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DÉMOCRATIE : « TONNERRE ET DÉCOMPOSITION  » – POINT DE VUE

ARTICLE – RN, Macron, Nouveau front populaire… : la grande décomposition démocratique

Dans la rue, mais aussi à l’Assemblée nationale, et plus encore sur les réseaux sociaux, la haine a remplacé l’argumentation. L’obéissance à la loi, fondement d’un État de droit, est devenue facultative. Le retour à une citoyenneté responsable est urgent, estime notre éditorialiste Michel Winock.

Dans une chronique du Figaro, Ran Halévi analysait récemment « le crépuscule de la démocratie américaine ». Force est de constater que la démocratie française ne se porte guère mieux. Le « coup de tonnerre » de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron retient les esprits plus que l’état pitoyable dans lequel est tombée la vie politique en France. Près de la moitié du corps électoral ignore le chemin des urnes. Sur la moitié votante, 50 % des électeurs donnent leurs voix aux extrêmes (40 % pour l’ensemble des extrêmes droite dominé par le Rassemblement national et 10 % pour l’extrême gauche, LFI en tête). Si l’on compte bien, ce n’est donc qu’un quart des électeurs sur lesquels repose notre démocratie, et leurs représentants ne veulent surtout pas gouverner ensemble !

Ebranlement de la République représentative

En lisant le remarquable ouvrage de Dominique Schnapper, Les Désillusions de la démocratie (Gallimard), je retiens quelques traits de ce qu’elle appelle « l’ébranlement de la République représentative ». À propos de l’abstention, elle note que le mal fait des ravages particulièrement parmi les jeunes de 19 à 24 ans, dont une bonne partie n’a jamais voté. De son côté, la politiste Nonna Mayer notait que « chez les nouvelles cohortes, même diplômées, l’acte de vote devient épisodique. »

Autre symptôme de déliquescence : le délabrement des partis politiques : 45 % des personnes interrogées en France déclarent n’avoir « aucune confiance » dans quelque parti que ce soit, alors qu’en Allemagne elles ne sont que 20 % ; en Suède et en Norvège, 10 % : on voit la différence.

En revanche, nombre de Français tombent dans la fascination pour « les démocraties dites illibérales de l’Europe de l’Est ». Les élections, qui sont la base de la démocratie représentative, voient désormais leurs résultats contestés.

Perte de légitimité de président de la République

Certes, la France n’en est pas au point où sont tombés les partisans de Donald Trumpaux États-Unis, mais on a vu mettre en doute l’élection d’Emmanuel Macron à la présidentielle de 2022, élu pourtant à 58 %, sous prétexte qu’il avait dû sa victoire à ceux qui voulaient faire barrage à Marine Le Pen, et non pour son programme.

Le président du Sénat a douté lui-même de sa légitimité sur une radio publique. Comme le rappelle l’auteure, Mitterrand en 1981, Chirac en 2002 ont été considérés comme parfaitement légitimes, « quelles que fussent les intentions prêtées à leurs électeurs ».

Responsabilités des élus

À l’Assemblée, privée de majorité absolue depuis 2022, l’usage de l’article 49-3 a été dénoncé comme un « vice démocratique ». Alors que le même article, justement créé afin d’éviter les effets d’obstruction parlementaire et les crises ministérielles que l’on avait connues sous la IVe République, avait été utilisé précédemment à 28 reprises sans provoquer de réaction.

Et que dire d’un débat sur les retraites où l’on vit, d’une part, les députés LR rejeter un projet qui était le plus proche de leurs idées et, d’autre part, un groupe LFI organiser une obstruction systématique au point qu’ « à peine deux articles avaient été adoptés à la suite de débats qui tenaient plus des invectives et des injures que de l’échange d’arguments. »

Car les élus ont leur part dans le dérèglement des institutions. Que dire de ce président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, qui affirme, le 5 octobre 2023, qu’il n’appliquerait pas la loi « climat et résilience », régulièrement votée, et qualifiée par lui de « ruralicide » ? Le 23 décembre 2023, des élus locaux de gauche annonçaient qu’ils n’appliqueraient pas certaines dispositions de la loi sur l’immigration et l’intégration. L’obéissance à la loi, fondement d’un État de droit, est devenue facultative.

La haine remplace l’argumentation

C’est aussi par la rue que la loi est contestée. Le fait n’est pas nouveau, mais il s’est amplifié. Les manifestants, censés incarner « le peuple », battent le pavé, hissent des pancartes, et n’hésitent souvent pas à user de la violence — « seule façon », disait un Gilet Jaune, de « se faire entendre ». Dans la rue, mais aussi à l’Assemblée, et plus encore sur les réseaux sociaux la haine remplace l’argumentation.

Emmanuel Macron fait l’objet d’une hostilité haineuse de la part d’une grande partie de ses compatriotes. Sa supériorité « énarchique » défie la passion de l’égalité. Mais la personnalité du Président n’est pas seule en cause ; avant lui, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont connu l’impopularité extrême. La fonction même du président de la République entre en cause : il fait tout, tout dépend de lui, tout converge vers lui, et il devient par là même la cible de tous les plaignants, de tous les frustrés, de tous les écorchés de la vie.

Cette haine, écrit Dominique Schnapper, s’est généralisée dans l’espace publique : « La haine à l’intérieur du monde politique entre le personnel politique et les citoyens, entre les citoyens eux-mêmes, détruit à long terme le parlementarisme et la politique démocratique. »

Retrouver le sens de l’intérêt général

Pour refonder une démocratie véritable, on aura besoin de retrouver un certain nombre de ses principes aujourd’hui oubliés. Le service de l’intérêt général, la pratique de la négociation et du débat au lieu des affrontements négatifs et stériles, le sens du compromis nécessaire, le respect des institutions et de la loi, la connaissance des limites contre la radicalité des extrêmes, bref nous avons besoin d’un retour à une citoyenneté responsable.

Il ne s’agit pas de rêver d’un monde sans conflits, seuls les régimes dictatoriaux et totalitaires peuvent s’en targuer. C’est l’honneur de la démocratie d’admettre en son sein les contradictions, les désaccords, les oppositions, mais selon des règles qui permettent leur solution pacifique. La démocratie n’est et ne sera jamais achevée ; on peut du moins s’efforcer d’y tendre au mieux.

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