réforme des modes de scrutin régional et européen ; une seconde fois sur le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales qui favorise la décentralisation.
Tous les recours au 49.3 depuis 1958 (Vie Publique)
2. ARTICLE : Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé
25 février 2024 CONTREPOINTS Pierre-Gaël Jeangène
Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l’Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.
Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.
Pour beaucoup, c’est un non-sujet. Car le gouvernement, dit-on, tire surtout sa légitimité du président qui le nomme et « gouverne tant qu’il n’est pas renversé », comme le déclarait Pompidou en 1966, en inaugurant en tant que Premier ministre ce premier refus de se soumettre au vote de confiance de l’Assemblée, pourtant assez clairement prévu à l’article 49.3 de la Constitution (Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme).
L’absence de soutien affirmé de l’Assemblée, suivie de l’échec de la censure ne sont cependant pas sans conséquences. Cela place ce gouvernement dans une inconfortable zone grise, quelque part entre une confiance inatteignable et une défiance improbable, ni complètement apte ni totalement inapte à appliquer sa politique, et jouissant d’une légitimité démocratique à la fois avérée et sujette à débat. Ce gouvernement d’entre-deux a tout de même un signe distinctif : il s’articule très mal avec l’Assemblée et mérite à ce titre le qualificatif d’incongruent.
Depuis 18 mois, l’exécutif s’emploie à masquer ou dédramatiser cette situation d’incongruence, par ses actions comme dans sa rhétorique. Les gouvernements n’ont jamais été aussi minoritaires (une quarantaine de sièges manque pour atteindre la majorité absolue, contre 14 sous Rocard) mais on n’a jamais autant parlé de majorité, tantôt présidentielle, tantôt relative.
« Les majorités texte par texte, ça marche » renchérit souvent Yaël Braun-Pivet lors de ses interviews, pour signifier que la procédure législative reste efficace, ce qui est indéniable. Et puis, comme chacun le sait maintenant, la Cinquième République dote l’exécutif d’un véritable arsenal (le 49.3 entre autres) pour légiférer contre ou sans le Parlement. Et si la loi est trop incertaine, qu’à cela ne tienne, on peut faire sans.
« On passe trop par la loi dans notre République » assénait Emmanuel Macron le 22 mars 2023. Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire, et a donc toute sa capacité d’administration de l’État.
Mais alors pourquoi est-il si important qu’un gouvernement se dote de la confiance de l’Assemblée ?
Parce qu’un État ne doit pas simplement être administré, mais également gouverné, et que la confiance de l’Assemblée apporte la garantie que le gouvernement a les moyens de sa politique.
Si la très grande majorité des Constitutions de nos voisins en Europe (y compris la Russie) obligent les nouveaux gouvernements à disposer de la confiance explicite de la chambre, c’est simplement pour que le peuple soit dirigé avec la stabilité, l’efficacité et la prévisibilité qu’il est légitimement en droit d’attendre. Il s’agit de s’assurer que les pouvoirs exécutif et législatif sont suffisamment bien articulés pour offrir un cap fiable et raisonnablement performatif aux citoyens, aux administrations, aux entreprises, à nos partenaires commerciaux, à l’Europe, ou même aux agences de notation. Un vote de confiance réussi vient légèrement atténuer le fort degré d’incertitude dans lequel tous les pays sont naturellement plongés.
En revanche, l’absence de confiance alourdit cette incertitude, elle limite la capacité de l’exécutif à tenir un cap clair et durable, et rend la politique du pays imprévisible et vulnérable aux caprices de quelques demi-opposants (on pense notamment aux députés LR).
La Loi immigration offre un exemple frappant : personne ne pouvait prévoir l’orientation finale du texte jusqu’au jour de son adoption. Depuis 2022, la production législative est si aléatoire que même le rôle des ministres a été progressivement modifié : on leur demande de cautionner collectivement des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire, exigeant d’eux une grande plasticité d’esprit…
Autoriser un gouvernement à se maintenir sans soutien majoritaire de l’Assemblée comporte un autre inconvénient, peut-être encore plus préoccupant : le débat parlementaire se transforme en marchandage (on pense par exemple à cette mystérieuse promesse d’Elisabeth Borne de réformer l’AME en échange du soutien de LR sur la Loi immigration) et tous les stratagèmes et outils du parlementarisme rationalisé sont utilisés à plein pour faire adopter le programme et les budgets.
Le cynisme devient l’unique méthode d’un exécutif acculé, qui en est réduit à outrepasser tout ce qui peut l’être, se jouer de la Constitution, contourner ou ignorer les corps intermédiaires, voire se montrer insincère, pourvu que les titubations parlementaires emmènent le pays dans la direction qu’il souhaite. Cette posture exalte ses soutiens autant qu’elle indigne ses opposants, et ainsi aggrave la défiance envers les institutions et les élus tout en attisant la polarisation de la société.
En demandant au Premier ministre de présenter une feuille de route gouvernementale tout en assumant d’être minoritaire, le président de la République préfère la discorde à l’apaisement, et la pureté de son projet à sa réalisation concrète, ce qui est typique des idéalistes radicaux, et non des pragmatiques.
Aucune coalition (vraiment) majoritaire, aucun changement de calendrier électoral, aucun rééquilibrage institutionnel n’étant prévus, cette nouvelle forme de régime est bien partie pour durer. Les prochains présidents élus en 2027 ou 2032 sont donc probablement condamnés d’avance à promettre l’hégémonie habituelle lors de la campagne, puis à gouverner immédiatement en situation d’incongruence, avec peut-être un soutien parlementaire encore bien moindre qu’aujourd’hui. La partition politique et la polarisation territoriale morcellent en effet cruellement l’Assemblée et semblent interdire tout fait majoritaire à moyen terme.
Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif. Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique. La clarification de l’article 49.3 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle.