
ARTICLE : Rapport sur la délinquance en col blanc dans le monde
Anne MOREAUX , le lundi 26 septembre février 2024. AFFICHES PARISIENNES
Le cabinet d’avocats d’affaires Allen & Overy dresse le bilan de la criminalité en col blanc à travers le monde dans son dernier rapport annuel.
Le cabinet d’affaires Allen & Overy vient de publier la nouvelle édition de son rapport annuel intitulé “Cross-border White Collar Crime and Investigations Review”, qui fait le tour de la criminalité en col blanc au niveau mondial.
Cette analyse des tendances les plus marquantes en matière de criminalité financière et d’enquêtes, au nombre de 13, au cours des 12 derniers mois, peint un tableau révélateur du paysage réglementaire et répressif de plus en plus complexe auquel font face les entreprises du monde entier.
Principaux défis de 2024 : enquêtes internes, lanceurs d’alerte et esclavage moderne
Dans ce bref rapport de 7 pages rédigé en anglais et accessible en ligne, les équipes d’Allen & Overy spécialisées en droit pénal des affaires partagent leurs points devuesur les principaux défis de 2024 qui vont impacter les équipes d’enquête interne au sein des entreprises ainsi que les avocats spécialisés dans la criminalité en col blanc. Ils suggèrent également des moyens de gérer et de répondre aux risques associés.
Le premier point sur lequel le rapport se penche est le contrôle accru des enquêtes internes. Dans ses premiers développements, le document précise ainsi que “la conduite des enquêtes internes fait l’objet d’un examen plus minutieux de la part des autorités chargées de l’application des lois, des employés et des autres parties prenantes”.
Il cite notamment l’exemple du guide pratique copublié par l’Agence Française anticorruption (AFA) et le Parquet national financier (PNF), les exigences du tribunal disciplinaire de l’Ordre des avocats néerlandais pour les avocats réalisant des enquêtes indépendantes, ou des réformes chinoise et britannique sur le déroulé des enquêtes internes.
Ce à quoi les avocats d’Allen & Overy conseillent d’être particulièrement sensibles aux attentes des autorités et de suivre leurs guides pratiques et recommandations.
Le deuxième défi à relever est la multiplication et le renforcement des lois de protection des lanceurs d’alerte dans davantage de pays. “La mise en œuvre de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte dans de nombreux États membres en 2023 a accéléré le besoin des entreprises de veiller à ce que leurs lignes de signalement et leurs politiques en matière de dénonciation soient conformes aux nouvelles règles”, précise le rapport.
La confidentialité des avis des juristes d’entreprises réinstaurée par le Sénat
Face à ce constat, les entreprises doivent s’attendre à ce que davantage d’enquêtes internes soient menées et doivent donc se tenir prêtent à recevoir des plaintes, les trier, former les personnes qui pourraient être impliquées et mener ces process en respectant le droit applicable.
Sur la dernière marche du podium des points de vigilance, le rapport évoque le “Traitement des employés et des travailleurs dans la chaîne de valeur”, autrement dit les problématiques de discrimination, harcèlement et d’esclavage moderne, notamment dans les pays en développement comme la Chine ou l’Inde où les libertés publiques et les droits des salariés ne sont pas respectés. Certaines réglementations en matière de lutte contre le travail dissimulé sont renforcées, notamment en Australie où un commissaire anti-esclavagiste est en cours de nomination, et en France où une chambre civile a ordonné à une entreprise française d’améliorer son programme de conformité suite au recours à des travailleurs sans papiers par des sous-traitants. Une directive européenne est également en discussion.
Le rapport fait aussi état de l’essor, dans de nombreux pays, des enquêtes sur le lieu de travail suites à des allégations d’inconduite, d’agressions sexuelles, de harcèlement, de discrimination, d’intimidation ou encore de représailles.
“Les entreprises devraient déjà réfléchir aux problèmes de chaîne d’approvisionnement et prendre des mesures pour faire face aux risques tels que l’esclavage moderne”, conseille le rapport, en gardant en tête que ces problématiques qui “en recoupent souvent d’autres en relation avec des préoccupations environnementales ou la corruption, en particulier lorsque des tiers sont impliqués” nécessitent d’être traitées de façon “intégrée et non cloisonnée”.
Attention aux intermédiaires, aux données, au blanchiment et à l’évasion fiscale
Le rapport pointe également du doigt le risque de corruption causé par l’intervention de tiers intermédiaires ; la hausse des mesures coercitives liées au greenwashing et à la criminalité environnementale ; le renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude dans les marchés publics ; l’importance de la conformité anti-blanchiment d’argent (AML, anti-money laundering) pour les contrôleurs financiers ; et l’aggravation de l’exposition des entreprisesau risque pénal.
Les avocats invitent aussi les entreprises à s’attendre à un examen plus minutieux de la manière dont la culture d’entreprise et la conformité interagissent ; à un impact plus important des tensions géopolitiques mondiales ; à l’attention continue des régulateurs qui redoublent d’efforts en matière de protection des données et de cybersécurité ; à calculer le bénéfice/risque de la coopération avec les autorités qui proposent davantage d’incitation et de clémence ; et au risque accru d’utilisation de canaux de communication non autorisés (téléphones et ordinateurs personnels) à des fins commerciales.
Mise en lumière de l’évolution de la réglementation française
Au fil de ces analyses et recommandations, le rapport met en exergue l’évolution de la réglementation en France impactant le droit pénal des affaires.
Il fait notamment allusion en première page à l’échec de l’instauration de la confidentialité des avis des juristes d’entreprises dans une proposition de loi récente, le célèbre legal privilege tant attendu par les directions juridiques françaises afin de pouvoir assurer la confidentialité de leurs échanges avec leur hiérarchie sans passer par leurs avocats.
“La tentative d’étendre le secret professionnel aux conseils juridiques d’entreprise en France a échoué. Le refus d’adhérer à ces règles ou attentes risque d’entraîner des conséquences juridiques et/ou réputationnelles”, commente le rapport.
Il souligne également que la France a manifestement renforcé son arsenal législatif contre l’évasion fiscale en introduisant une nouvelle infraction pénale liée à la facilitation à la fraude fiscale. Elle a également intensifié la surveillance du secteur bancaire et a collaboré avec les autorités allemandes pour mener des perquisitions dans les principales banques françaises.
Enfin, les avocats d’Allen & Overy notent que l’Agence française anticorruption (AFA) invite vivement les entreprises à coopérer lors d’une enquête. “En France, les lignes directrices sur les enquêtes internes en matière de corruption révisée en mars 2023 conseillent aux entreprises d’informer les autorités pénales ‘dès que possible’”, précise le rapport. La coopération peut ainsi rapporter, ou a minima permettre de perdre moins en bénéficiant de la clémence des magistrats. Les entreprises poursuivies peuvent en effet bénéficier de réductions importantes sur le montant des amendes si elles ont coopéré, même lorsqu’elles ne se sont pas dénoncées.