
MARQUER SON TERRITOIRE
Vitrine, attrape talents, un siège est aussi le reflet d’une époque. Et l’occupation de l’espace souvent pour les dirigeants encore une manière de marquer leurs territoires, seuls dans leurs vastes bureaux fermés. Espace, services, ambiance, comment les collaborateurs qu’ils aient 30 ou 50 ans reprendront-ils le goût de revenir au bureau ?
ARTICLE – Télétravail : à quoi ressemblera le bureau qui nous donnera envie d’y revenir… à 30 comme à 50 ans ?
Publié le 3 mai 2024 Carole Papazian L’OPINION
En franchissant le seuil de l’Atelier, le nouveau siège européen de la foncière Covivio à Paris, on croit un instant s’être trompé d’adresse pour entrer dans le lobby d’une boutique hôtel. Décoration signée Sarah Lavoine, terrasses qui feraient rêver plus d’un touriste, canapés lounge, ce nouveau siège a revêtu ses plus beaux atours pour faire revenir les salariés au bureau en flexoffice. D’ailleurs 65 % des espaces sont des espaces collaboratifs où se retrouver le temps d’une réunion, d’un déjeuner, d’un café ou… d’un panier de basket.
Rendez-vous était donné ce matin-là au 10 rue de Madrid dans le 8e arrondissement à Paris pour découvrir le nouveau siège européen de Covivio, foncière et développeur immobilier. Mais aussi leader de l’hôtellerie européenne, propriétaire de 320 hôtels en Europe (7 milliards d’euros d’actifs exploités par Louvre Hôtels, Marriott, Radisson ou Accor par exemple). A groupe atypique, siège atypique. Première surprise : nulle mention du nom Covivio, mais celui du lieu « L‘Atelier ». « Une illustration de notre savoir-faire serviciel et un laboratoire idéal », explique le groupe.
Entre le parc Monceau et la gare Saint-Lazare, l’immeuble de briques des années 1910/1930 n’est pas un haussmannien classique. Pas du tout ! C’est un ancien central téléphonique. Aujourd’hui miniaturisés, les relais téléphoniques n’occupent plus qu’une petite partie des 6 500 mètres carrés. Le reste est devenu, après des travaux d’ampleur et une rénovation qui a coûté plus de 3 600 euros le mètre carré, le siège européen du groupe. Sa vitrine aussi. Avec toute une kyrielle de certifications cochées : HQE Excellent, Biodivercity, BBCA Rénovation et j’en passe.
Ce n’est pas la première restructuration lourde engagée par Covivio qui a racheté le patrimoine immobilier d’Orange dans les années 2000. Mais celle-là, menée avec les architectes du cabinet Studios, le groupe l’a faite pour lui et elle reflète sa vision du monde du travail.
Elle nous intéresse, nous les XO. Que vous ayez 40, 45 ou 50 ans, des déménagements vous en avez vécu plusieurs, que vous soyez restés fidèle à votre entreprise ou que vous soyez un pro du turn-over.
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Déménager, c’est toujours compliqué. Il faut prendre de nouvelles marques, faire accepter à son équipe le nouveau lieu, et la place assignée à chacun dans la nouvelle organisation de l’espace qui reflète, qu’on le veuille ou pas, celle que l’on occupe dans l’organigramme. L’organisation de l’espace reste un marqueur du pouvoir.
Ah, les vastes bureaux des comités de direction en ont fait des envieux, les étages aux canapés confortables et à la moquette épaisse aussi. Du passé tout ça ? Avec le flexoffice, la transparence, l’open space, ces vieilles habitudes sont parfois remisées au placard, mais pas toujours. Le bureau reste souvent un signe extérieur de richesse ou tout au moins de pouvoir.
Il peut être un message aussi, ou en tout cas ressenti comme tel !
Je me souviens d’une année où à la suite d’un déménagement calamiteux dans une autre vie professionnelle, mon bureau entièrement vitré faisait face à une sortie de secours, une porte avec une grosse affiche indiquant qu’en cas d’urgence, voilà où se situait la sortie. Un brin parano (?), ne voulant pas contempler cette fameuse affiche (par ici la sortie) dès que je lèverai le nez de mon ordinateur, j’avais fini par couvrir de posters (très corporate) ma cage vitrée pour ne plus voir l’image de cette porte de sortie. Avant, un an et demi plus tard, d’avoir la joie de sortir de ma boîte et de migrer dans la même entreprise vers un espace bien plus accueillant au gré d’un nouveau déménagement.
Avec le télétravail, le flex office est de mise pour de nombreux cadres. Le soir, on est prié de ranger ses affaires pour laisser place nette. Finies, les piles de dossiers et de paperasses qui attiraient les souris (oui, oui je les ai vues marcher à petits pas pressés dans un précédent immeuble pourtant très chic sous tous rapports).
Les quinquas qui se souviennent des piles branlantes de documents derrière lesquelles certains collègues disparaissaient, ne se plaindront pas de ce coup de propre. La masse d’informations digitales permet de mettre à la poubelle (celle de la récup évidemment) bien des papiers et des dossiers devenus inutiles.
On s’allège au propre comme au figuré.
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Débarrassé des paperasses, moins présent grâce au télétravail, est-on alors plus cool, plus enjoué qu’avant quand on vient au bureau ? Tout dépend du job, de son équipe, de ses objectifs, oui, mais au bureau qu’est-ce qu’on y trouve ? « Depuis le télétravail, avec la digitalisation, il faut faire vivre des émotions positives au bureau. La première raison d’être au bureau, ce sont les rencontres, de partager des moments avec ses collègues. A l’Atelier, 65 % des surfaces sont dédiées à des espaces collaboratifs et nous avons trois espaces événementiels. Nous voulions créer un vrai lieu de vie professionnel », explique Céline Léonardi, directrice du business développement de Covivio.
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Le siège de Covivio sert à tout un patchwork d’utilisations différentes. Lipton loue ici des bureaux, les équipes de la foncière en occupent d’autres, des espaces en coworking sont aussi accessibles. Tous profitent d’une décoration millimétrée, de grandes hauteurs sous plafonds vestiges d’un bâtiment industriel, de salles de sport et de vestiaires de sport dignes d’un hôtel de luxe. Avec même un punching-ball sur lequel se défouler pour qui a besoin de se défouler !
Si le salon cosy jouxtant la salle du conseil et sa table de 20 mètres de long vous inspirent, si vous envisagez une réunion qui se finira sur une terrasse avec vue sur la Tour Eiffel, bonne nouvelle, vous pouvez louer les lieux. Comptez par exemple un peu moins de 1 000 euros pour louer pendant une demi-journée la salle du conseil.
Les salles avec des baby-foot, les bibliothèques décorées de livres de yoga et de vases de It-girl peuvent faire sourire, mais les espaces collaboratifs ont du bon. Pouvoir faire du sport à l’heure du déjeuner dans une salle en bas de son immeuble est un vrai plus et permet de rencontrer des collègues d’autres équipes que l’on n’aurait jamais rencontrés sinon. Une salle de réunion où se poser dans de vastes fauteuils peut l’être aussi pour booster la créativité… à condition de retourner à temps à son bureau et à ne pas s’enfoncer dans le lounge à rêvasser tout l’après-midi !
Et puis, il faut le reconnaître, entrer le matin dans le hall cossu de l’immeuble de l’entreprise où on travaille peut être un de ces petits moments de joie. Si, si !
Un hall accueillant, un immeuble qui vous renvoie une image valorisante, donne souvent à celui qui le rejoint, un petit coup de mieux à votre ego. Avoir de la chance de travailler dans un bel environnement nous donne le sentiment que nous le valons bien ! A condition évidemment de ne pas avoir passé des heures dans des transports bondés…
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« Le bureau a cessé de n’être qu’un bureau. Il doit répondre à de nouvelles attentes : être attractif pour attirer et fidéliser les talents, proposer une solution concrète pour rationaliser les coûts et une solution écoresponsable pour améliorer la performance RSE des occupants» estime Stéphane Adnet, directeur général d’Insitu, autre acteur de l’immobilier de bureaux.
Selon une étude de l’Apec, publiée le 12 mars, « pour les cadres, le télétravail est un acquis et rejoindre une entreprise qui ne propose pas le télétravail serait rédhibitoire pour la moitié d’entre eux (51 %). Huit cadres sur dix (82 %) seraient mécontents si leur entreprise supprimait l’accès au télétravail ».
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On se dit voilà une affaire de jeunesse, ce sont les jeunes cadres qui démissionneraient s’ils devaient renoncer à leur(s) jour(s) de télétravail. Selon l’Apec, 57 % des cadres de moins de 35 ans disent que la suppression du télétravail les pousserait à changer d’entreprise (une part qui est tout de même de 45 % chez leurs aînés). Certes, elle doit chuter encore chez les plus de 50 ans, mais ça ne veut pas dire qu’ils apprécient moins ce mode de travail hybride, juste qu’ils savent qu’il sera dans la plupart des cas plus difficile pour eux de retrouver un emploi.
Alors que certaines entreprises voudraient voir revenir au bureau leurs collaborateurs, Gilles Gateau, le directeur général de l’Apec prévient : « Un retour en arrière vers le tout présentiel n’apparaît pas imaginable et les entreprises qui seraient tentées d’imposer ce format risqueraient de voir partir ailleurs leurs meilleurs talents. Le télétravail n’est plus une réponse conjoncturelle à une crise, c’est devenu une composante structurelle de l’organisation du travail» .
Voilà pourquoi les jolis bureaux bien pensés en flexoffice ont de l’avenir devant eux. Tant mieux ! A condition bien sûr que le management soit à la hauteur du cadre. Pour que les lieux ne soient pas pollués par des techniques managériales ringardes et que les bonnes ondes circulent.
L’habit ne fait pas le moine !