
ARTICLE – Aristote et les arts du langage
Vendredi 14 avril 2023
Selon Artistote, la rhétorique peut être considérée comme une discipline philosophique à part entière. Sa philosophie s’appuie sur une tradition de l’art oratoire. Aristote refonde les potentialités de la rhétorique en lui accordant un rôle dans la quête du vrai.
Avec
- Camille Rambourg Maîtresse de conférences de grec au département des sciences de l’Antiquité de l’École normale supérieure
- Pierre Chiron Professeur émérite à l’UPEC, membre de l’Institut Universitaire de France, helléniste, philologue et historien de la rhétorique dans ses rapports avec la démocratie et la philosophie
Avec philosophie consacre cette série d’émissions au philosophe grec de l’Antiquité : Aristote (384 av. J.-C.-322 av. J.-C.). Dans ce dernier épisode, Géraldine Muhlmann et ses invités s’intéressent aux arts du langage dans la philosophie aristotélicienne. Ensemble, ils s’interrogent sur la manière dont Aristote a mis à jour les potentialités de la rhétorique, en lui accordant un rôle dans la quête du vrai et du fini.
Une conception logique de l’opinion
Pourquoi faut-il raisonner ? Ne suffit-il pas simplement d’appliquer la loi telle qu’elle est ? Comme le rappelle Pierre Chiron, la rhétorique est nécessaire chez Aristote car « la loi ne prévoit pas tout« , et certaines situations peuvent s’en écarter. De fait, l’art du langage permet de « faire comprendre de quelle manière la loi peut s’appliquer à un cas particulier« . En partant de la multiplicité des faits, on peut remonter par induction jusqu’à un principe. Ce mouvement logique est nécessaire afin de déterminer « en quoi les cas particuliers peuvent coïncider avec un principe général qui, lui, sera rapportable à une loi« . S’il ne s’agit pas là d’une véritable science, Aristote approche l’opinion avec un traitement « quasiment logique« .
Vers une théorie littéraire ?
Pour Camille Rambourg, la Rhétorique d’Aristote ne se limite pas à une théorie de l’argumentation. Elle souligne en effet chez lui une articulation entre la sphère des idées et celle du style. Evidemment, « ce qui est fondamental, ce sont les idées« . Mais Aristote reconnaît que la manière dont on les exprime, notre façon de parler, fait bien une différence. De fait, si le terme lexis employé par le philosophe grec dans son œuvre désigne chez lui « l’expression« , il ne s’agit pas simplement de parler, mais bien de parler « d’une certaine façon« . On peut ainsi penser que la lexisprend au fil des chapitres un sens se rapprochant de « notre idée de style » moderne. En mobilisant un nombre conséquent d’exemples littéraires, Aristote esquisse en effet un début de théorie littéraire, le style « favorisant l’intellection« .
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Pour en parler
Camille Rambourg, maîtresse de conférences de grec au département des sciences de l’Antiquité de l’École normale supérieure. Elle travaille sur la rhétorique grecque de l’époque classique, à la fois dans son versant technique et théorique, et dans sa pratique. Elle travaille actuellement sur une nouvelle édition commentée des Tétralogies d’Antiphon, plaidoyers fictifs virtuoses autour de la question de la responsabilité, composés par un auteur qui est à la fois considéré comme un orateur et un sophiste.
Elle a notamment publié :
- Topos. Les premières méthodes d’argumentation dans la rhétorique grecque des Ve-IVe siècles, éditions Vrin, collection « Textes et traditions », 2015.
- On peut aussi mentionner sa collaboration à la traduction nouvelle des Discours de Démosthène, une traduction intégrale sous la direction de Pierre Chiron, en collaboration avec Camille Rambourg, Vincent Azoulay, Matthieu Fernandez et Frédérique Woerther, éditions Les Belles Lettres collection « Editio minor », avril 2023.
Pierre Chiron, professeur émérite de langue et littérature grecque à l’UPEC (Université Paris-Est), membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Helléniste et philologue, il est aussi historien de la rhétorique dans ses rapports avec la démocratie et la philosophie. Il a écrit un Manuel de rhétorique. Comment faire de l’élève un citoyen (éditions Les Belles Lettres, 2018).
Il a notamment édité :
- Pseudo Aristote, Rhétorique à Alexandre, texte établi et traduit par Pierre Chiron, éditions Les Belles lettres, collection « Budé », 2002.
- Aristote, Rhétorique, présentation et traduction de Pierre Chiron, GF-Flammarion, 2007.
Références sonores
- Extrait du documentaire À voix haute, : la force de la parole, réalisé par de Ladj Ly et Stéphane De Freitas, 2016
- Lecture par Thaïs Eloi-Hammer d’un extrait d’Aristote, Rhétorique, livre 1, chapitre 1, présentation et traduction de Pierre Chiron, GF-Flammarion, 2007, p. 115-116
- Lecture par Thaïs Eloi-Hammer d’un extrait d’Aristote, Rhétorique, livre 1, chapitre 2, présentation et traduction de Pierre Chiron, GF-Flammarion, 2007, p. 124-125
- Lecture par Thaïs Eloi-Hammer d’un extrait d’Aristote, Poétique, livre 8, chapitre 19, édition et traduction de Pierre Destrée, GF-Flammarion, 2021
- Archive de Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, mise en scène par Pierre Bertin en 1955, acte II, scène 10
- Chanson de fin d’émission : « Il avait les mots » de Sheryfa Luna, 2008