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UNE TRADITION BIEN FRANÇAISE : LA GOUAILLE

ÉMISSION : La gouaille au cinéma, d’Audiard à Quenard

Par Yann Lagarde 11 mars 2024 FRANCE CULTURE

De ses films jusqu’à ses interviews, le comédien a construit en personnage volubile et fantasque qui s’inscrit dans une tradition bien française du parler populaire : la gouaille.

Mais d’où vient l’éloquence flamboyante et un peu désuète de Raphaël Quenard ? Le comédien originaire de la banlieue de Grenoble, et récemment nommé meilleur espoir masculin aux César 2024, retient l’attention notamment pour sa tchatche et sa manière de parler.

De ses films jusqu’à ses interviews, Raphaël Quenard a construit un personnage volubile et fanfaron qui s’inscrit dans une tradition bien française du parler populaire : la gouaille.

La gouaille, c’est une attitude impertinente, mais c’est aussi une manière de s’exprimer, avec panache et emphase. On la retrouve dans le patrimoine oral français en musique, au cinéma et même dans la littérature.

« La gouaille, au départ, est associée à la ville de Paris », rappelle le sociolinguiste Michael Abecassis. « Il s’agit d’un argot qui était utilisé par ce qu’on appelait les “harengères” des halles. »

De Gavroche au « Titi » parisien

Ce parler populaire des halles donne carrément lieu à un genre littéraire dès le 18ᵉ siècle : le genre poissard. Des aristocrates imitent cette langue si typique dans des poèmes ou des pièces de théâtre, moquant les mœurs du peuple. Victor Hugo s’inspire aussi de cet argot pour certains de ses personnages comme Gavroche, le gamin des rues débrouillard et intrépide des Misérables.

On entend cette gouaille chez les chansonniers du début du 20ᵉ siècle qui évoquent le quotidien des ouvriers des faubourgs parisiens, comme Aristide Bruant.

C’est cette France populaire typique qu’on retrouve dans le cinéma d’entre-deux-guerres, avec des acteurs comme Jean GabinArletty, Julien Carette ou Suzy Delair.

Dans leur bouche, la langue française acquiert une sonorité typique : élision du “ne” et suppression du “che” ; par exemple, “j’t’aime po” au lieu de “je ne t’aime pas” ; écrasement de voyelle, “vlà” au lieu de « voilà » ; des liaisons fautives, “dès hier” (dézière”).

« Le français populaire baigne également dans l’affectivité », note Michael Abecassis, « avec un allongement des voyelles, donc quelque chose de très parigot à dire “mouaiiiis” et j’ai retrouvé chez Raphaël Quenard certains allongements de voyelles. »

Une oralité populaire travaillée

Davantage que la prononciation et l’intonation des mots, la gouaille, c’est aussi un usage volontairement ludique et décalé de certaines tournures, expressions ou mots, perçus comme désuets. Ou comment créer un effet de surprise en mélangeant des registres langues familier et soutenu.

Michel Audiard, réalisateur et surtout dialoguiste, est passé maître dans l’utilisation comique de cette gouaille. Ses personnages de malfrats utilisent une langue très écrite, faite d’euphémismes, d’hyperboles et d’aphorismes, ces grandes phrases définitives sur le sens de la vie. Parfois même jusqu’à la caricature.

« Le style Audiard était caractéristique en effet d’une espèce de formulation avec un accent très faubourgeois”, décrit Alister, rédacteur en chef de la revue Schnock, « populaire on dira, avec l’emploi de formulations, d’aphorismes, de références culturelles, historiques très pointues. C’était un parler populaire complètement réinventé, fantasmé. Et on a l’impression parfois que ce Raphaël Quenard est l’héritier de ça. Il ajoute dans son discours des formules, des mots, qui sont un peu vieillots. »

Des faubourgs parisiens à la banlieue de Grenoble

Ce contraste entre tchatche populaire et langue littéraire un peu désuète, c’est aussi une manière de se réapproprier le verbe, de jouer avec les frontières de classe.

« C’est peut-être dans ce cas précis où il y a une forme de transgression, » analyse Michael Abecassis, « un désir de brouiller les pistes, d’affirmer sa liberté et son émancipation linguistique. Raphaël Quenard le fait, mais inconsciemment. »

Si Raphaël Quenard s’inscrit dans ce patrimoine oral populaire à l’origine très parigot, la nouveauté, c’est qu’il le décentre de Paris pour le resituer dans la France périphérique.

L’acteur est originaire de la banlieue de Grenoble et beaucoup de ses films se situent d’ailleurs dans des villes de province.

Révélation du cinéma français, Raphaël Quenard s’est fait remarquer grâce à sa gouaille et son usage déconcertant de la langue française, mélangeant des expressions très désuètes et une tchatche volubile. Cette gouaille comme patrimoine oral français a en fait une longue histoire.

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