
EUROPE 2040 : DE L’EUROPE DES MARCHÉS À L’EUROPE PUISSANCE
EUROPANOVA VIENT DE REPUBLIER DEUX ARTICLES du Président d’EuropaNova, Guillaume Klossa,
Ils traitent de la puissance européenne, menacée par la montée des extrêmes.
Dans le premier article, Guillaume Klossa s’est entretenu avec Sauvons l’Europe et a exposé son point de vue sur la polarisation du débat politique, et son danger pour l’UE.
C’est également le sujet de sa tribune, lancée par La Croix. La montée du RN en France pourrait bloquer toute initiative de celle-ci au sein de l’Union européenne. L’avancée de l’UE serait désavantagée par l’arrivée au pouvoir du nationalisme en France, pays fondateur.
Guillaume Klossa. président d’EuropaNova et du Conclave est l’ancien conseiller spécial sur l’intelligence artificielle du président de la Commission européenne. Ancien sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe au Conseil européen, il a dirigé l’Union européenne de Radiotélévision et est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de technologie.
ARTICLE 1. – Sauvons l’Europe, « L’Europe puissance est à portée de main, nous avons besoin d’une coalition des proeuropéens pour la saisir »
26 juin 2024
Les noms proposés pour les principaux postes européens au prochain Conseil européen de cette semaine sont tous des partisans de la transformation de l’UE en puissance. Vous avez fortement mis en avant cette vision dans le rapport « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui. Co-construire une puissance globale, durable et responsable » du Conclave que vous avez présidé. Quels sont aujourd’hui les enjeux et perspectives ?
Nous vivons une accélération de l’Histoire sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale caractérisée par une concurrence croissante et violente entre les Etats-Unis et la Chine qui, les uns comme l’autre, visent au leadership géopolitique, technologique et scientifique et considèrent l’Europe comme leur terrain de jeu, même s’il n’y a pas d’équivalence entre les Etats-Unis, notre partenaire stratégique, et la Chine, notre principal rival systémique. Une majorité de chefs d’Etat et de gouvernement considère désormais, et les travaux du Conclave ont pu y contribuer, que la seule manière d’éviter d’être pris en étau entre les deux superpuissances est de transformer rapidement l’Union européenne en une puissance globale, durable et responsable, capable de porter une vision propre du monde, de s’affirmer géopolitiquement, de reprendre le leadership technologique, scientifique et industriel, de produire des biens communs notamment en matière de Défense, de sécurité, de climat et d’énergie qu’aucun Etat-Membre n’est capable de produire seul et d’être à l’avant-garde de la démocratie.
Cette transformation est essentielle pour permettre aux Européens de mettre au fin au décrochage économique des dernières années et pour construire une croissance forte et durable avec des emplois bien mieux rémunérés, permettant d’offrir des perspectives positives à nos enfants et petits-enfants et de mettre fin au sentiment de déclassement qui nourrit les angoisses et favorise les votes radicaux. Les enjeux sont donc majeurs et la perspective claire.
Le Conseil européen des 27 et 28 juin prochains doit normalement acter d’un programme de travail pour les cinq ans qui viennent, qui va dans le sens d’un agenda de puissance. Les dirigeants des Vingt-Sept doivent également se mettre d’accord sur les personnalités qui vont incarner cet agenda de puissance : Ursula Von der Leyen, Antonio Costa et Kaja Kallas, dont les noms circulent pour les présidences de la Commission et du Conseil européen et le poste de Haut-représentant, ont tous les trois une culture de puissance et sont des personnalités remarquables. Ce sont en outre des personnalités proches de la France.
Les résultats des Législatives peuvent-ils avoir un impact sur cette dynamique de transformation de l’Union ?
La France est le pays fondateur qui porte le mieux cette vision, elle a un rôle essentiel d’impulsion. Elle a joué et continue à jouer aujourd’hui un rôle majeur pour faire converger les Etats-Membres autour d’un agenda de puissance pour l’UE, c’était d’ailleurs l’objet des deux discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron. Nous sommes aujourd’hui à portée de main de l’Europe puissance souhaitée depuis le Général de Gaulle, mais cette vision a besoin de la force motrice de la France pour se réaliser et, pour cela, un gouvernement proeuropéen en France est indispensable.
Tout gouvernement dirigé par un extrême réduirait automatiquement l’influence de la France en Europe : regardez comment l’Italie de Meloni, alors même qu’elle pilote un gouvernement de coalition, rame pour se faire entendre. Pire, dans une Union européenne où beaucoup de décisions se prennent dans la pratique à l’unanimité même quand elle n’est pas requise, le nouveau gouvernement, s’il le souhaite pourrait bloquer la prise de décision européenne et retarder la transformation de l’Union en puissance. La conséquence serait une accélération du déclin du continent européen contre l’intérêt des Français et plus généralement des européens. Cela induirait également un risque de ressentiment à l’égard des Français au sein de l’Union, ce que personne ne peut souhaiter. Quand le ressentiment renaît, la guerre redevient possible.
Le chaos français résulte pour partie d’une polarisation absolue des positions politiques. Comment en est-on arrivé là ?
Dans une époque de bouleversements majeurs avec un rééquilibrage géopolitique rapide et une révolution numérique qui remet en question les repères traditionnels, la polarisation s’observe aujourd’hui partout dans le monde. Elle est plus forte dans les régimes de type présidentiel ou semi-présidentiel n’ayant pas ou ayant une faible culture de coalition. Elle se trouve en outre accrue à l’heure des réseaux sociaux. Un pays comme la France est donc prédisposé à la polarisation des positions politiques. Emmanuel Macron n’est donc pas comme certains l’affirme LA cause de la polarisation française. Force est de constater que l’ensemble des partis politiques français ont des responsabilités dans l’accentuation rapide de la polarisation de l’échiquier politique. Le Rassemblement National comme LFI ont des stratégies affichées de polarisation avec une expertise en matière de réseaux sociaux qu’il faut souligner. Renaissance s’est sans doute trop longtemps positionné comme le rempart progressiste face aux nationalistes tandis que les Républicains, les Socialistes et les Verts n’ont pas réussi à renouveler leur projet politique et se sont trouvés écartelés entre le centre et les extrêmes.
Il est difficile de lire les résultats électoraux à venir dans la forme des nuages, mais aucune majorité claire ne semble se dessiner. Comment sortir de cette crise ?
Soit un parti et ses alliés obtiennent une majorité relative très forte ou absolue. En l’état actuel, le RN semble le seul parti en mesure d’y parvenir. Soit, il faudra qu’une coalition émerge. Mon souhait, c’est que les pro-européens de tous les partis s’unissent depuis les Républicains en passant par l’actuelle majorité présidentielle jusqu’aux Socialistes et aux Verts. Je regrette qu’ils ne l’aient pas fait en amont du début de la campagne.
Dans ce moment de péril pour toutes nos valeurs communes, on entend peu les grandes voix européennes. Pourquoi, alors que vous prenez la parole, un tel silence ?
Je le regrette d’autant que si les élections européennes en France ont essentiellement porté sur des questions nationales et qu’elles n’ont eu que peu d’impact sur les équilibres au Parlement européen, la coalition PPE (dont sont membres les LR) – S&D (PS) et Renew (Renaissance) devrait être reconduite avec une majorité absolue confortable. Ces élections législatives peuvent avoir un impact majeur et très négatif sur la dynamique européenne et l’influence de la France en Europe. Un engagement clair et courageux des grandes voix européennes est donc essentiel.
Comment jugez-vous le bilan de la Commission notamment sur la dimension numérique et industrielle, eu égard au rapport sur la souveraineté numérique européenne que vous aviez remis au président Juncker et au vice-président Ansip en 2019 alors que vous étiez conseiller spécial de la présidence de la Commission ?
Le bilan de la Commission est globalement bon, elle a eu à gérer une accumulation de crises majeures sans précédent avec la mise en œuvre du Brexit, la pandémie et la guerre. Elle a su faire preuve de créativité, d’innovation et de souplesse. Le plan de relance, le programme de vaccination, la lutte contre le développement d’un chômage structurel ou encore le soutien à l’Ukraine sont des résultats remarquables qu’on lui doit en grande partie avec une France qui a joué sur ces sujets un rôle d’impulsion majeur. Elle a également fait progresser la stratégie d’autonomie stratégique de l’Union dans la droite ligne de la déclaration de Versailles adoptée sous présidence française du Conseil de l’UE. Je me réjouis notamment de la régulation des plateformes numériques avec le DSA et le DMA dans la lignée du rapport que j’ai remis à la Commission et qui s’inscrit dans une perspective de souveraineté européenne.
Je regrette en revanche qu’il n’y ait pas eu de stratégie industrielle en matière d’intelligence artificielle, ni la mise en place des quatorze écosystèmes industriels sectoriels qu’avait pourtant annoncée le commissaire Breton et pour lesquels je me suis beaucoup mobilisé. Ils devaient favoriser une meilleure coopération entre la recherche et le monde industriel, condition d’une re-industrialisation à forte valeur ajoutée économique et créatrice d’emplois bien rémunérés et nombreux. Le symposium « dernier appel pour ré-industrialiser l’Europe » qu’EuropaNova et l’institut Polytechnique ont organisé le 14 juin avec les acteurs clés de la Recherche et de l’innovation du continent a confirmé la nécessité et l’urgence de cette approche écosytémique. Dernier regret, le Green Deal n’a pas à mon sens suffisamment associé les parties prenantes, mais la tâche était difficile. La nouvelle Commission pourra y remédier.
ARTICLE 2. – « En France, les extrêmes pourraient empêcher la transformation de l’UE en puissance »,
27 juin 2024
Les résultats des élections législatives en France pourraient bien impacter l’avenir de l’Union européenne s’inquiète Guillaume Klossa, président d’EuropaNova. Selon lui, les deux extrêmes de l’échiquier politique pourraient empêcher la transformation nécessaire de l’Union en puissance.
Au sortir du 9 juin, c’est la coalition PPE-S&D-Renew Europe rassemblant au sein de l’assemblée strasbourgeoise la droite, les socialistes et les centristes, qui a toutes les chances d’être reconduite dans la mesure où elle a obtenu une confortable majorité absolue au Parlement européen aux dépens des forces d’extrême droite et de droite radicale dont les gains sont en fait beaucoup plus limités qu’annoncés.
Certes le parti de Marine Le Pen a gagné des sièges au Parlement européen, mais pas suffisamment pour compter ni se faire entendre, d’autant que toute entente avec Giorgia Melonisemble improbable tant les positions de Madame Meloni sont à l’opposé de celles du parti de Jordan Bardella. La présidente du Conseil italien est ainsi en faveur du plan de relance, du soutien à l’Ukraine, du renforcement de l’Otan, du pacte migratoire européen qu’elle considère comme efficace pour limiter l’immigration illégale.
Victoire pour Macron
Le résultat de la coalition en place au sein du Parlement européen est paradoxalement une victoire pour Emmanuel Macron : ce sont les priorités stratégiques qu’il a proposées pour l’Union européenne en matière de renforcement de la souveraineté de l’Union et de transformation de l’Union en puissance globale capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine dans la droite ligne voulue par le général de Gaulle qui devraient être au cœur de l’agenda stratégique que les chefs d’État et de gouvernement doivent adopter lors du Conseil européen de jeudi et vendredi.
Cet agenda définit le cadre du programme de travail du Parlement européenet de la Commission pour la période 2024-2029. Ce sont aussi les personnalités sur lesquelles il s’est mis d’accord avec le chancelier allemand Scholz et le premier ministre Tusk pour les postes de président de la Commission, du Conseil européen et de haut représentant qui devraient être choisies par ce même Conseil européen des 27 et 28 juin et qui ont toutes trois la particularité de porter un agenda politique en accord avec l’affirmation de l’Europe puissance dont l’avènement est plébiscité de longue date par une large majorité de français toute tendance politique confondue. Ce sont aussi des personnalités proches de la France.
Europe puissance
Pour que cet agenda d’Europe puissance voie le jour – sur lequel s’accorde enfin une majorité de chefs d’État et de gouvernement confrontés à la réalité de la guerre –, au risque de désengagement américain dans la foulée d’une élection de Donald Trump et à la concurrence frontale entre les États-Unis et la Chine qui font de l’Europe leur terrain de jeu, un gouvernement proeuropéen en France est indispensable. En effet, ces partis se situant aux deux extrêmes de l’échiquier politique national ont un agenda contraire à cette ambition de transformation de l’Union en puissance alors que Madame Meloni y est favorable et que Viktor Orban, s’il critique le renforcement de l’Union, ne s’y oppose pas dans la pratique tant il est convaincu que l’intérêt de son pays est de pouvoir peser sur l’Europe la plus forte possible.
Pour lui comme pour Madame Meloni, l’Europe permet d’augmenter la puissance de leur pays tant au niveau national qu’au niveau européen et international mais aussi de mieux résister aux crises d’un monde en bouleversement. Il n’y a qu’au Rassemblement National et chez LFI que l’on pense le contraire. Dans la fatigue, tout gouvernement dirigé par un extrême réduirait automatiquement l’influence de la France en Europe : il suffit de regarder comment l’Italie de Meloni, alors même qu’elle pilote un gouvernement de coalition, rame pour se faire entendre.
Union des proeuropéens
Pire, dans une Union européenne où beaucoup de décisions se prennent en réalité à l’unanimité même quand celle-ci n’est pas requise, le nouveau gouvernement pourra aisément, s’il le souhaite, bloquer la prise de décision européenne et retarder l’urgente transformation de l’Union en puissance. La conséquence serait une accélération du décrochage du vieux continent contre l’intérêt des Français et plus généralement des Européens. Cela induirait également un risque de ressentiment à l’égard des Français au sein de l’Union, ce que personne ne peut souhaiter. Quand le ressentiment renaît, la guerre redevient possible.
Dans un tel contexte, il serait souhaitable que les proeuropéens de tous les partis s’unissent, depuis Les Républicains en passant par l’actuelle majorité présidentielle, jusqu’aux socialistes et aux Verts. Il est regrettable qu’ils ne l’aient pas fait en amont du début de la campagne législative. Le vote du 1er tour conditionnera la possibilité d’un gouvernement proeuropéen et pourrait déterminer l’avenir de l’Union.