
PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE
« Les démocraties sont menacées dans leur existence par la guerre que mène Vladimir Poutine en Ukraine, soutenu par les gouvernements de la Chine, de la Corée du Nord, de l’Iran, de l’Inde et de la Turquie, unis par une commune détestation de l’Occident, c’est-à-dire de la démocratie, et par la volonté de détruire celle-ci.
Les démocraties trouveront-elles en elles-mêmes la volonté de se défendre ? Ne sont-elles pas fragilisées par leur propre dynamique ?
La critique interne de la démocratie est aussi vieille que la démocratie elle-même. Sa légitimité ne repose ni sur la tradition, ni sur la nature, ni sur une référence transcendantale, mais sur les pratiques de ses membres. Ceux-ci s’interrogent sur les écarts qu’ils observent entre les réalités sociales et les principes affichés. Inévitablement, ils jugent la démocratie, au nom de ses propres valeurs, comme pas assez démocratique ou comme trop démocratique.
L’idéal de citoyens libres et égaux traitant rationnellement des affaires communes n’est jamais et ne peut jamais être pleinement réalisé. Et l’aspiration à la liberté et à l’égalité risque en permanence d’être dévoyée par le refus des limites et du contrôle. On peut craindre que les démocraties ne soient à ce double titre menacées de délitement.
Cette interrogation inquiète sur les insuffisances et les excès possibles de la démocratie « extrême » ne date pas du XXIe siècle mais, dans le monde d’aujourd’hui, elle se pose avec une acuité particulière. »
ARTICLE – «Les désillusions de la démocratie»: Haro sur les démocraties
Publié le 6 juillet LE DEVOIR. Ismaël Houdassine
L’avenir de nos démocraties n’aura jamais été autant en péril, le péril venant aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. Alors que des régimes dictatoriaux puissants comme la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et la Turquie se liguent dans une haine mortifère de l’Occident, nos institutions démocratiques sont également menacées par des groupes politiques radicaux de gauche comme de droite. Dans son nouvel essai exigeant, mais captivant de bout en bout, Les désillusions de la démocratie, la sociologue française Dominique Schnapper se penche sur cette double conjoncture qu’elle juge très inquiétante pour la pérennité des sociétés dites libres. Celles-ci seront-elles assez résilientes pour survivre à cette nouvelle réalité emplie de dangers existentiels ? s’interroge-t-elle.
Le titre de cet essai ambitieux fait d’ailleurs référence à l’ouvrage Les désillusions du progrès (1969) de Raymond Aron, le père de Schnapper. Le célèbre penseur, grand défenseur de la démocratie libérale face à la menace des totalitarismes, y analysait la dialectique de la modernité et de l’égalité. Sa fille — membre honoraire du Conseil constitutionnel français — poursuit en quelque sorte la réflexion, en explorant cette fois les limites et les répercussions d’un modèle qui a du mal à tenir ses promesses.
Parce qu’elle engendre une « frustration » inévitable, la démocratie est toujours décevante, souligne-t-elle. C’est qu’elle demeure une utopie qui porte en son sein la possibilité de sa critique, une notion d’incomplétude aussi vieille que la démocratie elle-même, rappelle l’autrice. Or l’aspiration à la liberté et à l’égalité risque en permanence d’être dévoyée par le refus des limites et du contrôle.
Selon la sociologue, l’Homo democraticus contemporain accepte de moins en moins les insuffisances de la démocratie, alors même que l’évolution va dans le sens de ses revendications, les progrès rendant les inégalités insoutenables. Ce paradoxe déjà annoncé par Alexis de Tocqueville serait la cause d’un éventuel délitement, assure Schnapper.
« C’est quand les inégalités [ou les discriminations] diminuent objectivement que celles qui demeurent — et, pour certaines, ne peuvent que demeurer — deviennent de plus en plus insupportables », écrit-elle. Le citoyen qui refuse les faiblesses des institutions finit donc par combattre la démocratie au nom de la démocratie.
Bien qu’il soit légitime de critiquer les manières dont fonctionnent les institutions, c’est leur totale remise en cause qui pose ici problème. L’autrice prend comme exemple la montée en puissance des populismes nationalistes et xénophobes, comme la possible réélection de Donald Trump aux États-Unis ou la victoire annoncée aux législatives en France du Rassemblement national, parti d’extrême droite.
En parallèle, l’autrice insiste sur les dérives d’une démocratie qu’elle qualifie d’extrême (wokisme), celle-ci nourrissant des « revendications sans limites ». Pour éviter le pire, Dominique Schnapper en appelle à la raison et à cette « nécessité du respect des principes démocratiques ».