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HIVER STUDIEUX AVEC METAHODOS : LÉGALITÉ ET LÉGITIMITÉ AU TEMPS  DE LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR

ARTICLE – Légalité et légitimité : la lutte de Carl Schmitt contre la république de Weimar et sa défense d’une « contre-constitution » allemande1

Olivier Beaud Professeur à l’université de Paris II (Panthéon-Assas) OPEN ÉDITION

« Les théories ne font certes pas les coups d’État, mais elles confèrent l’aura de la légitimité aux mesures dictées de façon apparemment
irrésistible par la nécessité2. »

1Rien ne semble plus indiqué que mettre en relation la pensée constitutionnelle de Carl Schmitt avec la fin de la république de Weimar (ou l’arrivée au pouvoir de Hitler). En effet, lors de cette dernière année weimarienne, le juriste allemand a l’occasion de mettre sa théorie constitutionnelle à l’épreuve des faits. Théoricien de la crise, il est dans son élément lorsqu’en 1932 la crise politique se précipite dramatiquement. Il est même au cœur des événements puisqu’il a réussi à s’introduire dans les cercles dirigeants de la république, et qu’il peut enfin jouer ce rôle de légiste auquel il aspire3. Il veut influencer les décisions politiques prises par les hautes autorités de l’État, mais cette fois « non pas de manière doctrinale, mais par les conseils et l’action4 ». Étudier la pensée de Schmitt en 1932, c’est donc analyser une pensée en action, c’est-à-dire examiner l’œuvre d’un juriste qui doit « penser sous le feu de l’action » (ro think under fire) pour utiliser une belle expression du juge Oliver W. Holmes.

2Une première raison qui milite en faveur de l’étude de cette courte, mais décisive période, c’est qu’elle peut nous indiquer rétrospectivement dans quel sens on doit interpréter l’ensemble de l’œuvre constitutionnelle schmittienne sous Weimar. On pourrait donc savoir si Schmitt était ou non favorable à la constitution de Weimar.

3Une autre raison tient au fait que les travaux précédemment cités prennent trop souvent pour argent comptant les déclarations de Schmitt et manquent donc du nécessaire esprit critique pour évaluer les textes de la période. À ce propos, il est de bonne méthode non seulement de lire les textes de Schmitt en fonction de leur contexte politique5 et constitutionnel, c’est-à-dire l’histoire du droit positif, mais également de les comparer, même brièvement, aux prises de position des autres juristes contemporains. Ce regard croisé est le seul moyen de se déprendre des auto-appréciations de son œuvre. Cela suppose de mettre en relation les textes constitutionnels de Schmitt et ceux de la doctrine constitutionnelle.

4Or, dans cette période cruciale, s’il existe un texte capital, c’est bien la brochure de Schmitt sur Légalité et légitimité6, dans laquelle il réagit aux événements les plus récents7. Bien qu’il se présente comme une étude scientifique du régime, cet essai est en réalité un texte « militant » qui prône la nécessité d’une réforme constitutionnelle de grande ampleur. Mais cette question de la réforme constitutionnelle, brûlante d’actualité, apparaît seulement en filigrane dans ce texte « contourné », certainement le plus digne d’être lu entre les lignes8. Après la guerre de 1945, Schmitt l’interprétera comme suit :

« Cet écrit était une tentative désespérée de sauver le système présidentiel, la dernière chance de la constitution de Weimar, face à une science du droit (Jurisprudenz) qui refusait de s’interroger sur l’ami ou l’ennemi de la constitution9. »

5Ce plaidoyer pro domo ne convainc pas si l’on sait décrypter un texte qui était destiné à combattre la constitution de Weimar, si étrangère à l’esprit allemand. Tout comme Savigny entendait combattre la codification française, en redonnant vie à l’esprit du droit allemand, Schmitt veut faire revivre « l’essence de la constitution allemande ». C’est pourquoi même s’il combat les nazis dans ce texte, on ne peut pas en déduire pour autant qu’il entend sauver la république de Weimar.

Le réquisitoire contre la constitution de Weimar

6À la différence de ses collègues juristes, Schmitt ne se contente pas d’analyser certaines dispositions sur les pouvoirs dictatoriaux ou la révision constitutionnelle. Son analyse de la situation politique et juridique le conduit à proposer une interprétation d’ensemble de la constitution de Weimar. Sous prétexte de la décrire objectivement, il entend relever ses contradictions, d’une manière générale, les contradictions de l’État parlementaire classique qui est ici requalifié sous le nom de « système de légalité de l’État législatif ».

La construction rhétorique

7La brochure débute par une longue introduction où l’État moderne, législatif et parlementaire, est présenté comme une forme de gouvernement parmi d’autres comme l’État juridictionnel, l’État gouvernemental ou l’État administratif. Chaque forme de gouvernement se distingue par la prédominance d’une institution. Dans le cas de l’État législatif, c’est évidemment le Parlement qui représente l’institution dominante, dans les autres cas ce sont respectivement le juge, l’exécutif ou l’administration. Mais le plus important réside dans le fait que chaque forme de gouvernement obéit à un « principe » au sens de Montesquieu. L’État juridictionnel est fondé sur la liberté de jugement et l’ethos du juge, l’État gouvernemental a son principe dans les valeurs monarchiques que sont la gloire et l’honneur, tandis que l’État administratif obéit au principe bureaucratique de la rationalité instrumentale (Zweckmäβigkeit) et repose sur l’ethos des fonctionnaires. En revanche, l’État législatif et parlementaire obéit à un principe moins noble : le pathos de la légalité10.

8Dans le premier chapitre, Schmitt étudie le « système de légalité de l’État législatif et parlementaire », c’est-à-dire le type de l’État législatif, dont il veut dégager les institutions juridiques de base. Il en voit essentiellement deux : d’un côté, la notion de loi au sens libéral, et le principe de l’égal accès au pouvoir. Mais cette apparente description scientifique dissimule mal un violent réquisitoire contre l’État législatif et parlementaire accusé de tous les péchés. Pour résumer, on pourrait dire que Schmitt exprime en termes constitutionnels ce qu’il avait déjà dénoncé en termes plus politiques dans son essai sur le parlementarisme de 192311. Dans les deux textes, l’État parlementaire apparaît comme une forme de gouvernement dépassée et anachronique. Mais ce jugement sur le prétendu anachronisme de l’État parlementaire s’appuie sur des arguments nouveaux : d’une part, le déclin de la loi concurrencée désormais par le décret-loi, c’est-à-dire par l’activité para-législative du gouvernement, et d’autre part, le caractère suicidaire du principe libéral de l’égal accès au pouvoir qui favorise les partis extrémistes qui s’en servent pour accéder au pouvoir. Ces deux thématiques ont remplacé celle de l’affaiblissement du principe de « publicité » qui était au centre de l’essai sur le parlementarisme. Mais encore une fois, la cible choisie par Schmitt – le parlementarisme et les régimes de partis – ne change pas, seules changent les techniques argumentatives.

9Les intentions de l’auteur de Légalité et légitimitécommencent à apparaître lorsque, dans le second chapitre, il élabore sa construction des « trois législateurs extraordinaires de la constitution de Weimar ». Ces législateurs d’exception se distinguent donc du législateur ordinaire (le Parlement qui édicte la loi normale) par le fait qu’ils édictent des lois exceptionnelles. Le premier d’entre eux est le législateur constitutionnel, c’est-à-dire l’autorité qui a le pouvoir de réviser la constitution par une loi spéciale (article 76)12. Schmitt associe la compétence de ce législateur particulier à l’objet de la loi ratione materiae.Il veut démontrer que le législateur constitutionnel doit respecter la deuxième partie de la constitution qui porte sur les droits et devoirs fondamentaux des Allemands. Il s’oppose donc à la conception positiviste qui estime que la compétence de révision est matériellement illimitée. Les deux autres législateurs extraordinaires sont d’un côté le peuple qui a la faculté, grâce au référendum prévu aux articles 73 et 75, de passer des lois qui concurrencent la compétence du Parlement, et, d’un autre côté, le président du Reich qui, en vertu de l’article 48 et donc de la ratione necessitatis, peut prendre des « mesures » qui se distinguent des lois simples.

10Ces trois figures de « législateurs extraordinaires » sont ici invoquées pour illustrer une « crise de la loi », c’est-à-dire pour démontrer que le Parlement comme législateur ordinaire est dépassé par ces nouvelles formes de législation. Chacun d’entre eux incarne un type spécifique de légitimité. Le premier, le législateur constitutionnel, représente la légitimité du contenu juridique figurant dans la partie « substantielle » de la constitution, par opposition au vide de la légalité formelle. Le peuple législateur incarne évidemment la légitimité plébiscitaire, et l’Exécutif la légitimité d’un ordre supérieur au texte constitutionnel, c’est-à-dire la légitimité de l’ordre public. Dans ces trois cas, la légitimité invoquée par Schmitt sert à reprocher son illégitimité au « système de la légalité », c’est-à-dire à l’État parlementaire libéral.

11Le but polémique de cette démonstration – discréditer la constitution de Weimar – apparaît clairement en conclusion de son étude. Là, Schmitt abat en quelque sorte ses cartes. Il pointe la contradiction suivante. D’un côté, le système parallèle des « législateurs extraordinaires » n’est pas en mesure de s’imposer car le législateur ordinaire garde finalement les moyens d’être « le maître du terrain13 ». Mais d’un autre côté, le système parlementaire est paralysé et ne peut plus fonctionner en raison de l’émiettement des partis (thème déjà étudié du « pluralisme »)14. Même la solution improvisée de la démocratie plébiscitaire a ses limites. « Ce serait vraiment une erreur dangereuse de considérer et de croire que l’instrument de la légitimité plébiscitaire est moins inoffensif que d’autres méthodes15. » Cette dernière notation est décisive car elle montre qu’à cette époque, en juillet 1932, Schmitt refuse la solution de la démocratie plébiscitaire à laquelle on associe souvent son projet. Le couple formé du Chef et du peuple qui lui accorde son soutien (à l’occasion du référendum ou d’élections suivant la dissolution) ne peut plus sauver le régime. Il faut donc une solution plus radicale encore, c’est-à-dire une solution en dehors de la constitution de Weimar puisque cette dernière n’accorde plus de solution viable dans son cadre. On va voir que cette solution consiste à privilégier la partie « substantielle » de la constitution (titre II) par rapport à sa partie « organisationnelle » (titre Ier).

L’abandon de la partie « organisationnelle » de la constitution de Weimar

12L’enjeu de la réforme constitutionnelle se résume, selon Schmitt « à l’alternative fondamentale suivante : reconnaissance de contenus et forces du peuple allemand ou maintien et poursuite de la neutralité axiologique fonctionnaliste avec la fiction de l’égalité des chances quelles que soient les différences de contenus, de buts et de tendances16 ». Quelle est cette alternative et cette décision ? C’est celle qui oppose les deux parties jugées inconciliables de la constitution de Weimar que sont, d’un côté, la première partie de la constitution consacrée à l’organisation des pouvoirs publics (titre Ier, « Structure et missions du Reich », Aufbau und Aufgaben des Reichs) et la seconde partie qui porte sur les « droits fondamentaux et les devoirs fondamentaux des Allemands » (titre II). Or, ces deux parties forment, selon lui, deux constitutions irréconciliables. En d’autres termes, un seul texte constitutionnel (aspect formel) contient deux constitutions ratione materiœ (aspect matériel). Selon lui, c’est cette contradiction qui mine l’ensemble du régime de Weimar. Et comme il s’agit d’une contradiction portant sur les principes, il faut « trancher ». Schmitt, pour sa part, n’hésite pas à le faire et il choisit la « seconde » constitution qui correspond à sa vision de la « constitution allemande » et qui s’apparente au projet de Friedrich Naumann.

« Si l’on établit scientifiquement que la constitution de Weimar est composée de deux constitutions, et qu’il faut choisir l’une de ces deux constitutions, alors il faut que la décision porte sur le principe de la seconde constitution et sa tentative de construire un ordre substantiel. Le noyau de la seconde partie de la constitution de Weimar mérite, une fois libéré de ses contradictions et de ses faux compromis (Kompromifimangeln), d’être développé selon sa propre logique interne. Si l’on y réussit, alors l’idée d’une œuvre constitutionnelle allemande est sauvée17. »

13On ne peut apprécier la portée de cette nouvelle thèse schmittienne que si l’on sait que le même auteur, deux ans auparavant, avait doctement expliqué dans une conférence publique que la constitution de Weimar reposait sur un triple pilier : la démocratie, le parlementarisme et le fédéralisme18. Or, ces trois principes structurent la partie organisationnelle de la constitution de Weimar. À l’époque, donc, la stabilité de la constitution de Weimar est attribuée à la cohérence de la première partie organisationnelle qui contraste avec l’incohérence de la seconde partie.

« C’est une des principales qualités de la constitution en vigueur qu’elle ait fixé en toute conscience ce système mobile (labile) avec quatre sous-systèmes. On peut en effet soulever facilement une masse d’objections contre la seconde partie de la constitution de Weimar. On trouve là nombre de contradictions parce que, en fait, on a combiné ensemble plusieurs points de vue sociaux-démocrates, catholiques, libéraux et démocratiques. Mais la partie organisationnelle, la pièce médiane (Mittelstück) de la constitution, à savoir la réglementation du problème parlementaire avec son équilibrage des trois forces que sont la Chambre des députés, le Sénat et le président, est une pièce tout à fait réussie et bien réfléchie d’une organisation étatique19. »

14Schmitt reconnaît donc à la partie organisationnelle une souplesse qui a permis d’interpréter la notion de « gouvernement parlementaire » en laissant la possibilité de construire « quatre sous-systèmes gouvernementaux », thèse déjà énoncée dans la Théorie de la Constitution.Mais ce jour-là, son éloge de la partie organisationnelle ne s’arrête pas là. À la suite d’une question sur la réforme de la constitution, il précise qu’il est hostile au projet de réviser l’article 54 de la constitution sur la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Il considère que l’équilibre entre la démocratie parlementaire et la démocratie plébiscitaire n’a pas besoin d’être réformé :

« Je ne considère pas cette organisation comme ayant besoin d’être réformée, mais comme tout à fait remarquable, et le mieux de ce que l’on peut trouver dans une constitution démocratique. En revanche, je considère comme ayant besoin d’être réformée […] la seconde partie de la constitution dans laquelle il y a tant de contradictions que l’on peut affirmer pour presque toute loi qu’elle est inconstitutionnelle20. »

15En 1930, il refuse explicitement de juger la valeur de la constitution de Weimar à partir de la situation politique « extraordinaire ». « On ne peut (darf) pas juger la constitution à partir de l’actuelle situation. Nous sommes dans une situation parlementaire anormée (abnormen)21. »

16Or, deux ans plus tard, dans Légalité et légitimité, Schmitt inverse complètement son argumentation. Désormais, la partie organisationnelle qui repose sur les trois principes est dépassée, alors que la seconde partie de la constitution de Weimar, jadis brocardée, acquiert la prééminence. Il est clair que ce revirement de position s’explique par des raisons politiques. Lors de la conférence de Breslau de 1930, la coalition des partis républicains est encore au pouvoir, et la constitution de Weimar repose encore sur des bases fixes. Mais en juillet 1932, Schmitt veut profiter de la présence au pouvoir des conservateurs hostiles à Weimar pour proclamer la désuétude de la partie organisationnelle – républicaine – de la constitution. Juridiquement, il justifie cette désuétude du texte constitutionnel par l’idée de « dénaturation » de la légalité constitutionnelle, véritable leitmotiv des textes de l’année 1932. En réalité, cette thèse de la « dénaturation » des institutions de Weimar suppose simplement de subordonner le texte constitutionnel à la réalité politique. Pour ce faire, il faut reconnaître un privilège exorbitant à l’interprète de la pratique constitutionnelle qui peut aisément s’affranchir des contraintes textuelles. C’est ce que fait Schmitt en s’accordant lui-même ce privilège et en s’accordant tout seul le droit de décréter la mise hors de vigueur de la partie « organisationnelle » qui est seulement la mise en forme juridique de sa critique de l’État « pluraliste ».

Le choix en faveur de la seconde partie de la constitution ou la défense d’une « Constitution allemande »

17La solution au problème constitutionnel de 1932 a un nom pour Schmitt : c’est la « nouvelle configuration de l’essence de la constitution allemande » (Neugestaltung des deutschen Verfassungswesens)22 qu’il appelle de ses vœux. En indiquant que la construction de cette nouvelle constitution devrait échapper aux calculs politiciens et aux compromis passés par les partis politiques, Schmitt marque son opposition feutrée aux solutions de Papen. Son projet de « nouvelle Constitution » repose sur une double base : d’abord une conception très particulière de l’homogénéité nationale et ensuite une interprétation très particulière de la notion de droits fondamentaux, base de cette fameuse « partie substantielle » de la constitution.

18On passera rapidement sur le premier point qui est assez connu et qui correspond à la vision « autoritaire » de la démocratie fondée sur l’idée d’homogénéité. Ce thème est abordé par Schmitt dans la préface à la seconde édition de l’essai sur le parlementarisme23. La démocratie serait fondée sur le principe d’égalité interprété comme synonyme d’identité et donc de similitudes. Une telle conception implique une vision de la communauté nationale « fermée » – on dirait en France une conception « ethnique » de la nation, par opposition à la conception « élective ».

19Or, c’est exactement ce leitmotiv que reprend Schmitt dans Légalité et légitimité, de manière explicite lorsqu’il critique le principe arithmétique de la décision majoritaire qui est au cœur du mécanisme du suffrage universel24. Contre cette conception de la démocratie, Otto Kirchheimer a justement rappelé, dans sa recension de la brochure schmittienne, que la démocratie ne se justifie pas par le principe d’égalité et qu’elle ne suppose pas – bien au contraire – une société homogène25.

20Par ailleurs, Schmitt reprend, de manière implicite, le thème récurrent de l’homogénéité lorsqu’il traite de la « partie substantielle » de la constitution. La notion de droits fondamentaux sert ici de vecteur à cette conception de l’homogénéité politique et donc de la communauté nationale. En effet, l’intérêt de Schmitt pour les droits fondamentaux et donc pour la seconde partie de la constitution de Weimar a une signification éminemment politique. Ces droits fondamentaux ont pour « fonction spécifique d’établir un principe de base de l’ordre social (grundlegende Ordnungs-prinziz) et de constituer le type et la structure de la communauté nationale26 ». En les défendant, Schmitt soutient l’idée d’une communauté nationale « homogène » et « substantielle ». C’est ce qui explique pourquoi il veut attribuer à de tels droits une intangibilité absolue qui les met à l’abri d’une modification par voie de révision constitutionnelle. Constituant le noyau de la nation allemande, ces droits sont « sacrés ».

21En réalité, Schmitt veut reprendre l’ouvrage où l’avait laissé la main des constituants de 1919 qui n’avaient pas réussi, selon lui, à mettre en « concordance organique27», cette sorte de « seconde constitution » (la partie substantielle) avec les dispositions sur les pouvoirs publics (la partie organisationnelle). Le recours aux droits fondamentaux est justement le moyen de réintroduire, dans la constitution de Weimar, l’esprit que Friedrich Naumann, démocrate-chrétien, avait voulu insuffler contre l’esprit libéral et universaliste des libéraux anglophiles.

L’interprétation organique des droits fondamentaux ou le plaidoyer en faveur de la partie « substantielle » de la constitution de Weimar

22Dans la seconde partie de la constitution de Weimar, Schmitt perçoit la dimension « organique » et donc la possibilité de reconstruire une bonne constitution. « La seconde partie de la constitution de Weimar – écrit-il – contient une juxtaposition totalement hétérogène, dont on n’a pas encore pris conscience et sur laquelle on a encore moins réfléchi, de différents types de légalité supérieure et un morceau de contre-constitution28. » Mais il n’y a pas d’unité dans cette partie substantielle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de « décision globale sur son contenu29 ». Il est impossible par exemple de déduire de son contenu une « décision d’ensemble » sur la nature économique du régime (social ou libéral). Toutefois, le plus important selon Schmitt ne réside pas dans le constat de cette « hétérogénéité » de la partie substantielle, mais dans le fait que celle-ci contient un « morceau de contre-constitution ». C’est précisément ce morceau que Schmitt veut développer de manière à ce qu’il constitue à lui seul la partie substantielle et qu’il se substitue, indirectement, silencieusement et légalement, à l’ensemble de la constitution de Weimar. Cette expression de « contre-constitution » (Gegenverfassung) est capitale, selon nous, car elle révèle l’intention de Schmitt au cours de ces années 1930-1932 : remplacer la constitution de Weimar par celle de ses souhaits.

23La base de cette contre-constitution est formée par les « droits fondamentaux » (Grundrechte) reconnus par la constitution. Ces derniers sont interprétés de manière à relativiser les droits individuels et libéraux et donc à bâtir cette « contre-constitution » à partir de la constitution existante. La difficulté de cette entreprise de reconstruction tient à ce que certains fragments seulement de la partie « substantielle » consacrée aux « droits et devoirs fondamentaux » peuvent être ici utilisés. En tant qu’interprète de la constitution, Schmitt doit donc trier le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire, selon son point de vue, remplacer les « morceaux » libéraux ou socialistes par les éléments « organiques ». Il faut – dit-il – ne pas méconnaître « la différence qui existe entre les droits individuels universels et libéraux, et les sauvegardes spéciales au contenu juridique par son objet30 ». Ces dernières représentent la signification essentielle que Schmitt veut attribuer à ce qu’on appelle les « droits fondamentaux ».

24Il est possible que la querelle sur les facultés de théologie et sur l’école en 1927 soit à l’origine de l’intérêt de Schmitt pour cette question des droits fondamentaux. Une fois encore, il suit la pratique de l’époque (jurisprudence et doctrine) qui, depuis la décision judiciaire de 1925 reconnaissant aux tribunaux un contrôle de constitutionnalité des lois, voit se développer la thématique des droits de l’homme. Dans la Théorie de la Constitution, il opère une première systématisation de la notion de droits fondamentaux, en les opposant aux « garanties institutionnelles », et en dresse une typologie31. Puis au cours de quatre années qui suivent, il ne cesse de revenir sur cette notion de « droits fondamentaux32 » et, sous couvert de les décrire, il poursuit le projet de « relativiser » les droits individuels libéraux, qu’il appelle les « droits de liberté » (Freiheitsrechte). Ils les encadrent et les « neutralisent » en leur opposant d’autres « droits fondamentaux » qui relèvent de la catégorie organique, et qu’il évoque sous le nom générique et énigmatique de « sauvegardes (Sicherungen) constitutionnelles ». Parmi celles-ci figureraient, selon lui, deux catégories inconnues du constitutionnalisme du xixe siècle : les « garanties institutionnelles » et les « garanties d’institution ». Dans son article de 1931, Schmitt considère qu’il n’a pas auparavant (dans la Théorie de la constitution)« suffisamment séparé les garanties de type institutionnel – qui sont par nature de droit public – des garanties d’institution – qui sont de droit privé33 ».

Les garanties institutionnelles contre les droits individuels

25Contre la conception libérale classique des droits de l’homme perçus comme des droits individuels opposables à l’État, Schmitt oppose, de manière polémique et consciente, une construction « organique » des droits fondamentaux qui permet d’enserrer l’individu dans le groupe social auquel il appartient. Cette construction « organique » trouve son expression la plus manifeste dans la notion de « garanties institutionnelles ». Elle était déjà présente dans la Théorie de la constitution (1928), mais elle devient au centre de sa réflexion sur les droits fondamentaux à partir de 1930. Elle est définie en 1932 comme « les garanties constitutionnelles d’une institution de droit public en tant que telle34 ». Schmitt va faire jouer ces garanties institutionnelles contre les « droits de liberté » en instaurant entre eux une hiérarchie favorable aux premières. Cette subordination de la liberté vis-à-vis de l’institution témoigne de la vision philosophique de la liberté chez Schmitt qui repose sur le refus radical de toute autonomie de la liberté et de son caractère principiel. À la différence de Rousseau par exemple, Schmitt estime que :

« Les droits fondamentaux de l’État libéral-bourgeois sont des droits de liberté : propriété privée comme libre domination à volonté, liberté d’habitation, liberté d’expression, liberté d’association et de réunion. La liberté n’est pas une institution juridique (Rechtsinstitut), pas une organisation (Einrichtimg) ou un établissement (Anstalt) ; elle peut encore moins être une institution organisée et formée du droit public. […] Ce qu’est la liberté, seul peut le décider en dernière instance, celui qui doit être (sein soll) libre. Sinon, comme l’indiquent toutes les expériences humaines, c’est vite la fin de la liberté. Cette liberté, et principalement la liberté de l’individu isolé, est malheureusement menacée continuellement et donc nécessite la protection et la garantie. Il en résulte une édification de normations juridiques et d’institutions étatiques destinées à la protection de la liberté (Schutz der Freiheit), qui peut également être qualifiée de garantie de liberté (Freiheitsgarantie). Les droits fondamentaux de la liberté, c’est-à-dire la sphère où n’intervient pas l’État, sont environnés d’institutions juridiques, de normations typiques et même d’institutions étatiques dont la garantie signifie quelque chose d’autre que la garantie de la liberté elle-même35. »

26La « garantie institutionnelle » prévaut donc sur la garantie de la liberté. Cette hiérarchisation des garanties révèle une hiérarchie de ce qu’elle protège : les « institutions de droit public » prévalent sur la liberté libérale. Ainsi, en dernière analyse, la subordination des « droits de liberté » aux « garanties institutionnelles » doit être interprétée comme la volonté d’encadrer la « liberté » par les institutions « organiques » de l’État.

27On comprend encore mieux la signification de cette valorisation du thème des droits fondamentaux au tournant des années 1930-1932 si l’on analyse le contenu politique de cette opposition entre « droits de liberté » et « garanties institutionnelles ». En effet, de telles garanties institutionnelles qui apparaissent comme neutres en protégeant des « institutions de droit public » sauvegardent en réalité les institutions traditionnelles de l’Allemagne, précisément celles que Schmitt défend dans son article sur la « neutralisation de l’État » : le corps des fonctionnaires, l’armée, l’auto-administration interprétée au sens organiciste du terme (et non au sens libéral de contre-pouvoirs) et – on le verra plus bas – les Églises, etc. Ainsi, selon notre hypothèse, le recours de plus en plus fréquent à cette notion de garanties institutionnelles sert à réintroduire un élément politique dans la seconde partie dite « substantielle » de la constitution de Weimar qui était apparemment « apolitique ».

28Cette hypothèse peut être illustrée par le cas de la liberté religieuse, qui est le droit fondamental le plus étudié par Schmitt. Cette liberté, consacrée par l’article 135 de la constitution36, peut être interprétée dans un double sens opposé. Si on l’interprète dans un sens libéral, c’est-à-dire dans le sens des Déclarations révolutionnaires américaine et française, elle signifie une privatisation de la religion, c’est-à-dire l’autonomie de l’individu par rapport aux instances religieuses et à l’État. En revanche, si on l’interprète dans un sens non libéral (catholique par exemple), elle signifie la conservation d’une certaine « publicisation » de la religion, les Églises conservant certaines prérogatives de puissance publique en ayant un statut d’institutions de droit public. Or, il est clair que Schmitt utilise ici la notion de « garantie institutionnelle », conformément à son interprétation « organiciste » des droits fondamentaux, pour sauvegarder la place de la religion dans la société allemande et pour éviter le pire pour lui, qui est la solution de l’État laïc. Ainsi, dans son article de 1931, il relativise la « liberté » d’opinion religieuse en invoquant la « garantie institutionnelle » de la liberté d’exercice du culte :

« Il est conforme à l’esprit d’une constitution libérale et constitutionnaliste que de faire valoir les garanties institutionnelles seulement comme des garanties connexes et complémentaires par rapport à une liberté universelle (allgemeine Freiheit). Selon cette conception, par exemple, la garantie institutionnelle de la société religieuse de droit public dans l’article 137 ne serait qu’une garantie complémentaire de la liberté universelle de croyance et la liberté universelle de conscience, et “l’exercice de la religion sans troubles” garantie dans l’article 135 devrait être placé sous protection légiconstitutionnelle. Mais cet exemple montre simultanément que les garanties institutionnelles s’autonomisent et suivent une loi propre de développement par laquelle ces institutions sont toujours “plus autonomes” par rapport à l’État et aux organisations étatiques et toujours mieux “sauvegardées”, afin, au bout du compte, de provoquer la création d’un nouveau type de personnes publique qui sont “sauvegardées par des contrats”. […] Ce mouvement correspond à la dialectique d’une évolution fréquemment survenue. Le chemin qui mène de la liberté universelle au privilège est souvent très court : il passe au-dessus des garanties et sauvegardes spéciales de la liberté37. »

29Cette relativisation de la liberté religieuse par les « institutions » religieuses marque évidemment le souci de sauver l’État allemand du danger laïc. Mais elle révèle une inflexion dans la pensée constitutionnelle de Schmitt qui fait signe ici vers une sorte de « pluralisme juridique ». L’État peut passer des « contrats » ou « conventions » avec des institutions socialement utiles qui relèvent de l’ordre public, comme les Églises, conformément à la tradition du droit public ecclésiastique toujours en vigueur dans les États non totalement séparés des Églises. En ce sens, la soumission de la société civile à l’État – leitmotivschmittien – implique sa subordination à l’État, mais également son encadrement par les institutions « publiques » du type de l’Église.

30En reconstruisant la notion de droits fondamentaux, Schmitt poursuit un projet cohérent : il veut conserver de la constitution de Weimar les institutions, politiques ou sociales, les plus conservatrices du système de manière à sauvegarder la « communauté nationale ». Par là même, il subvertit la notion traditionnelle de droits de l’homme pour la retourner contre la république de Weimar, conformément à une technique maintes fois utilisée pour interpréter le texte constitutionnel dans un sens favorable à ses propres aspirations.

L’hostilité ambiguë de Schmitt aux nazis

31Schmitt a-t-il vraiment voulu sauver le régime de Weimar ? Il existe à ce propos une querelle doctrinale qui dépasse largement le problème de l’interprétation à donner de l’attitude de Schmitt pendant l’année 1932, mais qui touche à l’ensemble de son œuvre sous Weimar. Deux thèses contraires s’opposent également. D’un côté, certains auteurs estiment que Carl Schmitt a joué le rôle de fossoyeur de la république. En soutenant massivement les thèses des chanceliers successifs (Brüning, Papen, Schleicher) sur la « république présidentielle », il aurait précipité la mort de la démocratie parlementaire et contribué à la désintégration du régime. D’un autre côté, Schmitt lui-même et certains commentateurs, « schmittiens » ou non, estiment qu’il a seulement voulu défendre le régime de Weimar en proposant des mesures « dictatoriales » au sens romain du terme38, et en projetant même un coup d’État.

32Toutefois, si aucune des deux thèses n’est vraiment satisfaisante pour l’esprit, c’est, selon nous, parce que les termes du débat sont mal posés. Les auteurs qui soutiennent la thèse de Schmitt, « fossoyeur de la république », raisonnent très souvent de manière anachronique en projetant sur l’auteur des années 1932 le comportement du légiste qui s’est rallié, en juin 1933, au nazisme. Mais d’un autre côté, la thèse inverse de Schmitt « sauveur de la République » méconnaît son hostilité fondamentale au régime de Weimar. Pour essayer d’y voir plus clair dans ce débat souvent piégé, il convient de partir de certains faits établis. Selon nous, il y en a deux qui sont incontestables : le premier est que Schmitt a effectivement voulu faire obstacle à l’arrivée au pouvoir des nazis en prônant un coup d’État, et le second est son apologie du coup d’État qui jette de sérieux doutes sur son soi-disant « républicanisme ».

Le sens de l’interdiction du parti nazi

33Hermann Heller considère que dans sa conférence de 1932 sur « Économie saine et État fort », Schmitt aurait, sous couvert d’un désengagement économique de l’État, lancé un appel à l’État fasciste39. Il est en effet tentant de lire entre les lignes et d’apercevoir dans ces textes un appel à Hitler, mais il ne semble pourtant pas que cette appréciation soit fondée.

34D’abord, l’élément de fait déterminant qui pèse contre cette hypothèse est que Schmitt a attaqué le parti nazi à certaines occasions et l’a mis presque sur le même plan que le parti communiste tant honni. Il s’agirait donc d’un parti anti-démocratique, c’est-à-dire dans l’acception schmittienne, un parti « ennemi de l’État » (staatsfeindlich). Dans son écrit sur Légalité et légitimité, certains développements dirigés visant à interdire les partis anti-démocratiques peuvent être utilisés par les gouvernements contre les nazis. C’est le cas du paragraphe explicitement consacré à la prise du pouvoir et intitulé « Légalité et égalité des chances : la prise du pouvoir politique40 ». Schmitt examine de manière polémique la règle du jeu démocratique qui donne le pouvoir au parti ou à la coalition de parti qui obtient plus de 50 % aux élections. Examen polémique car Schmitt oppose à cette règle fondamentale de la démocratie sa propre vision plébiscitaire de la démocratie illustrée par l’exigence d’homogénéité du peuple, exigence évidement menacée par le pluralisme partisan qui se manifeste lors des élections. Mais, surtout, la thèse polémique contenue dans ce paragraphe tient à l’idée que la démocratie parlementaire est impuissante face aux partis antidémocratiques. En effet, alors que le principe d’égal accès au pouvoir est un principe fondamental de la démocratie libérale41, Schmitt fait comme si la limitation de ce principe était une conséquence nécessaire du « système de légalité ». Selon lui, la définition formelle de la loi, c’est-à-dire la définition procédurale de la règle majoritaire, a pour effet que la majorité parlementaire peut à tout moment déclarer « hors-la-loi » ses opposants. En réalité donc, sous couvert de décrire le « système de légalité » (l’État libéral et parlementaire), Schmitt avance sa propre thèse de l’interdiction des partis politiques « ennemis de l’État ». Or, il est certain que, dans les écrits de juillet 1932, Schmitt propose à l’exécutif de mettre hors-la-loi le parti national-socialiste. C’est ce qu’indique un passage de Légalité et légitimité où sont évoquées les conséquences suicidaires de la thèse positiviste selon laquelle toute révision constitutionnelle, formellement correcte, serait valide. Pour illustrer ce danger d’une révision illimitée, Schmitt vise aussi bien le parti nazi que le parti communiste et les athées.

« Si telle est la doctrine dominante et “ancienne”, alors il n’y pas de but contraire à la Constitution. On déclare admissible tout but, qu’il soit révolutionnaire ou réactionnaire, factieux (umstürzelich), ennemi de l’État, ennemi de l’Allemagne ou athée, et il est interdit de lui ôter la chance qu’il soit atteint par une voie légale. Toute limitation et tout obstacle à cette chance seraient contraires à la Constitution. Je voudrais, au rebours des nombreuses consultations juridiques et décisions de justice relatives à la légalité et à l’illégalité des organisations nationales-socialistes, relatives à l’examen de la conformité au droit de la fonction publique et du droit du travail, de l’appartenance à de telles organisations, relatives au caractère “pacifique” de leurs réunions, etc., souligner une nouvelle fois que pour les nationaux-socialistes, les communistes, les athées ou autres, la réponse décisive à de telles questions, si elle est censée être objective scientifiquement (juridiquement), ne doit pas être déduite, en aucun cas, d’articles constitutionnels isolés, par exemple l’article 118 (sur la liberté d’expression) ou l’article 130 (liberté d’opinion politique des fonctionnaires) ou encore de dispositions isolées de lois d’occasion ou de décrets. Cette réponse doit être déduite de cette conception fondamentale du système de légalité et en particulier de l’article 7642. »

35Il ressort de cet extrait de Légalité et légitimité que Schmitt envisage l’interdiction du parti nazi car la limitation de la révision constitutionnelle signifiait pour lui la possibilité légale d’interdire les partis ennemis de l’État. On a ici un sérieux indice de son hostilité aux nazis. À ce premier indice s’en ajoute un second élément important qui est la prise de position publique de Schmitt en pleine campagne électorale. Dans un article de presse, il met ouvertement en garde les lecteurs de ce journal conservateur (proche de Schleicher) contre un vote pro-nazi.

« Quiconque procure le 31 juillet [date des élections législatives] une majorité aux nationaux-socialistes, bien qu’il ne soit pas national-socialiste et voit dans ce parti qu’un moindre mal, agit alors de manière stupide. Il donne à ce mouvement qui n’est pas encore mûr politiquement et dans sa conception du monde, la possibilité de changer la constitution, d’introduire une Église d’État, de dissoudre les syndicats. Il livre entièrement l’Allemagne à ce groupe. C’est pourquoi jusqu’à maintenant s’il était bon, dans certaines circonstances d’encourager le mouvement de résistance de Hitler (Widerstandsbewegung Hitlers), le 31 juillet, c’est extrêmement dangereux parce que les 51 % donnent au NSDAP une “prime politique’’ aux conséquences imprévisibles43. »

36Ces propos sans ambiguïté et cette référence à la notion de « prime politique » prouvent bien l’attitude hostile de Schmitt à l’égard des nazis. De même dans sa conférence du 4 novembre 1932, devant des industriels de la chimie, il fait rire l’auditoire au détriment des nazis, une première fois lorsqu’il raille le « parti total » qui semble viser aussi bien le NSDAP que le KPD, et une seconde fois lorsqu’il se gausse des partis qui prennent leurs ordres « à Moscou ou peut-être à Munich44 », allusion transparente aux nazis.

37Toutefois, Paul Noack note que Schmitt a eu une attitude changeante par rapport au mouvement nazi – à la différence de son hostilité constante et jamais démentie à l’égard du parti communiste. Par exemple lors du procès de Leipzig d’octobre 1932, il adopte une position moins hostile.

« Il revenait au gouvernement du Reich de changer la pratique antérieure vis-à-vis du mouvement national-socialiste, et non pas de hurler avec les loups, d’aller là où le vent souffle. Il lui revenait en premier lieu, de faire quelque chose de très simple et évident, d’être juste et objectif, et de supprimer les équivalences injurieuses dressées entre un mouvement, auquel des millions d’Allemands non seulement sympathisent, mais qui lui ont donné leur voix, et le parti communiste45. »

38Pour Noack, ce changement d’attitude est l’expression d’une « politique opportuniste » : ce qui était dangereux en juillet est maintenant un mouvement « à encadrer46 » en raison du succès électoral de juillet 1932. Lorsque dans Légalité et légitimité et dans l’article de journal du 19 juillet 1932, il met en garde contre la « prime politique » qu’auraient les nazis s’ils gagnaient les élections, le parti nazi n’était pas encore devenu le premier parti en nombre de voix, et où il est encore possible de s’opposer à la volonté du peuple. Il se peut que Schmitt, comme beaucoup de conservateurs allemands, ait été tenté par une alliance tactique avec les nazis. Cela ne l’a pas empêché de proposer, en janvier 1933, un coup d’État pour ajourner la convocation du Parlement et donc interdire l’accès de Hitler au poste de chancelier. Ainsi ces oscillations, fruits probables du désarroi que rencontraient tous les penseurs de l’époque, ne suffisent pas à le cataloguer comme un auteur pro-nazi.

39Il ressort de l’ensemble de ces données que, même si pour Schmitt, l’ennemi principal était le parti communiste47, il considère que le parti national-socialiste peut être considéré comme un parti, lui aussi, « ennemi de l’État ».

L’anti-nazisme de Schmitt ne signifie pas républicanisme

40Toutefois, cette opposition aux nazis ne signifie certainement pas que Schmitt a voulu « sauver la République ». L’admettre, c’est confondre la république de Weimar, régime que Schmitt déteste, avec « l’État allemand » ou le Reich allemand, qu’il vénère. Pour le prouver, il convient de revenir plus longuement sur la doctrine schmittienne du « principe d’égalité des chances » qui est la réponse schmittienne au « cauchemar d’une majorité non démocratique48 ». Contrairement à ce qu’il laisse penser, ce principe d’égalité des chances est tout sauf républicain.

41Schmitt redéfinit ce principe d’égalité en le subordonnant à un autre principe qu’il invente littéralement, et qu’on pourrait appeler le principe de réciprocité ou principe de reconnaissance. En effet, selon lui, « on ne doit laisser accessible l’égalité des chances qu’à celui dont on est certain qu’il le laisserait accessible à autrui49 ». La conséquence logique de ce principe est qu’on doit empêcher le bénéfice de ce principe à ceux dont on n’est pas certain qu’ils appliqueraient, une fois au pouvoir, le principe d’égal accès au pouvoir. En d’autres termes, le « principe d’égalité des chances » ne peut plus fonctionner aussitôt qu’un ou deux partis politiques, prétendument démocratiques, ne le sont pas en réalité et qu’ils ne reconnaissent pas ce principe de réciprocité. Par voie de conséquence, la condition de fonctionnement du « système de légalité » disparaît et la démocratie parlementaire est paralysée.

42En proposant cette interprétation originale du principe d’égalité des chances, Schmitt a – semble-t-il – transposé un principe de réciprocité élémentaire qu’il applique au droit international des traités. Quand on connaît la manière extrêmement « large » dont Schmitt interprète ce principe du respect des traités, qu’il subordonne constamment à la raison d’État (le souverain peut toujours y déroger pour sauver l’État), on doit en conclure que pour lui, le principe d’égalité des chances est assorti d’une exception tout aussi large. Le pouvoir en place peut, à tout moment, déroger au principe d’égal accès au pouvoir, en déclarant « hors-la-loi » les partis jugés ennemis de l’État ou de la constitution. On peut également supposer que, sans pourtant le citer, Schmitt s’inspire également de son maître, Maurice Hauriou, qui a lui aussi justifié l’interdiction du parti communiste. Mais surtout, il tire ici les leçons de la pratique léniniste qui reconnaît formellement la légitimité de la démocratie bourgeoise pour mieux ensuite la détruire une fois que le parti révolutionnaire arrive au pouvoir.

43En réalité, cette thèse de l’interdiction des partis extrémistes ou « antidémocratiques » repose, comme toujours chez Schmitt, sur une analyse très machiavélienne de la politique telle qu’elle se fait. Par les deux expressions de « prime politique » et de « plus-value politique », un des slogans les plus connus de son œuvre, Schmitt désigne un fait de grande importance. Une fois arrivé au pouvoir, un parti antidémocratique bénéficie des avantages de la « légalité » qu’il incarne et également des moyens du pouvoir. Il peut donc « fermer la porte derrière lui » et interdire désormais l’application du principe d’égal accès au pouvoir. Autrement dit, si on laisse arriver au pouvoir de tels partis, il sera trop tard, une fois qu’ils y seront, pour les en déloger. Ils y resteront en jouant des ressources du pouvoir50.

44Ainsi, sous prétexte de décrire le principe de l’égal accès au pouvoir, Schmitt énonce une thèse complètement opposée : le principe de l’interdiction des partis politiques « ennemis de l’État », réplique conservatrice de l’interdiction par les jacobins des factions « ennemies de la liberté ». Mais ce principe n’acquiert sa véritable signification qu’à travers son application qui pose deux problèmes fondamentaux. La manière dont on résout chacun d’entre eux indique dans quel sens penche une doctrine constitutionnelle. La première question, essentielle, est : qui va interdire les partis ennemis ? À ce propos, le « principe d’égalité des chances » semble déboucher sur une alternative intenable. Soit l’application stricte du principe d’égal accès au pouvoir, corollaire de ce que Schmitt appellerait l’angélisme libéral, consisterait à nier le danger représenté par les partis ennemis de l’État, dont la possible victoire électorale peut conduire à la mort de la démocratie, soit la dérogation au principe d’égal accès au pouvoir reviendrait à conférer au parti le soin d’interdire ses ennemis politiques et comporterait donc le risque de créer un « parti unique ». Pour sortir de cette impossible alternative, Schmitt fait appel au président du Reich. Ce gardien de la constitution et « Tiers supérieur » aurait l’avantage d’être au-dessus du Parlement et des partis. Il aurait donc le pouvoir, quasi magique, de dénouer une contradiction interne à la théorie schmittienne du gardien de la constitution : étant « par nature » impartial, il pourrait « déroger » au principe de l’égal accès au pouvoir (interdire des partis ennemis), tout en défendant la constitution.

45La seconde question décisive est la suivante : quels partis vont être interdits ? Il est clair que Schmitt a retourné la thèse jacobine et léniniste de la mise hors-la-loi des ennemis de la république et de la révolution pour lutter d’abord et avant tout contre le parti communiste. L’ennemi de l’État pour Schmitt, ce sont les bolcheviques. Mais il est probable que, au fur et à mesure que l’influence du parti national-socialiste augmentait, il ait voulu lui appliquer la solution de l’interdiction, c’est-à-dire aller plus loin que la dissolution sporadique des groupements paramilitaires. Ainsi, loin d’être une doctrine républicaine, la thèse de l’interdiction des partis politiques révèle une croyance bien peu républicaine en la toute-puissance d’un chef charismatique (le kat-echon) et une hostilité viscérale de Schmitt à la démocratie libérale. Loin d’être circonstancielle, et limitée aux années troubles de Weimar (1919-1923 et 1930-1933), cette doctrine est constamment invoquée par Schmitt pendant toute la durée de la République51.

46On peut donc ramasser maintenant l’argument central ici développé : si Schmitt a voulu interdire les communistes et les nazis, ce n’était pas pour défendre la constitution de Weimar en tant que telle, ni d’ailleurs la « République », mais l’État allemand qu’il appelle aussi « la Constitution allemande ». Et on a vu précédemment que par « Constitution allemande », il faut comprendre un État organiciste, institution « morale » au sens où l’entendait Hegel, qui correspond à l’esprit politique du peuple allemand.

47Au terme de ces trop longs développements, on est maintenant en mesure de porter un jugement global sur Légalité et légitimité. Selon notre interprétation, Schmitt scinde la constitution de Weimar en deux parties opposées et contradictoires, et fait prévaloir celle qui correspond à ses aspirations politiques. À la distinction entre la « composante libérale » (État de droit) et la « composante politique » de Théorie de la constitution, il substitue désormais celle entre la « partie organisationnelle » et la « partie substantielle ». Les termes ont changé, mais l’unité du projet demeure qui est de remplacer l’ordre constitutionnel « libéral-socialiste » de Weimar par un ordre politiquement et moralement conservateur (la « contre-constitution »). Pourtant cette brochure sur la légalité constitue une innovation dans la mesure où elle révèle beaucoup plus clairement le projet schmittien. En effet, on peut émettre l’hypothèse que, au fur et à mesure que la république de Weimar sombre, Schmitt dévoile des projets de plus en plus révisionnistes. Dans Légalité et légitimité, il abat ses cartes en admettant que la partie « organisationnelle » de la constitution de Weimar est mise hors de vigueur, et cet abandon de la partie « organisationnelle », qui institue la démocratie parlementaire est « le résultat proprement sensationnel de l’écrit sur la Légalité52 ».

48Ainsi, contrairement à ce qu’il a prétendu plus tard, Schmitt, conseiller du Prince, a participé directement à la « politique d’infléchissement autoritaire » des gouvernements de Brüning et de Papen, politique qui

« s’appuyait sur une large approbation des élites traditionnelles soutenant l’État et la société. […] En dépit de toutes les divergences tactiques, elle exprimait un vaste consensus de ces élites afin de saborder la République fondée sur les compromis fondamentaux de 1918. Cette politique des gouvernements présidentiels ne constituait pas une réaction à la pression de la crise. Bien au contraire, ceux-ci utilisaient la crise pour imposer leurs objectifs et n’hésitaient pas à l’aggraver dans la mesure où cela pouvait favoriser leur projet d’infléchissement autoritaire53 ».

49Ainsi replacé dans ce contexte plus global, le prétendu sauvetage de Weimar par une dictature présidentielle visait certes à se débarrasser des nazis, mais aussi de Weimar. L’élimination du parlementarisme était un objectif qui primait par rapport au risque que constituait la montée du parti nazi54. Ainsi, la prétendue volonté schmittienne de « sauver Weimar » est une légende, sauf à prendre Weimar pour ce qu’elle n’était pas : c’est-à-dire l’État « fort » et « conservateur » dont rêvait Schmitt.

NOTES

1 Cet article forme désormais l’un des chapitres de notre petit livre sur Les Derniers Jours de Weimar. Carl Schmitt face à l’avènement du nazisme, Paris, Descartes et Cie, 1997, 254 pages.

2 Alfons Soellner, « Disciples de gauche de la Révolution conservatrice : la théorie politique d’Otto Kirchheimer et de Herbert Marcuse dans les dernières années de la république de Weimar », in G. Raulet (dir.), Weimar ou l’explosion de la modernité, Actes du colloque Weimar ou la modernité, Paris, Anthropos, 1984, p. 115.

3 Au cours de cette année 1932 – écrit Huber –, « il se livre à une activité de légiste, et donc son activité était librement consacrée (zugewandt), de son propre mouvement et de sa propre responsabilité, non seulement à penser son époque, mais aussi à agir sur son époque », E.R. Huber, « Carl Schmitt in der Reichskrise der Weimarer Endzeit », H. Quaritsch (dir.) Complexio Oppositorum, Berlin, Duncker und Humblot, 1988, p. 33.

4 Huber, op. cit. p. 33. C’est d’ailleurs afin de pouvoir agir sur les décisions des gouvernants que Schmitt a accepté sa nomination à l’École de commerce de Berlin. Il compensait sa perte d’influence au sein de l’Université par un accès direct aux centres de décision (ibid., p. 36).

5 C’est ce que recommande P. Pasquino : « Pour juger Schmitt à Weimar […], il faut tenir compte du contexte historique et politique : le droit à lui tout seul ne suffit pas », « Schmitt à Weimar », RFSP, 1993, n° 24, p. 706.

6 Legalität und Legitimität, Berlin, Duncker und Humblot, 3eéd. 1980.

7 Comme en témoigne sa note initiale : « Cet essai a été achevé le 10 juillet 1932 », donc quelques semaines après la dissolution du Parlement.

8 Nous avons essayé d’interpréter la pensée constitutionnelle de Schmitt à partir de « l’art d’écrire » : dans notre préface (« Carl Schmitt, un juriste engagé »), à C. Schmitt, Théorie de la constitution, Paris, PUF, coll. Léviathan, 1993, p. 3-119, et notre article « Carl Schmitt ou “l’art d’écrire chez un juriste” », in Carlos-Miguel Herrera (dir.), Le Droit, le politique : autour de Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 15-36.

9 Verfassungsrechtliche Aufsätze, aus den Jahren 1924-1954, Berlin, Duncker und Humblot, 3e éd., 1985, p. 345.

10 Legalität und Legitimität, p. 13.

11 Parlementarisme et démocratie, trad. fr., Paris, Seuil, 1988.

12 Legalität und Legitimität, p. 40 sq.

13 Ibid., p. 90.

14 Ibid., p. 90-91.

15 Ibid., p. 94.

16 Ibid., p. 97.

17 Ibid., p. 98.

18 « Die Weimarer Verfassung », « Zwei Breslauer Referate », Schmittiana, IV, 1994, p. 11-34.

19 Ibid., p. 25.

20 Ibid., p. 34.

21 Ibid., p. 33.

22 Legalität und Legitimität, p. 97.

23 Où il écrit notamment : « Dans la démocratie entre […] nécessairement comme ingrédient. pour commencer, l’homogénéité, et ensuite, si besoin est, la mise à l’écart ou l’exclusion de l’hétérogénéité. […] La force politique d’une démocratie se manifeste à sa capacité d’écarter ou de tenir éloigné l’étranger et le non-semblable, celui qui menace l’homogénéité », Parlementarisme et démocratie, p. 106.

24 Legalität und Legitimität, p. 43-45.

25 « Bemerkungen zu Carl Schmitts Legalität und Legitimität », in Von der Weimarer Republik zum Faschismus. Die Auflösung der demokratischen Rechtsordnung, Francfort, Suhrkamp, 2e éd., 1981, p. 114.

26 « Grundrechte und Grundpflichten » (1932) Verfassungsrechtliche Aufsätze, p. 226.

27 Legalität und Legitimität, p. 82.

28 Ibid., p. 61.

29 « Grundrechte und Grundpflichten » (1932), Verfassungsrechtliche Aufsätze. p. 195. Cet article est publié dans le Handbuch des deutschen Staatsrechts, tome 2, (« Manuel de droit public allemand »), important ouvrage collectif dirigé par les deux grands juristes publicistes de Weimar : Anschütz et Thoma.

30 Legalität und Legitimität, p. 61.

31 Théorie de la Constitution, Paris, PUF, 1993, p. 301 sq.

32 « Grundrechte und Grundpflichten », p. 181 sq.

33 « Freiheitsrechte und institutionnelle Garantien » (1931), Verfassungsrechtliche Aufsätze, p. 143.

34 « Grundrechte und Grundpflichten », p. 213. Ailleurs : « Une garantie institutionnelle présuppose évidemment une institution de droit public, c’est-à-dire des personnes (Einrichtungen) de droit public qui sont formées et organisées, et donc délimitables et distinguable », « Freiheitsrechte… », p. 149.

35 « Freiheitsrechte und institutionnelle Garantien », p. 167.

36 « Tous les habitants du Reich jouissent d’une pleine liberté de croyance et de conscience. Le libre exercice de la religion est garanti par la Constitution et placé sous la protection de l’État. Les lois d’État générales ne sont pas par là modifiées. »

37 « Freiheitsrechte und institutionnelle Garantien », p. 171. Dans son article de 1932, il est bien plus modéré (article plus « officiel ») car il ne mentionne pas la liberté religieuse parmi les garanties institutionnelles. Il se contente de faire figurer à ce titre l’enseignement religieux à l’école (article 149, alinéa 3) qui présuppose néanmoins d’admettre que les Églises sont des « corporations de droit public » (« Grundrechte und Grundpflichten », p. 215).

38 C’est-à-dire des mesures qui suspendent l’ordre constitutionnel mais dans le seul but de mieux le défendre contre ses ennemis. En France, c’est notamment la thèse soutenue par P. Pasquino dans « Schmitt à Weimar », art. cité.

39 « Autoritärer Liberalismus », Die Neue Rundschau. 1933, Gesammelte Schriften, Tübingen, Mohr, 1991, tome 2, p. 651.

40 Legalität und Legitimität, p. 30 sq.

41 Voir ici l’exposé classique de R. Aron sur la « concurrence pacifique pour l’exercice du pouvoir », Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1965, p. 76 sq. On trouve dans ce chapitre la thèse libérale qui est exactement à l’opposé de celle de Schmitt.

42 Legalität und Legitimität. p. 51.

43 « Der Miβbrauch der Legalität », Tägliche Rundschau.19 juillet 1932, cité par P. Noack, Carl Schmitt. Eine Biographie.Prophylaen, 1993, p. 143. Biographie assez décevante par ailleurs.

44 « Konstruktive Verfassungsprobleme », Rede gehalten auf der Hauptversammlung des Vereins zur Wahrung der Interessen der chemischen Industrie Deutschland E.V. am 4 November 1932, s. 1.. p. 10.

45 Cité par P. Noack, op. cit., p. 145.

46 P. Noack, op. cit., p. 145.

47 La question reste ouverte pour le parti social-démocrate.

48 Formule heureuse de Arnold Brecht, citée par P. Pasquino, « Schmitt à Weimar ».

49 Legalität und Legitimität, p. 37

50 C’est peu dire que cette analyse est pertinente pour décrire les événements postérieurs au 30 janvier 1933. C’est d’ailleurs ce genre d’argumentation qui a été utilisé en Algérie pour empêcher le Front islamiste du salut d’arriver au pouvoir par la voie électorale.

51 Voir cette thèse défendue dans un article fondamental de 1925 : « Reichspräsident und Weimarer Verfassung », Kölnische Volkszeitung, 15 mars 1925.

52 H. Muth, « Carl Schmitt in der deutschen Innenpolitik des Sommers 1932 », Historische Zeitschrift, Beiheft (1971), p. 111.

53 D. Peukert, La République de Weimar, Paris, Aubier, 1994, p. 263 (excellente synthèse qui met à la portée du lecteur français les récents acquis de l’historiographie allemande) : « Le projet d’infléchissement autoritaire avait été couronné de succès dans la mesure où il s’agissait de détruire la république. Mais ses promoteurs se montrèrent incapables d’utiliser le courant antirépublicain massif à leur propre profit » (ibid..p. 267).

54 On peut donc conclure avec Estevez Araujo en disant : « Une bonne partie des éléments utilisés par Schmitt dans les œuvres de cette période – y compris 1932 – procède de travaux élaborés lors de l’époque de stabilité de la république : la critique de la Constitution comme pacte, la conception de la Constitution comme une décision univoque, l’idée de l’homogénéité substantielle ou la défense de l’acclamation comme mode véritable d’expression de la volonté populaire. Ils ne constituent donc pas une réaction à la crise, mais ils répondent à une attitude antirépublicaine de départ. » J. Estevez Araujo, La crisis del Estado de derecho liberal. Schmitt en Weimar. Barcelona, Ariel, 1988. p. 241.

AUTEUR

Olivier Beaud Professeur à l’université de Paris II (Panthéon-Assas)

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