
Les années Pompidou: était-ce le bon temps?
TITRAIT LE FIGARO EN 2019 Jacques de Saint Victor QUI POURSUIVAIT
RÉCIT – Il y a cinquante ans, Georges Pompidou succédait au général de Gaulle à la présidence de la République. La Ve République allait devoir fonctionner sans son fondateur. Ce «quinquennat» fut un temps de prospérité qui, cependant, vit poindre les germes des crises que nous connaissons.
C’était il y a cinquante ans, jour pour jour. Le président de la République par intérim, Alain Poher, accueillait ce 20 juin 1969 Georges Pompidou sur le perron de l’Élysée. Ainsi s’achevait la deuxième campagne présidentielle de l’histoire de la Ve République. Tout s’était précipité après la victoire du non au référendum du 27 avril sur la réforme du Sénat. Le général de Gaulle avait brusquement décidé de tirer sa révérence et de quitter l’Élysée, obligeant les électeurs à une présidentielle anticipée. Georges Pompidou, âgé de 58 ans, ancien premier ministre du général, s’y était naturellement présenté, même s’il était conscient du fait que son choix n’était pas à proprement parler une évidence pour le parti gaulliste. Il n’était pas un ancien de la France libre, un baron du «gaullisme». Mais il se réclamait de sa grande proximité avec le fondateur de la Ve République, lui écrivant dès le 28 avril, depuis son bureau du boulevard de Latour-Maubourg, qu’il se présenterait à sa succession…
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1. ARTICLE : «Georges Pompidou, l’architecte de la modernité française»
Par Pierre Manenti et Michael Miguères
Pierre Manenti est historien et auteur deLes barons du gaullisme (Passés composés, 2024).
Michael Miguères est essayiste et auteur de Pompidou, Le dernier Président qui a fait gagner la France (Ramsay, 2016).
À l’approche d’un colloque sur Georges Pompidou, organisé à l’Assemblée nationale, le 10 avril 2024, sous le haut-patronage de la présidente de l’Assemblée, les historiens Pierre Manenti et Michael Miguères louent la vision d’avenir de l’ancien président de la République pour le pays.
Georges Pompidou avait une vision d’avenir. Alors que nous commémorons, cette année, le cinquantième anniversaire de la disparition de Georges Pompidou (1911-1974), collaborateur historique du général de Gaulle, député, Premier ministre puis président de la République, ce moment ne doit pas seulement être un exercice de mémoire ou de nostalgie, il est aussi une invitation à repenser le présent et l’avenir à l’aune de ses principes.
Georges Pompidou est indubitablement l’architecte de la modernité française, tant ses mandats à la tête du pays ont été marqués par une dynamique de progrès économiques, sociaux et technologiques sans précédent. C’est l’inauguration du périphérique parisien, le lancement du projet de train à grande vitesse (TGV), le programme spatial Ariane ou encore le lancement du nucléaire civil. C’est aussi les succès emblématiques du projet franco-allemand Airbus et du partenariat franco-britannique Concorde.
Si Georges Pompidou a veillé à ce que ces efforts technologiques assurent notre place sur la scène internationale, ainsi en lançant le Plan Calcul, en 1965, pour promouvoir le développement d’une industrie informatique tricolore, il s’est aussi assuré que ces succès soient accompagnés d’une dynamique de rééquilibrage social, bénéficiant plus que proportionnellement aux plus démunis. La France, respectée par ses grands partenaires étrangers, était alors un champion en matière d’innovation et de recherche, comme une puissance économique et industrielle de premier plan.
Homme politique brillant, marqué autant par son bon sens paysan que par ses études de lettres, Georges Pompidou était tout particulièrement soucieux de l’efficacité des politiques publiques et marqué par un certain pragmatisme.Pierre Manenti et Michael Miguères
En même temps, Georges Pompidou, petit-fils de paysans et fils d’un couple d’instituteurs, était soucieux de préserver les racines culturelles de notre pays, comme son identité profonde. La littérature, la poésie, la haute couture, le patrimoine culinaire, de même que la place de la France sur la scène artistique mondiale, étaient au cœur des préoccupations de celui qui en avait fait son domaine réservé lorsqu’il était arrivé à l’Élysée, en 1969. Baudelairien dans l’âme, il a ainsi tenu à montrer son souci de conciliation entre tradition et modernité, mais également de préservation d’un équilibre entre responsabilités de l’État et autonomie des individus.
Homme politique brillant, marqué autant par son bon sens paysan que par ses études de lettres, Georges Pompidou était tout particulièrement soucieux de l’efficacité des politiques publiques et marqué par un certain pragmatisme. S’il est ainsi l’homme de l’urbanisation du pays et du développement des grandes infrastructures de transport, il est aussi le premier président de la République à avoir créé un ministère de l’Environnement, en 1971, preuve d’un avant-gardisme en matière de préservation du patrimoine naturel et de transition écologique. Il conciliait ainsi tradition et modernité.
Critique des normes et de la technostructure, ainsi avec son célèbre «Arrêtez d’emmerder les Français ! Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays !», Georges Pompidou était enfin un homme politique écouté et respecté par nos compatriotes. Incarnation des «années bonheur», il véhicule l’image d’une France heureuse, conciliant grandeur et épanouissement personnel, exigence et prospérité. Et les Français le lui rendaient bien ; Georges Pompidou est le dernier président de la République dont la cote de popularité n’est pas tombée en dessous de 50% au cours de son mandat, preuve de sa capacité à dépasser les clivages et rassembler les Français.
Georges Pompidou n’est pas qu’une page de nos livres d’histoire mais bien un homme dont les politiques et les principes ont toute leur place dans le débat politique actuel.Pierre Manenti et Michael Miguères
Observant, avec la naissance de la société de consommation, le malaise de la civilisation occidentale, il s’inquiétait cependant de la disparition des grands cadres sociaux (famille, religion, métier) mais restait profondément convaincu que la mission du politique était de «redonner le goût d’un idéal au-delà de l’intérêt national ou personnel». Il érigea d’ailleurs la culture en priorité nationale, la percevant comme l’oxygène nécessaire pour les âmes des nouvelles sociétés !
Par sa défense d’une société en mouvement, de la voix et de la place de la France dans les affaires du monde, comme par son souci d’établir une société apaisée et rassemblée, Georges Pompidou était et reste un homme politique dont le message est d’une criante actualité. Ce qui a permis, il y a 50 ans, de faire rayonner notre pays peut être à nouveau mobilisé par les décideurs publics, à condition de trouver les justes équilibres qu’il avait su définir en son temps. Preuve, s’il en faut, que Georges Pompidou n’est pas qu’une page de nos livres d’histoire mais bien un homme dont les politiques et les principes ont toute leur place dans le débat politique actuel.
2. ARTICLE : Cinquante ans près sa mort, Georges Pompidou est à la mode
FRANCE INFO Renaud Dély 02/04/2024
D’Emmanuel Macron aux ténors de la droite, de nombreux hommes politiques saluent actuellement l’action du deuxième président de la Ve République, disparu il y a un demi-siècle.
Cette journée de mardi 2 avril marque le 50e anniversaire de la disparition de Georges Pompidou. Le deuxième président de la Ve République s’éteignait le 2 avril 1974. À bout de forces, épuisé par la maladie contre laquelle il luttait depuis plusieurs années. Le mandat de Georges Pompidou, élu pour sept ans, s’achevait au bout de moins de cinq ans. Longtemps, son souvenir a paru un peu fade, à l’ombre de la statue du Commandeur, le général de Gaulle auquel il avait succédé. Et son héritage semblait plutôt maigre. Et ce qui frappe un demi-siècle plus tard, c’est que Pompidou est devenu à la mode. Hé oui ! À droite d’abord, bien sûr : David Lisnard, le président de l’Association des maires de France, n’avait que cinq ans en 1974, mais il lui voue un culte depuis de longues années. Il publie un livre, Les leçons de Pompidou. Laurent Wauquiez, Éric Ciotti, et tous les autres exaltent son souvenir. Et depuis sept ans, Emmanuel Macron ne rate pas une occasion de saluer la mémoire de son prédécesseur. Tous pompidoliens !
La France d’avant le choc pétrolier
Cette nostalgie peut s’expliquer par le fait que les années Pompidou exhalent comme un parfum d’insouciance. C’est la fin des Trente glorieuses, des années de forte croissance et de plein-emploi, avant le choc pétrolier. Une France qui se modernise à grande vitesse au sortir du long règne du général De Gaulle et de la tempête de mai 68. Et puis la figure de Pompidou est devenue rassembleuse, mêlant le bon sens du fils de paysan et l’amour de la poésie du normalien, ami des artistes. « Il pensait à la fois Vieille France et Nouvelle France », a résumé Emmanuel Macron, fan du côté « en même temps » de cet ancien Président passé lui aussi par la banque Rothschild. Résultat, le macronisme ressuscite parfois des accents de pompidolisme. Comme l’indémodable: « Arrêtez d’emmerder les Français ! » pour dénoncer l’excès de lois, normes et règlements, par exemple lors de la récente crise agricole. Ou, autre cri du cœur d’Emmanuel Macron, il y a quelques mois « J’adore la bagnole ! »
Mais Georges Pompidou, c’est aussi une France assez datée. Le béton, les autoroutes, les hypermarchés, et puis ce culte de la bagnole, tout cela est passé de mode. On sort peu à peu du tout voiture, en tout cas, dans les zones urbaines. La preuve à Paris, où les voies sur berge, rebaptisées voies Georges Pompidou, comble de la modernité dans les années 70, sont désormais en grande partie piétonnes.
3. ARTICLE : Que reste-t-il de la présidence Pompidou 50 ans après ?
Publié: 1 avril 2024, Bryan Muller, Université de Lorraine THE CONVERSATION
Il y a cinquante ans, le 2 avril 1974, Georges Pompidou, le Président de la République élu quatre ans et sept mois plus tôt succombe brutalement à la maladie de Waldenström, un cancer qui touche la moelle osseuse.
Son septennat inachevé a poursuivi la politique de modernisation du pays, le développement économique et industriel de la France souhaité et amorcé par le général de Gaulle.
Les réformes pompidoliennes ont durablement modifié la France et l’héritage du second président de la Ve République demeure largement prégnant un demi siècle plus tard.
Le développement de l’automobile
Le mandat de Georges Pompidou aura été celui de la démocratisation de la voiture. Le processus débute lors des années 1960, alors que Charles de Gaulle est Président de la République et Georges Pompidou son Premier ministre.
Si plusieurs projets sont déjà mis en chantier avec l’homme du 18 juin, son successeur à l’Élysée lance la construction de plus de 400 kilomètres d’autoroutes.
En octobre 1970, il inaugure l’autoroute A6qui relie Marseille à Lille en y circulant à bord d’une Renault 16. À cette occasion, il présente la voiture comme « un instrument de travail » mais aussi comme « un instrument de libération » servant à éviter les transports en commun, se rapprocher de la nature, accéder plus facilement à certains lieux de loisir.
Autre projet emblématique de cette démocratisation de l’automobile, le grand plan autoroutier pour Paris a pour ambition de décongestionner la circulation en poursuivant la construction de huit autoroutes de 2×2 voies, 2×3 voies et 2×4 voies selon différents axes et rocades.
Le périphérique de Paris est d’ailleurs inauguré par le Premier ministre Pierre Messmer en avril 1973 pour le compte de Georges Pompidou.
Ce dernier a également prévu de construire des voies sur les berges parisiennes, toujours dans l’esprit de fluidifier la circulation.
De vives oppositions entourent ce projet pour des motifs différents : préservation d’espaces piétons anciens, protection de l’environnement qui était fortement menacé par ce projet, volonté de ne pas laisser l’État décider seul pour la ville de Paris.
Sensible aux arguments des militants écologistes et de résidents qui prônent la préservation du patrimoine local, Valéry Giscard d’Estaing annule ce projet peu après son élection à la Présidence de la République, à l’exception de quelques pans où les travaux avaient déjà commencé.
La construction des institutions européennes
Convaincu que l’Europe est une civilisation ancienne mue par une culture commune, Georges Pompidou dévie de la ligne gaullienne en relançant la construction européenne.
Dès décembre 1969, lors du sommet européen (à l’époque, la réunion des six pays membres de la Communauté économique européenne) de La Haye, il négocie l’élargissement de la Communauté européenne en acceptant une candidature du Royaume-Uni – le « cheval de Troie » étasunien tant rejeté par de Gaulle – de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège.
Il convient également des règles financières à destination de la politique agricole commune et débat d’une ouverture plus large du marché commun ainsi que de l’union douanière. Le rapport (d’Etienne) Davignon, aussi appelé rapport Luxembourg, propose des moyens de répondre aux problèmes soulevés par les différents changements envisagés au sein de la Communauté économique européenne (CEE), que les ministres des Affaires étrangères approuvent le 27 octobre 1970.
Le traité de Bruxelles est signé le 22 janvier 1972. Il acte l’entrée dans la CEE du Royaume-Uni, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège pour le 1er janvier 1973. Toutefois, les Norvégiens refusent d’intégrer la CEE lors d’un référendum, rendant inapplicable le traité à leur endroit.
En France, Georges Pompidou soumet l’adoption du traité de Bruxelles à la décision des Français par le référendum d’avril 1972. Il s’agit principalement d’un calcul politique : les négociations autour d’un programme commun de gouvernement d’union de la gauche entre socialistes, communistes et radicaux de gauche sont en cours de finalisation.
Le président de la République espère pouvoir diviser les protagonistes de gauchecar il sait que les socialistes soutiennent l’élargissement de la CEE alors que les communistes s’y opposent. Ces derniers en ont parfaitement conscience et parviennent à contourner le problème en choisissant une voie médiane – appel à l’abstention pour dénoncer une instrumentalisation politique des questions européennes – et le référendum s’avère décevant pour Pompidou puisque seuls 36 % des inscrits disent « oui » (le taux d’abstention est de 40 % !).
Si les objectifs dissimulés de Georges Pompidou ne sont pas atteints (tester sa popularité, permettre aux gaullistes de prendre une forme de « revanche » avec le référendum d’avril 1969, diviser les gauches), il n’en reste pas moins que l’élargissement de la CEE est validée.
Le 21 octobre 1972, le sommet de Paris voit les neuf membres de la CEE annoncer leur volonté de renforcer les institutions européennes et la coopération politique. Une volonté confirmée l’année suivante par la « déclaration sur l’identité européenne » à Copenhague.
Un musée pour valoriser l’art moderne
S’il fallait n’évoquer qu’un dernier apport du mandat présidentiel de Georges Pompidou, il paraît incontournable de mentionner la construction du palais Beaubourg à Paris, rebaptisé par la suite sous le nom de Centre Pompidou en hommage à son initiateur.
À l’époque, Georges Pompidou fait deux constats : Paris semble perdre sa place de leader des arts au profit de New York au tournant des années 1960-1970, et offre peu d’espaces à l’art contemporain (à l’exception d’une élite parisienne limitée et de galeries d’art à l’accès très restreint).
« Je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel […] qui soit à la fois un musée et un centre de création, où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audio-visuelle, etc. Le musée ne peut être que d’art moderne, puisque nous avons le Louvre. La création, évidemment, serait moderne et évoluerait sans cesse. La bibliothèque attirerait des milliers de lecteurs qui du même coup seraient mis en contact avec les arts » déclare-t-il au journal Le Monde le 17 octobre 1972.
Il souhaite voir créer un espace original qui allie exposition d’œuvres d’art moderne (musée) et production artistique (centre d’art). Par ce biais, Paris pourrait trouver un nouveau dynamisme culturel et démocratiser l’accès à l’art contemporain.
Georges Pompidou et son ministre de la Culture d’alors, Edmond Michelet, commencent à élaborer le projet d’un musée-centre d’art contemporain dès décembre 1969. Un concours international est lancé l’année suivante pour sélectionner un projet architectural. Les travaux sont lancés en janvier 1972 pour ne s’achever que cinq années plus tard.
La construction d’un musée d’art moderne est loin de faire l’unanimité, aussi bien au sein du gouvernement que des citoyens. En septembre 1971, alors que le projet proposé par les architectes Enzo Piano, Richard Rogers et Gianfranco Franchini est approuvé pour remplacer les îlots insalubres du plateau Beaubourg, un micro-trottoir mené par l’ORTF dans les rues de Paris reflète le malaise qui l’entoure, quand il ne s’agit tout simplement pas d’un franc rejet.
Des spectateurs interrogés déclarent sans ambages qu’il pourrait s’agir de « l’erreur monumentale du siècle » ou que le projet leur semble « une boîte, une prison, [dans laquelle] on fera des expériences comme sur des lapins, ou comme dans les hôpitaux psychiatriques ».
Projet partiellement contesté jusqu’au sommet de l’État, le Centre Pompidou est tout de même inauguré le 31 janvier 1977 par Valéry Giscard d’Estaing.
Moderniser envers et contre tout
Comme le démontrent ces quelques exemples, le mandat présidentiel de Georges Pompidou est marqué par de grands projets de modernisation des infrastructures nationales.
Les quelques mois qui précèdent la mort prématurée du chef de l’État voient cependant un net ralentissement de la politique réformatrice mise en œuvre du fait de la crise énergétique et économique, mais pas un arrêt définitif.
En effet, le troisième gouvernement du Premier ministre Pierre Messmer lance en février-mars 1974 (avec l’aval du président de la République) le plan Messmer, qui vise à rendre la France la plus autonome possible vis-à-vis des énergies fossiles grâce à la multiplication d’implantation de centrales nucléaires civiles.
Mis en œuvre par les successeurs de Georges Pompidou, ce projet a permis à la France d’atteindre jusqu’à presque 75 % de production d’électricité. Un héritage encore d’actualité cinquante ans plus tard.