
LE MANQUE D’AMBITION DE LA FRANCE
Dans un rapport publié ce mardi, plusieurs ONG pointent ce qu’elles considèrent comme un manque d’ambition de la France concernant la taxe sur les transactions financières. Elles préconisent un élargissement de cette taxe et la clarification de zones d’ombre.
ARTICLE – L’élargissement de la taxe sur les transactions financières remis sur la table avant les législatives
latribune 25 Juin 2024
Imposée en 2012 dans le sillage de la crise financière de 2007-2008, la taxe sur les transactions financières venait alors frapper les ventes d’actions d’un impôt de 0,2%, avant de passer à 0,3% en 2017. (Crédits : Reuters)
Voilà un sujet qui revient sur la table plus de dix ans après sa mise en place. Ce mardi, plusieurs ONG ont publié un rapport critiquant le manque d’ambition et les zones d’ombre de la taxe sur les transactions financières (TTF) appliquée en France. Imposée en 2012 dans le sillage de la crise financière de 2007-2008, la taxe sur les transactions financières venait alors frapper les ventes d’actions d’un impôt de 0,2%, avant de passer à 0,3% en 2017.
« On a un super impôt qui pourrait rapporter énormément », a relevé Gunther Capelle-Blancard, économiste et auteur d’un rapport sur le sujet, à l’occasion d’une conférence de presse menée avec plusieurs ONG dont Oxfam, Global Citizen, Action Santé Mondiale et ONE. Malgré cela, « on se rend compte que cette taxe rapporte beaucoup moins» qu’elle le pourrait, poursuit-il.
La France a perçu 1,8 milliard d’euros issus de cette taxe en 2022, pour un volume de transactions sur les actions françaises évalué à 4.000 milliards d’euros selon le rapport. Ce rendement représente « un taux d’exemption de 85% » des transactions, selon les calculs de Gunther Capelle-Blancard.
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L’urgence d’un élargissement de la TTF est d’autant plus grande, selon les ONG, que l’aide au développement, qui bénéficie du fruit de cette taxe, a fortement reculé l’an dernier, de 11% selon les dernières statistiques de l’OCDE. « Ce n’est pas compréhensible de laisser de tels trous dans la TTF et en même temps de couper l’aide au développement », a regretté Friederike Röder, vice-présidente de l’ONG Global Citizen.
Elargir et clarifier
Concernant l’élargissement, il s’agirait d’étendre cette taxe à des opérations d’achats et de ventes d’actions réalisées dans la même journée, appelées « intra-day » et jusqu’ici exemptées, ainsi qu’aux opérations de trading à haute fréquence (HFT). La France devrait sauter le pas, insistent les ONG, estimant que le rendement, en mettant bout à bout les mesures proposées dans le rapport, pourrait gonfler de trois milliards d’euros par an.
La façon dont cet impôt a été mis en place souffre aussi de zones d’ombre, selon le rapport, en raison du mode de recouvrement, confié à l’époque à Euroclear France, la filiale d’un organisme international de dépôts de fonds établi en Belgique. Or il est difficile d’obtenir des détails sur le fonctionnement du recouvrement, a regretté Gunther Capelle-Blancard, fustigeant un système « complètement opaque », une collecte basée sur les déclarations des acteurs du marché, et le fait que l’organisme réalise des intérêts sur la conservation de cet impôt avant son versement au Trésor public. Le rapport préconise de confier la collecte de l’impôt à la Direction générale des finances publiques avec l’aide de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Sollicité lundi par l’AFP, le ministère de l’Economie n’a pas réagi au rapport. Euroclear affirme pour sa part à l’AFP qu’il « n’intervient qu’en tant qu’organe collecteur de la taxe sur les transactions financières, selon des modalités définies par les autorités fiscales par décret », ajoutant que « selon ce protocole, nous ne pouvons prendre en considération que les transactions qui nous sont déclarées par les participants ». L’organe de contrôle a aussi démenti les informations du rapport selon lesquelles il aurait réalisé 4,2 millions d’euros de recettes d’intérêts en 2022, les évaluant plutôt à 322.000 euros.
Une mesure portée par la gauche et une partie de la macronie
La publication du rapport survient en pleine campagne des législatives en France, « On va présenter nos rapports aux partis républicains», a par ailleurs affirmé l’ONG Oxfam au cours de la conférence de presse, tout en affirmant exclure le Rassemblement national des partis concernés. La question d’un élargissement de cette taxe est pourtant plusieurs fois apparue dans le débat public, mais a échoué sur fond de craintes pour l’attractivité de l’industrie financière française.
Mais aujourd’hui, la coalition de gauche du Nouveau Front populaire (NFP) propose une « taxation renforcée des transactions financières », dont le rendement a été évalué par les économistes Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte et Eluse Huillery dans une fourchette de 2 à 6 milliards d’euros supplémentaires. Une mesure partagée par une partie des élus de la majorité présidentielle. « Bercy n’écoute pas assez les parlementaires », se plaignait Ludovic Mendes (Renaissance) en mars, en militant pour élargir « l’assiette de la taxe sur les transactions financières » en France. « L’erreur ce serait de se dire, on a un dogme, celui de ne pas toucher aux impôts », avait ajouté à la même époque un proche du président Macron. « Si vous ne montrez pas que les gens les plus riches, dans un moment difficile, contribuent, c’est un danger supplémentaire. Et ce ne sera pas la majorité qui va en tirer les bénéfices, mais (Marine) Le Pen. »
Emmanuel Macron a de son côté dit souhaiter une taxe à l’échelle européenne lors de son discours de la Sorbonne de 2017, puis lors d’un discours plus récent sur l’Europe, dans les cartons européens depuis des années mais jamais mise en place faute d’un accord. Il avait réitéré en avril dernier en affirmant que l’Union européenne doit avoir « des ressources propres supplémentaires (mais) sans jamais peser sur les citoyens européens» et appelant « à davantage mobiliser l’investissement privé et nos capacités de financement privé ». « Il faut se donner douze mois » pour mettre en place le projet d’Union des marchés de capitaux, avait-il ajouté.