
UNE LOI PEUT ELLE ÊTRE INTERPRÉTÉE SI DIFFÉREMMENT PAR LE JUGE ADMINISTRATIF APRÈS ANNÉES 38 D’APPLICATION ?
C’est une des questions qui se pose.
Sur la forme, le CE est il légitime pour ce faire ? ( coup de force du juge administratif dans un État de droit )
Sur le fond, la liberté d’expression n’est elle pas entamée ?
Pour l’auteur de l’article ci contre – proposé à votre lecture – « c’est tout le contraire « .
Metahodos a également demandé si ce n’est pas au Parlement de reprendre la main si la loi s’avère à ce point obsolète ?
ARTICLE : « En France comme ailleurs, le pluralisme des médias ne résulte pas du jeu du marché, il se construit »
Camille Broyelle Professeure de droit public LE MONDE 27 02 2024
Camille Broyelle, professeure de droit et spécialiste des médias estime, dans une tribune au « Monde », que la décision du Conseil d’Etat du 13 février sur la diversité des points de vue à la télévision n’est pas contraire à la liberté d’expression, mais fidèle à l’esprit de nos lois.
Dans une affaire relative à CNews, le 13 février, le Conseil d’Etat a enjoint au régulateur de l’audiovisuel, l’Arcom (ex-CSA), de se montrer plus exigeant à l’égard du pluralisme de l’information. Déjà, les critiques fusent : atteinte à la liberté d’expression pour les uns, coup de force des juges, ou encore premier signe d’un régime autoritaire pour les autres. C’est pourtant tout l’inverse. Il faut le comprendre et ne pas se laisser impressionner par l’argument de la liberté d’expression, si souvent brandie par ses plus grands fossoyeurs.
Rappelons tout d’abord le droit en vigueur. « L’Arcom assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale », énonce la loi du 30 septembre 1986 (article 13). Le législateur a ainsi imposé aux chaînes un pluralismeinterne, c’est-à-dire l’expression de points de vue différents au sein même de leur programmation. Jusqu’à présent, le régulateur se contentait d’en déduire une obligation de répartition équitable des temps de parole des « personnalités politiques » dont il dressait la liste. Certaines chaînes ont cependant entrepris de confier aux présentateurs et aux chroniqueurs le soin d’exprimer des opinions partisanes.
Temps de parole obsolète
Le seul calcul des temps de parole des personnalités politiques est ainsi devenu obsolète. Désormais, pour assurer l’effectivité du pluralisme, il faudra, selon le Conseil d’Etat, prendre en compte, « dans l’ensemble de la programmation, la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés ». L’Arcom est ainsi appelée à créer un nouvel outil capable de mesurer si une chaîne, dans sa globalité, représente ou non différents points de vue.
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Aujourd’hui comme hier, le pluralisme interne restreint nécessairement la liberté éditoriale des chaînes de la TNT. Il faut pourtant comprendre que la liberté des médias n’est pas la liberté d’expression de l’individu appliquée aux médias. Chercheur à la London School of Economics, Damian Tambini l’a très bien montré dans un ouvrage marquant (Media Freedom, « liberté des médias », Polity, 2021, non traduit). En France, comme dans la plupart des démocraties libérales − les Etats-Unis font exception −, cette liberté est tout entière tournée vers l’utilité sociale des médias et le rôle fondamental qu’ils exercent dans la vie démocratique.
Le Conseil constitutionnel l’a parfaitement exprimé lorsque, expliquant les exigences du pluralisme, il conclut : « En définitive, l’objectif à réaliser est que les téléspectateurs, qui sont au nombre des destinataires essentiels de [la liberté de communication], soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché. » La doctrine du libre marché des idées promue aux Etats-Unis est aux antipodes de nos valeurs. Précisément, les opinions ne doivent pas constituer la proie des intérêts économiques.
En France comme ailleurs, le pluralisme ne résulte pas du jeu du marché ; il se construit. Dans le secteur de la presse, il est soutenu par un dispositif d’aides publiques qui permet d’assurer la diversité des titres. On parle alors de pluralisme externe. Lorsqu’il ne peut être réalisé, l’exigence de pluralisme interne prend le relais. C’est le cas s’agissant de la TNT.
Rôle majeur sur l’opinion
Les chaînes sont en effet diffusées par des fréquences hertziennes dont le nombre est limité. Sans doute peuvent-elles désormais s’en dispenser et être exclusivement distribuées sur d’autres réseaux, en particulier sur Internet. Ce sont pourtant les chaînes de la TNT qui rassemblent la plus large audience, ce qui explique l’importance pour un éditeur de télévision de disposer d’un canal hertzien plutôt que de migrer en ligne.
En dépit des évolutions considérables, actuelles et à venir, des modes de consommation des contenus audiovisuels, les chaînes de la TNT exercent toujours un rôle majeur sur l’opinion. C’est pourquoi l’espace d’expression sur la TNT doit par lui-même, indépendamment des autres lieux de communication publique, garantir le pluralisme. Or, sur la TNT, ce pluralisme ne peut être réalisé par la diversité des acteurs. Il faut en effet être riche pour exploiter une chaîne de télévision − un financement public est inenvisageable tant son coût serait exorbitant. Affranchir la TNT de l’obligation de pluralisme interne reviendrait ainsi à confier à la puissance de l’argent le soin de choisir les opinions autorisées à s’exprimer sur les ondes.
Alors qu’en 2025 l’Arcom remettra en jeu quinze autorisations pour quinze chaînes de télévision, le Conseil d’Etat a donc raison de réaffirmer les exigences du pluralisme, afin que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics n’accaparent le téléspectateur pour lui dicter ses choix.
Camille Broyelle, professeure de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, y dirige le master « droit du numérique, droit des médias »