
ARTICLE : Comment les Romains savaient-ils où se trouvaient les frontières de l’Empire?
9 mars 2024 SLATE
C’est très simple: ils ne le savaient pas, car les frontières n’existaient pas encore.
Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d’autres, spécialistes du sujet, leur répondent.
La question du jour: «Comment les anciens royaumes et empires savaient-ils où se trouvait la frontière? Comment un citoyen romain saurait-il où Rome se termine et où commencent les tribus barbares?»
La réponse d’Alice Twain:
Jusqu’à l’année 1500, les frontièresn’existaient pas, ni l’idée de frontières. Le concept moderne de la frontière a été créé pendant le traité de Tordesillas entre l’Espagne et le Portugal qui a défini scientifiquement les zones d’influence entre ces deux pouvoirs. Avant cela, cette idée n’avait jamais existé. Pourtant, il y avait des «limes». Le mot vient du latin et signifiait «bord».
Prenons l’une des cartes que l’on voit dans les livres d’histoire, avec toutes les belles couleurs, et des royaumes et empires soigneusement dessinés. Ce sont des mystifications. Vous les regardez avec votre cerveau du XXIe siècle et vous pensez: «La Hongrie s’arrête ici, voici la Pologne.» Non, cela ne fonctionnait pas comme cela. Il y avait des limes, des zones (qui pouvaient être plus larges ou plus étroites) de no man’s land, où l’autorité des deux royaumes avait disparu et où ils se mêlaient l’un et l’autre. Sur parfois des centaines de kilomètres, personne n’avait le pouvoir.
Un concept bien plus liquide qu’une frontière
Généralement, ce limes coïncidait avec des frontières physiques: une mer, un fleuve majeur, une chaîne de montagnes, un désert, une zone si infertile que l’on ne pouvait pas l’utiliser pour l’agriculture. Parfois, il s’agissait juste d’une zone sur laquelle deux États se faisaient la guerre. Pendant le Xesiècle, l’Empire byzantin s’est divisé entre différents empires à cause d’une guerre civile (il sera bientôt réuni), et il faisait aussi la guerre avec la Bulgarie concernant le contrôle des territoires sains et fertiles qui constituaient le limes et que voulaient les deux États.

Là où la population était plus dense, le limesétait plus étroit. Le limes se déplaçait aussi en fonction des alliances et des petites guerres. La ville de Canossa, en Italie, était officiellement dans le Grand-duché de Toscane, mais si un seigneur de Canossa (à l’époque une forteresse majeure) venait à changer de côté et former une nouvelle alliance avec le royaume de Lombardie, le limes entier était par conséquent modifié. Le limes était un concept bien plus liquide qu’une frontière.
Personne n’y allait, ou presque
Alors, comment un Romain savait-il s’il se trouvait toujours à l’intérieur de l’Empire? Il ne le savait pas, tout simplement. L’Empire lui-même n’était pas ce que montre la carte. Si vous regardez une carte moderne du Brésil par exemple, vous saurez que la zone entière qui se trouve dans la frontière s’agit du Brésil, et c’est aussi simple que cela. Mais ce n’était pas si facile pendant l’Antiquité.
C’est L’Empire romain habituellement représenté était en fait un territoire composite constitué du Pomerium, qui appartenait en quelque sorte officiellement aux villes et aux colonies de Rome, dont les habitants (y compris les paysans qui vivaient à la campagne) étaient des citoyens romains, ainsi que des territoires qui étaient influencés par Rome en conservant leur propre structure du pouvoir local (comme c’était le cas pour la Palestine par exemple). Même au sein du limes, on ne savait pas si on se trouvait dans les domaines romains, ou dans une zone sur laquelle Rome avait une forte influence.
SOCIÉTÉComment la Rome et la Grèce antiques accueillaient les étrangers
Une fois que l’on s’approche du limes, tout ce que l’on savait, c’est que l’on se trouvait sur le limes: la protection romaine n’était donc pas garantie. En revanche, le limes était souvent si négligeable que personne n’y allait, sauf quelques bergers, ou des commerçants allant vendre des marchandises romaines aux bandits et aux «tribus» (qui n’en étaient pas vraiment, mais tenons-nous en au mythe pour l’instant).