
ARTICLE : « Un malheureux constat » : seulement 29 % des jeunes de 18 ans placés en famille d’accueil ont le bac
En France, 60 100 jeunes vivent principalement en famille d’accueil. Ils sont deux fois moins nombreux en comparaison avec la population générale à posséder le baccalauréat.
Par Nathan Tacchi. Publié le 02/04/2024 LE POINT
« C’est un constat malheureux qui perdure de génération en génération », souffle Anniela Lamnaouar, porte-parole de l’association Repairs et membre du CNPE (Conseil national de la protection de l’enfance). En France, 29 % des jeunes vivant en famille d’accueil et âgés de 18 ans ont un diplôme équivalent ou supérieur au baccalauréat. Une proportion deux fois moins élevée en comparaison avec les jeunes de l’ensemble de la population du même âge, selon une nouvelle étude de la Drees publiée ce jeudi.
Pour la sociodémographe Isabelle Frechon, ce faible taux s’explique notamment par des cassures dans la scolarité. « Souvent, les jeunes placés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont de longs parcours scolaires et redoublent plus que la moyenne », explique la spécialiste. En France, 43 % des jeunes qui ont terminé leur parcours de protection en famille d’accueil ont redoublé une fois et 24 %, deux fois ou plus. De fait, les difficultés familiales auxquelles ces jeunes sont confrontés et les changements de placement ralentissent leur progression scolaire.
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60 100 jeunes vivent en famille d’accueil
« Les jeunes de 18 ans placés en famille d’accueil s’en sortent souvent bien scolairement [en comparaison avec les autres enfants de l’ASE, NDLR]. Mais, comme ils redoublent, à 18 ans, à l’âge où normalement les lycéens passent le baccalauréat, ils ont un peu de retard. Mais ils seront peut-être bacheliers l’an prochain. Ainsi, nous pouvons tout de même espérer une proportion de jeunes bacheliers un peu plus élevée à l’avenir, même si elle reste toujours moins élevée qu’en population générale », ajoute la sociodémographe.
En 2019, 60 100 enfants ou jeunes adultes de moins de 21 ans vivaient principalement en famille d’accueil. Au total, d’après l’Ined, 138 000 enfants ou adolescents sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance au titre de l’enfance en danger, soit 1,6 % des mineurs. En France, une étude coréalisée par Isabelle Frechon relevait qu’au total 13 % des enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance avaient leur baccalauréat. « Les chiffres dévoilés par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sont intéressants, ils pointent que le placement en famille d’accueil décuple la possibilité d’avoir son baccalauréat », soutient Lyes Louffok, militant des droits des enfants.
« C’est très dur émotionnellement au quotidien »
Reste que les taux sont nettement moins élevés que la population générale. Selon la Drees, cet écart est dû aux « trajectoires scolaires moins linéaires des enfants vivant en famille d’accueil, et peut-être à leur “choix” de suivre des formations courtes et professionnalisantes dans la perspective d’obtenir une indépendance financière rapidement ». De fait, 26 % des jeunes vivant en famille d’accueil sont titulaires d’un CAP ou d’un BEP, contre 15 % dans la population générale. « Le terme “choix” est mis entre guillemets puisque ce n’est pas vraiment un choix, lance Isabelle Frechon. L’école les oriente d’eux-mêmes, notamment en raison des redoublements. L’échec scolaire n’est pas toujours rattrapé. »
« Une vraie difficulté à laquelle nous sommes confrontés est la question de l’ambition portée par les travailleurs sociaux et l’Éducation nationale aux enfants placés », soutient Lyes Louffok. L’un des problèmes majeurs, selon les trois experts interrogés, reste l’insertion dans la vie active à la suite de mesures de protection de l’ASE. « Imaginez, si jamais nous ratons nos études et que nous n’avons plus d’accompagnement, nous risquons de nous retrouver à la rue. C’est très dur émotionnellement au quotidien. La fin des droits étant à 21 ans maximum, il y a une volonté de nous former et de nous faire entrer dans la vie active très rapidement. C’est assez déroutant », lance Anniela Lamnaouar.
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En France, les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance sont exposés à d’importants risques de précarité. À la fin de leur contrat jeune majeur ou de leur prise en charge, les jeunes doivent subvenir eux-mêmes à leurs besoins. De surcroît, 16 % des jeunes ayant quitté l’Aide sociale à l’enfance ont été sans domicile . Cette « crainte » de se retrouver sans abri les oblige à choisir ces courtes formations professionnalisantes.
Mieux accompagner les jeunes placés
« À l’avenir, il faut arrêter de mettre tous ces jeunes placés dans le même panier, alerte Isabelle Frechon. Ils ne sont pas tous à redoubler et il ne faut pas non plus les cantonner à une forme de destin qui consisterait à les orienter de façon massive vers ces voies courtes et professionnalisantes. Il faudrait avoir cela en tête, mais ce n’est pas du tout le cas actuellement. » Isabelle Frechon plaide aussi pour un meilleur accompagnement des majeurs en fin de parcours à l’ASE pour leur permettre de mieux anticiper le passage à la vie active et de mieux connaître leurs droits.
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Pour mieux accompagner ces jeunes, Anniela Lamnaouar demande notamment un plan d’investissement de l’ASE. De son côté, Lyes Louffok appelle à une réflexion sur la question des parcours discontinus de l’Aide sociale en famille d’accueil, qui est par ailleurs le « milieu le plus protecteur » pour les enfants placés. « Et il faut urgemment régler la pénurie des familles d’accueil. »