
MISE À JOUR DU 20/07/24
La démocratie française sous tension : regards croisés et interrogations.
Extrait de notre publication : DÉMOCRATIE FRANÇAISE EN CRISE (2) : AUTORITARISME ET RÉSISTANCE CITOYENNE
PRÉCÉDENTE PUBLICATION : https://metahodos.fr/2024/06/30/79848/
La démocratie repose sur plusieurs piliers : les droits et libertés individuels, l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la transparence et la responsabilité gouvernementale et la participation des citoyens.
- Les droits et libertés individuels :
Malgré la longue tradition française de soutien des droits de l’homme et de liberté individuelle, les récentes politiques ont contribué à une plus grande surveillance de la population. Les exemples en sont les mesures d’urgence pendant la pandémie de Covid et les lois antiterrorismes. Un exemple récent est la loi du 10 avril 2024 sur « la sécurité et la réglementation de l’espace numérique (SREN) inspirée du Digital Services Act européen, une réglementation fortement contestée qui est allé jusqu’à provoquer l’ire de plusieurs associations, mais aussi de la Commission européenne… ». En outre, en mars 2024, les députés ont voté une proposition de loi visant à pouvoir « réprimer des propos tenus en privé » ! De quoi soulever de sérieuses inquiétudes quant à la liberté d’expression et d’opinion en France et, – même si on s’interroge sur l’applicabilité – favoriser la défiance entre citoyens. Ces exemples soulèvent la question de la protection de la sphère privée et de la liberté individuelle. Mis en perspective avec la pensée de Hannah Arendt dans « La Condition de l’homme moderne » (1961), cela devrait « affoler » ! Dans cet ouvrage Arendt avait souligné qu’il était essentiel de protéger la sphère privée contre les intrusions du monde extérieur pour préserver la liberté individuelle. Alors que les citoyens ont commencé à se diviser sur la problématique du covid, (cf. les Vax/Les AntiVax) Les uns se traitant d’« assassins », les autres de « collabos », faisant le jeu d’un pouvoir attisant, via les médias, cette division.
- L’État de droit : Les institutions et les hommes, y compris le gouvernement lui-même, sont soumis, en France, à la primauté du droit. Cependant, des doutes ont été exprimés quant à l’indépendance de la puissance judiciaire, notamment en ce qui concerne les désignations politiques et les pressions exercées sur certains magistrats. Un cas d’école de pressions politiques sur le pouvoir judiciaire en France est l’affaire dite « des écoutes » impliquant l’ancien président Nicolas Sarkozy. En outre, l’usage fréquent de décrets présidentiels sans contrôle parlementaire pose la question du respect de l’État de droit, ainsi et pour exemple, en 2018, Emmanuel Macron a signé un décret nommant directement le procureur général près la Cour de cassation.
- La séparation des pouvoirs : Certains observateurs et intellectuels estiment que la présidence exerce une influence excessive sur les pouvoirs législatif et judiciaire en France, affaiblissant ainsi la séparation des pouvoirs. (Pierre Rosanvallon[9], Vincent Tiberj[10], Nonna Mayer[11], Camille Froidevaux-Metterie[12], Chantal Mouffe[13], Laurent Tavoillot[14], David Cervera-Marzal[15]).
- Transparence, responsabilité gouvernementale et participation citoyenne : Bien que la France dispose de mécanismes de transparence et de responsabilité gouvernementale, tels que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, des inquiétudes persistent quant à la transparence des processus décisionnels et l’accès du public à l’information. En janvier 2024, comme le pointait les Décodeurs rappelaient « Toutes les affaires qui ont touché les ministres d’Emmanuel Macron depuis 2017». « la probité » et une « République exemplaire » ! En avril 2017 ce dernier déclarait : « Le principal danger pour la démocratie est la persistance de manquements à la probité parmi des responsables politiques ».
- Participation citoyenne : la place de la participation citoyenne en France à travers l’élection, les consultations publiques, et le droit de manifester est « douteuse » pour certains. Il en est de même du système politique qui favorise les élites des citoyens. Quoique les institutions politiques soient solides, elles évoluent au bord d’un précipice. Des intellectuels Comme Yves Sintomer[16], Pierre Rosanvallon[17] et Dominique Rousseau[18]préconisent la réforme pour une démocratie plus inclusive et fortement représentative. Il reste à craindre pour l’intégrité des principes démocratiques. Il est essentiel de surveiller de près ces questions et de veiller au respect et au renforcement des principes démocratiques fondamentaux.
La démocratie française en péril : vers une escalade de la confrontation ?
Il peut être, en se référant aux faits décrits préalablement, pertinent de se demander si la France est toujours une démocratie ou n’est pas en train de glisser vers une démocratie autoritaire. Bien sûr, le pays est encore formellement une démocratie ; Cependant, les tendances autoritaires et l’intimidation des gens ordinaires sans mentionner le manque de libertés réduisent la qualité de la gouvernance et peuvent, sans vigilance, mener à un effondrement complet. Pour éviter un toujours plus de la même chose, nuisible à la démocratie, les citoyens ont des recours : les outils qui ont été décrits par Gene Elmer Sharp, Maria Stephan et Erica Chenoweth. Pourtant, la gronde est telle, le désarroi de certains compatriotes si grand (cf. les suicides d’agriculteurs) que dans ce type de situation, l’éclatement d’une confrontation violente ne peut être écartée, selon les comportements constructifs ou non des acteurs présence. Il peut suffit parfois d’une étincelle, cela peut émaner d’un acte désespéré : le 17 décembre 2010, En Tunisie, Mohamed Bouazizi, un vendeur de rue, s’est donné la mort par immolation. La mort effroyable de ce désespéré a déclenché une série de manifestations populaires contre le chômage, la corruption et le peuple en colère – depuis plusieurs semaines – s’est rebellé publiquement et ouvertement contre l’appareil autoritaire, En quelques semaines, la colère populaire s’est encore intensifiée aboutissant à la chute du régime autoritaire du président Zine El-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011. Le cadre ayant été posé… Si la dérive autoritaire est de mon point de vue avéré, tout du moins dans mon domaine d’expertise le net et ses afférents ! Nous nous éloignons pas à pas, au rythme d’une acceptation sociale « résignée », d’un mode de fonctionnement démocratique au sens strict, avec une accélération inquiétante, des assertions coercitives quasi quotidienne de l’exécutif, des lois très inquiétantes (cf. Répressions de discussions en privé) et une assemblée nationale qui, de fait, semble ne plus représenter qu’elle-même.
MISE À JOUR DU 19/7/24 :
« Le gouvernement a joué un rôle clé dans la désignation de la présidente de l’Assemblée nationale. La phrase peut provoquer une crise d’urticaire à n’importe quel étudiant en droit constitutionnel. Et pourtant, jeudi 18 juillet, dix-sept ministres ont participé, en tant que député·es, à la réélection de Yaël Braun-Pivet au perchoir. « Démissionnaires » mais toujours chargé·es des affaires courantes, Gabriel Attal et seize membres du gouvernement ont eu un rôle décisif dans la victoire de leur ancienne collègue, réélue avec treize voix d’avance. » Lit on dans Mediapart
NOUVEAU TEXTE – ARTICLE 4 – Y a-t-il un délai pour proposer un nouveau gouvernement ? Emmanuel Macron peut-il nommer le premier ministre qu’il souhaite ? Nos réponses à vos questions
DES ENTRAVES NOMBREUSES À LA CONSTITUTION, À SON APPLICATION, À SON ESPRIT – ET UN TROP PLEIN DE CYNISME ( partie mise à jour les 15/7 et 19/7 )
VOIR ÉGALEMENT LES DEUX NOUVEAUX TEXTES (15/7)
2. TRIBUNE La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution
3. ENTRETIEN- « Les ministres démissionnaires ayant toujours un pouvoir de décision et d’autorité, ne devraient pas pouvoir siéger en tant que députés »
Le PR a t il respecté l’esprit de la 5 eme République en dissolvant sur un coup de tête l’Assemblée Nationale après une sanction électorale de son camps aux européennes ? ( en déclarant qu’il « envoie une grenade dégoupillée dans les jambes … » )
A t il respecté l’application de la Constitution en refusant la démission du gouvernement et en envisageant de le maintenir avec les pleines prérogatives durant un certain temps ?
Id en envisageant de maintenir le gouvernement en charge des affaires courantes durant tout l’été ?
Id en ne désignant pas un premier ministre au sein de la formation la plus nombreuse au sein de l’Assemblée ?
Le PR n’a t il pas directement transgressé la lettre même de la Constitution qui l’obligeait à consulter le 1er ministre et les deux présidents du Parlement avant une décision de dissolution ?
N’a t il pas transgressé l’esprit de la constitution en s’adressant directement aux partis politiques pour qu’il constituent – autour du pôle minoritaire, et perdant aux élections , une majorité qui exclue les élus de LFI et RN ( et leurs millions d’électeurs ) ?
Id en fixant les conditions de la majorité et en intervenant directement dans sa constitution, outrepassant ainsi les règles du régime parlementaire
Id en appelant quelques minutes seulement après les résultats du 1er tour – en même temps ( en coordination ? ) – que LFI à un front républicain
Id, en lançant avec son camps le tous contre LFI après avoir lancé le tous contre le RN qui aura mécaniquement contribué à augmenter le nombre de députés de son camp ( sans lui donner la majorité ) et de ceux de LFI ( en en faisant – conséquence directe – le pôle le plus nombreux à l’assemblée )
Id, en participant à l’opération consistant à empêcher les députés du RN d’accéder à des postes de responsabilité au sein de l’AN, empêchant ainsi le Parlement de refléter le vote des Français
Id en ne reconnaissant à aucun moment l’échec de son camps, et ne s’adressant pas aux Français en montrant qu’il a entendu leurs attentes. ( y compris à gauche ou à droite )
En 1962, le général de Gaulle expliquait qu’un président «désavoué par le peuple» après une dissolution, que lui avait réussie à cette époque, n’avait d’autre choix que de «s’en aller».
Id, et plus généralement, en développant des bidules de démocratie participative au sort incertain et en ne respectant pas les prérogatives du Parlement, n’est il pas à contre courant des institutions ?
Id en ne faisant pas appel au référendum sur des sujets majeurs pour les Français et le Pays
Id en ne laissant pas durant les deux mandats le Gouvernement exercer pleinement ses prérogatives et tout particulièrement sous le contrôle du Parlement et avec la confiance/censure de l’Assemblée
Id, « refuser la démission du Premier ministre traduit un refus, voire un déni du résultat des élections législatives, que le Président de la République a pourtant convoqué afin de redonner la parole « au peuple souverain », afin qu’il exprime son « choix de notre avenir parlementaire par le vote », selon sa déclaration du 9 juin dernier. » J.P. Derosier
Id – il qu’il se comporte en chef de « bloc » ( nouveau vocabulaire ) politique ( Rennaissance ) pour ordonner une nouvelle majorité autour de celui-ci.
« Il peut endosser un tel rôle (de capitaine) lorsque le peuple le lui a clairement confié, après une élection présidentielle, mais non lorsque ce même peuple le lui a clairement retiré, après des élections législatives que le Président a perdues. Il ne lui appartient donc pas de définir « l’arc » dans lequel doit s’inscrire le futur Gouvernement. » analyse le constitutionnaliste J.P. Derosier.
Lors du conseil des ministres du 16 juillet,
Le président de la République a de nouveau – comme il l’avait fait dans sa lettre et au cours de la réunion des « chefs » de la feu majorité – pressé les partis politiques. « Afin que cette période s’achève le plus rapidement possible », écrit l’Élysée, « il appartient aux forces républicaines de travailler ensemble pour bâtir un rassemblement autour de projets d’actions au service des Françaises et des Français ».
Il prend donc les électeurs à témoin et renvoie deux camps face à leur responsabilité : la gauche modérée incapable de trouver un candidat pour Matignon avec les Insoumis et la droite républicaine indisposée à participer à une coalition.
Id, devant tirer à la fois les leçons de l’élection et évaluer la crise politique et institutionnelle créée par la dissolution, le PR ne présente aucune nouvelle gouvernance ni éventuelle réforme permettant de sortir du chaos qu’il a créé
Id en convoquant ses ministres pour les réprimander et les relancer sur la constitution d’une majorité, alors que le nouveau gouvernement devrait déjà être en cours de constitution ( rappelons que les élus Renaissance semblent pourtant majoritairement refuser l’autorité et l’inspiration du PR ) Il sort là de son rôle d’arbitre pour endosser celui de capitaine, et sort ainsi de ses prérogatives dans d’un régime parlementaire et singulièrement de celui de la Vème République
« en cherchant à jouer un rôle actif dans la composition du futur Gouvernement et la création d’une nouvelle coalition, il exerce une mission qui va au-delà de « la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution », à laquelle il se doit de revenir car, l’article 5, le charge également de veiller sur son respect. » J.P. Derosier
Id en avertissant qu’il n’envisage pas de démissionner et disant ainsi qu’il reste aux commandes ( y compris pour la constitution d’une majorité au sein de l’Assemblée ou pour la présidence du groupe Renaissance – qui n’a pas retenu le candidat qu’il a soutenu)
« Le seul siège qui existe jusqu’en 2027, c’est le mien » a t il indiqué à ses ministres.
Id en ne renonçant jamais avec un style centralisé et vertical au détriment de la fonction principale du PR : Arbitre au dessus des partis et garant de la sécurité et de la concorde.
Id quand il joue avec le Parlement et l’Etat de droit, en faisant voter des dispositions de la loi immigration qu’il savait, éclairé par le C. D’Etat, qu’elles seront censurées par le C. Constitutionnel… et de s’en féliciter.
Id lorsqu’il détournait régulièrement le Conseil de Sécurité pour, à la fois, agir dans le domaine relevant strictement du gouvernement et éviter toute transparence sur les o du jour, délibérations et décisions ( pandémie )
Id lorsque les ordres du jour des conseils des ministres ne sont pas publiés et que les comptes rendus sont incomplets ( l’exécutif a ainsi pu prétendre à posteriori qu’un sujet avait été évoqué… car cela était un préalable nécessaire )
Id pour l’absence d’une gouvernance équilibrée ( prise en compte des parties prenantes de la Nation ) associée à l’absence de tout management ( considération, respect, travail d’équipe…). Citation d’un proche : « Il nous a fascinés, nous a charmés. On y a cru pendant sept ans et on a reçu du mépris en retour, souffle un soutien de la première heure. Macron est cramé. » Le président, tout-puissant pendant un septennat, a perdu toute autorité sur ses troupes. Un ministre ajoute : « Aujourd’hui, l’Élysée n’existe plus. »
« Pourquoi Emmanuel Macron n’aime plus ses ministres et ses députés » à titré l’Opinion qui poursuivait : Au bout de sept ans, le Président est las de son camp qu’il juge installé dans un confort factice. Il a voulu les renvoyer sur le terrain pour qu’ils retrouvent du jus ou qu’ils y laissent leur peau. »
« Emmanuel Macron aurait-il utilisé une bombe H pour frapper une mouche? Autrement dit, dissous l’Assemblée nationale pour secouer l’apathie de ses ministres et de ses députés, les forcer au combat ? Au bout de sept ans de pouvoir, le Président est las de son camp. Il le trouve installé dans un confort factice, sans énergie et sans ressort. Il s’irrite de ces députés, de ces ministres qui cassent du sucre sur son dos, oublieux, les ingrats, de qui les a faits. » y a t il manager plus deviant ?
Et plus grave , au moment où la crise créé par lui est à son maximum : aucun signe du PR dans le sens d’une gouvernance et d’un management renouvelés alors qu’il faudra bien tenter de sortir le pays du chaos
Id lorsqu’il annonce la nécessité d’augmenter ( doubler ) le budget des armées alors qu’il ne désigne pas un nouveau gouvernement qui sera en charge de préparer le budget 2025 ( procédure qui a déjà pris du retard. Rappel, seul le gouvernement dispose du pouvoir budgétaire.
Id sur un autre point à propos duquel M. Macron n’entend rien céder est celui de l’aide à l’Ukraine. « La Russie ne doit pas gagner », a-t-il martelé. La poursuite de ce soutien se fera « sans céder aux intimidations » et « avec l’ambiguïté stratégique nécessaire face à un adversaire qui ne connait aucune limite », a-t-il ajouté, en faisant une allusion au possible envoi de troupes sur le sol ukrainien pour y assurer des missions de formation et/ou de logistique. Là encore, le PR doit composer avec un futur gouvernement sans lequel un envoi de troupes n’est pas possible
Concernant la compétence du gouvernement pour l’établissement du budget, en temps normal, la préparation budgétaire commence véritablement auprintemps, lorsque la direction générale du Budget négocie avec les ministères pour fixer les montants des crédits et les emplois qui pourront leur être alloués pour remplir leurs missions. Puis,à l’été, les ministres reçoivent les « lettres plafond » qui fixent leurs dépenses pour l’année suivante.
Ce calendrier débouche, début octobre, sur la présentation du budget de l’État pour l’année à venir. Le projet de loi finances doit être promulgué avant le 31 décembre pour entrer en application dès le 1er janvier 2025.
Sans gouvernement légitime, le processus est bloqué. Comment pourra t on respecter le délai de dépôt du PLF, fixée par la LOLF, au mardi 1er octobre , alors que l’on s’oriente vers un nouveau gouvernement jusqu’à fin septembre ?
Id lorsqu’à l’occasion de plusieurs grandes protestations des Français, il a promis – sans jamais le faire – de tirer les leçons des événements, des changer lui – même et d’en tirer les conséquences pour les politiques publiques
Id pour le choix de la France dans les responsabilités d’exécutif européennes – PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ET COMMISSAIRE FRANÇAIS qu’il impose – alors que rien dans la Constitution française n’indique clairement qui doit nommer les commissaires européens, il s’agit en toute logique d’un choix de l’exécutif, il ne s’agit pas en effet de politique étrangère qui elle est considérée – sans fondement de droit – comme un domaine réservé du président.
Id en instaurant avec le bloc Renaissance une répartition des postes à l’Assemblée nationale : sur une ligne « ni RN, ni LFI » en rejetant ainsi les députés élus démocratiquement par des millions d’électeurs ( près de 13 millions ) : il s’agit bien là d’une attitude et d’une action a-démocratique
Id en intervenant dans l’élection du président du groupe Renaissance, en soutenant un candidat finalement pas élu. Une telle interférence avec les tractations politiciennes n’est pas conforme à la fonction présidentielle
« Le lundi 8 juillet, lit on dans l’Express, Emmanuel Macron donne ses consignes aux dirigeants de son parti, Renaissance : « On ne bouge pas au groupe. Il faut laisser Sylvain Maillard président jusqu’en septembre. » Autour de la table élyséenne, personne ne contredit le chef. Mais dès qu’il a pris son avion pour se rendre au sommet de l’Otan à Washington, l’histoire s’accélère. Sans lui. Gabriel Attal passe à l’offensive et cinq jours plus tard, il est élu à la tête du groupe. « A la hussarde », regrette l’Elysée. »
« L’élection de deux vice-présidents estampillés macronistes au groupe Ensemble pour la République – poursuit l’Express – est saluée comme une victoire de l’Elysée. « Attal a forcé la présidence du groupe, mais il ne maîtrise pas tout le groupe », note aussitôt un macroniste.
« L’élection des présidents de groupe est liée au statut des groupes. La règle de base, c’est que le président doit être député, c’est là où il y a un problème. Une fois que le Premier ministre sera démissionnaire, théoriquement il pourra siéger. Ce serait une sorte de député qui fait office de ministre. » B. Morel
« Les ministres démissionnaires ayant toujours un pouvoir de décision et d’autorité, ne devraient pas pouvoir siéger en tant que députés. Tant qu’il n’y a pas eu de passation de pouvoir, le ministre démissionnaire est encore ministre et ne peut pas être parlementaire. C’est ce qui justifie qu’en 2022, Yaël Braun-Pivet ait démissionné du gouvernement et que ses compétences de ministre des Outre-mer aient été confiées à la Première ministre, afin qu’elle puisse être candidate à la présidence de l’Assemblée nationale. Mais cette interprétation stricte est contredite par un précédent qui s’est déroulé pendant le gouvernement de Michel Rocard, en 1988. « …
« Ce qu’il s’est passé en 1988 est vraisemblablement ce qui va se passer cette fois-ci, même si ce n’est pas du tout la même situation qu’en 1988, où on savait que Michel Rocard allait retourner très vite à la tête du gouvernement – en vingt-quatre heures. Ce qui pose question pour Gabriel Attal : où siégera-t-il ? Au banc des députés comme président de groupe ou au banc des ministres ? Là, il y a un réel dysfonctionnement. « J.P. Derosier
« Une fois que le Premier ministre sera démissionnaire, théoriquement il pourra siéger. Mais c’est une façon de torturer le droit. Parce que la Constitution de la Ve République est vraiment écrite et pensée pour empêcher le cumul de la fonction de ministre et du mandat parlementaire. C’est quelque chose auquel Charles de Gaulle tenait énormément parce qu’il jugeait que cela représentait un risque d’instabilité. » …
« Juridiquement ça peut tenir, mais ça pose de gros problèmes démocratiques et d’équilibre du régime. Déjà parce que les ministres démissionnaires ont toujours un pouvoir, pour appliquer des mesures déjà décidées, et en appliquer d’autres en cas d’urgence. De plus, et c’est le plus dangereux, on ne peut pas déposer de motion de censure contre un gouvernement démissionnaire. » B. Morel
Id sur bien d’autres points,
On citera notamment le refus – en s’opposant à l’application de la loi – de communication des marchés publics mis en œuvre pour des prestations intellectuelles.
Ou encore la violation de l’Etat de droit dans la désignation de la présidente du château de Versailles
Ou – lors des Conseils des ministres qui se sont réunis depuis la dissolution – d’un nombre exceptionnellement important de nominations à des postes majeurs
UNE DÉRIVE A-DÉMOCRATIQUE AVEC UN AFFRONTEMENT DES DEUX PRINCIPAUX GROUPES ISSUS DES URNES
« Emmanuel Macron semble en tout cas “se diriger vers un affrontement potentiellement explosif avec la gauche, en particulier avec La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon”, “qu’il ne considère pas comme faisant partie des ‘forces républicaines’”, décrypte le New York Times. Pour le quotidien américain, cette missive, publiée dans la presse régionale, “semble contenir les germes d’une dérive et d’une confrontation possibles, dans la mesure où son interprétation du résultat des élections est loin d’être universellement, voire largement, partagée”. » lit on dans Courrier International
2. ENTRETIEN -« Tous les codes de la Ve République semblent oubliés »
Arnaud Teyssier – Propos recueillis par Isabelle Vogtensperger – Publié le 12/07/2024 MARIANNE
Pour l’historien Arnaud Teyssier, les codes de la Ve République semblent être oubliés, à la faveur d’un retour à la IVe, régime des partis et des combinaisons de circonstances, des demi-mesures, et de l’impuissance nationale.
Face à l’état de confusion dans lequel les élections législatives ont jeté le pays, il se pose la désormais fameuse question : qu’aurait fait le général de Gaulle en pareille situation ?
Marianne : La logique des désistements de l’entre-deux tours et la représentativité de l’opinion qui en a découlé, vous semblent-elles relever d’un bon fonctionnement des principes républicains, comme cela a été invoqué, ou bien de l’accroissement d’une logique illibérale et antidémocratique, comme l’a expliqué Dominique Reynié ?
Arnaud Teyssier : On peut contester la sincérité de tel ou tel responsable politique, ou déplorer le caractère un peu caricatural ou hypocrite du « front républicain », qui n’entraîne aucune option politique de fond, mais il n’y a là rien de choquant ni de nouveau. Les électeurs font leur choix, ils en assument les conséquences.
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Je cite souvent Philippe Séguin qui disait – dès 1991 – que cette politique de « barrage » face au FN était une facilité qui dispensait (notamment la gauche) d’affronter les problèmes bien réels de la société française, dont ce mouvement tirait précisément sa substance. Il disait même alors que cette facilité ferait de Jean-Marie Le Pen le pivot de la politique française et porterait son parti à 40 %.
Selon l’article 3 de la Constitution, le peuple exerce sa souveraineté par deux voies : l’élection de ses représentants et le référendum. Gouverner par référendum, dans la situation actuelle de paralysie de l’Assemblée nationale, est-ce la seule chance pour Emmanuel Macron de revenir à un socialisme gaulliste qui puisse satisfaire les électeurs de gauche et du centre ?
On ne peut pas gouverner par référendum – surtout sur des questions qui n’ont pas de réelle dimension stratégique – et faire disparaître l’Assemblée comme par enchantement. Mais l’inverse est malheureusement vrai : on a fait disparaître le référendum des usages parce que la réponse du peuple sur l’Europe, en 2005 , n’avait pas satisfait les dirigeants.
Or, les deux expressions de la souveraineté – la démocratie directe et la démocratie représentative – doivent se compléter et se renforcer. Sur les grandes questions de société – par exemple, retraites et protection sociale, fin de vie, politique d’immigration / intégration –, il aurait été possible d’organiser un grand débat national, suivi d’un vote.
Au lieu de cela, on a généralisé les conventions citoyennes, qui n’avaient aucune réelle représentativité et dont les productions n’étaient sanctionnées par aucun vote. Il faut effectivement rétablir l’usage du référendum, mais en choisissant le bon sujet et le bon moment, et en lui donnant la dignité et la clarté qui lui reviennent : celui de Maastricht, en 1992, avait été de ce point de vue un vrai succès.
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En revanche, je ne crois pas aux vertus des référendums à répétition ou à questions multiples : la France n’est pas un canton helvétique – je le dis sans mépris, ce n’est simplement pas le même système, ni la même tradition démocratique. Ma seule interrogation est celle-ci : le crédit politique du président de la République semble si affaibli que je ne suis pas certain qu’il soit en mesure d’organiser un référendum qui serait dépourvu de toute connotation plébiscitaire, contre-plébiscitaire en l’espèce, puisque cette consultation serait sans doute l’occasion d’un vaste défoulement.
Par contre, votre formulation sur le « socialisme gaulliste » me laisse un peu songeur. C’est une espèce que je n’ai pas répertoriée ! Le gaullisme avait, c’est vrai, une dimension sociale, dont la création de notre système de protection sociale en 1945 était l’expression, et que de Gaulle a voulu exprimer par son grand projet de participation, grâce auquel il voulait dépasser la lutte des classes et prolonger la citoyenneté politique par une citoyenneté dans l’entreprise. Cette dimension a été complètement oubliée depuis, à droite, et même au centre.
Dans sa manière de gouverner – jugée par certains autocratique – Macron n’est-il pas plus proche de Carl Schmitt que de Charles de Gaulle ?
Mais c’est de Gaulle qui est un personnage schmittien ! Je pense au Carl Schmitt des débuts, celui de la république de Weimar, pas celui qui se compromettra avec le nazisme ; celui qui décrit la figure du chef des temps de crise et dont l’œuvre passionnait René Capitant, Julien Freund, Raymond Aron . Le héros schmittien originel est un homme qui a l’instinct des institutions, qui se trouve à proximité du pouvoir parce qu’il l’a pensé et voulu et parce qu’il sait interpréter le jeu des circonstances.
En un sens, Pétain, en 1940, aurait pu être aussi un personnage schmittien : lui aussi croyait détenir les clefs qui lui permettaient de résoudre la crise. La France de 1940 a peut-être été ainsi le théâtre extraordinaire de la confrontation entre deux « héros » en apparence de même nature.
Mais le héros véritable est celui qui sauve la substance du pays et non celui qui la compromet, comme le fit Pétain en reniant les vertus éternelles de la France. La prévalence absolue donnée par de Gaulle à la survie de l’État répond à une conception de la souveraineté née des leçons de l’Histoire et forgée par son expérience personnelle la plus intime.
Il en a vu resurgir les terribles enjeux en 1940, puis en 1958 avec le spectre de la guerre civile, et enfin, vers la fin des années soixante, lorsqu’il verra venir un monde dangereux, porteur de nouvelles formes d’oppression et d’aliénation par la technologie, qu’il perçoit comme autant de menaces pour l’exercice de la démocratie.
« La figure présidentielle, au-delà des apparences de toute-puissance, est aujourd’hui dépouillée de beaucoup de ses attributs »
Voilà qui nous entraîne bien loin d’Emmanuel Macron , qui ne me paraît d’ailleurs pas être un « autocrate », mais plutôt la victime d’un prodigieux paradoxe dont il s’est fait lui-même l’incarnation. La figure présidentielle, au-delà des apparences de toute-puissance, est aujourd’hui dépouillée de beaucoup de ses attributs – au profit d’autres puissances portées par la modernité, telles que les marchés, les impérialismes résurgents, le juge constitutionnel ou européen, les féodalités territoriales ou médiatiques, et j’en passe…
C’est aussi le vice de l’hyperprésidence inaugurée en 2007 par Nicolas Sarkozy, qui a effacé le Premier ministre et créé cette illusion d’omnipotence. De là, la frustration que ressentent les Français : on leur promet un magicien, et ils ne voient qu’un roi sans divertissement.
Assiste-t-on, selon vous, à une forme de retour en arrière, à la IVe République ?
Oui, dans une certaine mesure. La confusion est totale. On invoque, ici ou là, de mystérieuses « traditions républicaines », on somme le chef de l’État de nommer le Premier ministre qu’on lui aura préalablement choisi… Tous les codes de la Ve République semblent oubliés. On critique la verticalité des institutions et on invoque avec délice l’apparition d’une culture du compromis qui nous serait étrangère… alors que nous avons connu le programme commun de la gauche, fabuleux compromis entre les deux frères ennemis du XXe siècle !
À LIRE AUSSI : Arnaud Teyssier : « La droite paye pour avoir oublié le gaullisme, le peuple, et l’État »
Et si nos partis politiques – ou ce qu’il en reste – cèdent à la tentation de revenir à la proportionnelle, marque de fabrique de la IVe République et de tous ses renoncements, alors oui, nous reviendrons inéluctablement et définitivement au régime des partis et des combinaisons de circonstances, des demi-mesures, de l’impuissance nationale, des ferments de guerre civile qui ont caractérisé le destin tragique de ce régime qu’on ne saurait regretter.
Que ferait de Gaulle s’il revenait ?
Il ferait probablement ce qu’il a fait en 1958… Il exigerait de l’Assemblée nationale les pouvoirs exceptionnels qui lui permettraient de restaurer l’autorité de l’État à l’intérieur, et son crédit à l’extérieur. Et muni de tels pouvoirs, il engagerait les profondes réformes dont le pays a besoin, après avoir fait valider par le peuple ses orientations majeures.
De Gaulle n’est plus là. Mais en son absence, il n’est pas interdit de s’inspirer de son action : « que le peuple y voie clair » ; que chacun soit dans son rôle et que le gouvernement gouverne, au lieu de céder toujours du terrain à des puissances d’occasion ; que la vérité soit dite, et les choses nommées ; que l’État soit restauré dans la plénitude de ses fonctions – ce qui suppose une administration puissante, loyale envers le pouvoir légitime, mais, en retour, respectée de lui et mise en état d’agir, au lieu d’être privée de ses moyens et désignée comme le bouc émissaire de l’aboulie du politique.
Pensez-vous que LR risque sa peau à se coaliser avec le parti présidentiel ?
Depuis vingt ans, depuis que le mouvement originellement d’inspiration gaulliste, le RPR, s’est fondu avec le centre et la droite non gaulliste dans l’UMP, devenue depuis « les LR », la « droite » française n’a cessé de rétrécir comme peau de chagrin. Elle a laissé en friche les principes fondateurs de la Ve République – l’État fort, l’indépendance nationale, la question sociale – pour épouser les thèses anti-étatistes de divers think-tanks, d’officines parfois misérables, et pour devenir l’instrument de projets présidentiels de plus en plus narcissiques. Sa vision de l’Europe et de la démocratie s’est noyée dans un conglomérat euro-centro-libéral, ouvrant ainsi une voie royale au Front national.
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Depuis 2022, les députés LR se sont refusés à censurer le gouvernement, pratiquant, de facto, un soutien sans participation à la Macronie. Ils n’éprouveront donc aucune difficulté à se coaliser avec Ensemble… ce qui permettra peut-être au RN d’envahir définitivement tout l’espace politique à droite. Mais le problème n’est pas celui d’une éventuelle coalition, que peut justifier d’ailleurs pleinement l’intérêt national. La vraie question est ailleurs : elle est dans l’examen de conscience qu’il serait bon de leur voir faire enfin, après vingt ans de décadence électorale et de desséchement idéologique. Et dans la reconstruction d’une pensée authentique de l’État.
Faut-il un référendum sur l’immigration ? Avec quelle question ? Il y en a tellement sur le sujet qu’un référendum parait impossible.
Mais je ne sens pas encore le frémissement. Il ne suffit plus de compter sur les erreurs stratégiques des adversaires ou des rivaux – comme le RN, s’il est trop sûr de lui, ne manquera pas d’en faire. Mais de Gaulle disait à la fin des années vingt : « Quand vous déplorerez le mal présent et que vous craindrez le pire, on vous dira que ce sont les lois de l’Histoire, qu’ainsi le veut l’évolution ; on vous l’expliquera savamment. Redressez-vous, Messieurs, contre cette savante lâcheté, c’est plus qu’une sottise, c’est un péché contre l’esprit. »
MISE À JOUR :
2. TRIBUNE La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution
15 juillet 2024, par Jean-Philippe Derosier LE MONDE
« La Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution » : tels étaient les mots de François Mitterrand, en 1986, à la veille des élections législatives qui devaient amorcer la première cohabitation. Près de quarante ans plus tard, alors que le pays paraît plonger depuis dimanche 7 juillet dans une période de grande incertitude, il est nécessaire de s’appuyer sur notre texte fondamental pour apporter les clarifications nécessaires.
Au soir du second tour, le Premier ministre a indiqué que, « fidèle à la tradition républicaine, je remettrai demain matin ma démission au Président de la République ». En effet, au lendemain d’élections nationales, il est de tradition que le Premier ministre procède ainsi, afin que le Président de la République puisse tirer les conséquences de ces élections. Cependant, si « la Constitution » ne l’impose pas formellement, une lecture de « toute la Constitution » permet bien de comprendre qu’il ne s’agit pas là d’une simple tradition, mais d’une application de principes constitutionnels.
Refuser la démission du Premier ministre traduit un refus, voire un déni du résultat des élections législatives
Selon l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants ». Ainsi, dans notre République démocratique, le premier décideur est le peuple, qui s’exprime lors d’élections permettant de désigner ses représentants. Lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, le peuple a d’abord décidé qu’il ne souhaitait pas d’un Gouvernement d’extrême droite, en plaçant cette dernière en troisième position et loin d’une majorité qui lui permettrait de gouverner. Il a ensuite décidé de retirer le pouvoir à la majorité sortante, réduisant de près de quatre-vingt-dix sièges ses effectifs et la plaçant en deuxième position.
De surcroît, le caractère exclusivement parlementaire de notre régime résulte de l’article 20 de la Constitution, qui prévoit que le Gouvernement est politiquement responsable devant le Parlement. Combiné à l’article 49, il résulte de ces dispositions que le Gouvernement a besoin d’une majorité au sein de l’Assemblée nationale pour agir. Or le Gouvernement de Gabriel Attal, soutenu par la coalition « Ensemble » ne dispose ni d’une majorité absolue, ni d’une majorité relative. Là encore, si « la Constitution » ne lui impose pas formellement de démissionner tant qu’une motion de censure n’a pas été votée (ou une déclaration de politique générale désapprouvée), le sens démocratique et parlementaire de « toute la Constitution » commande de le faire. C’est ce qui explique la démarche de Gabriel Attal.
Le Président de la République a décidé de refuser cette démission. L’article 8 de la Constitution dispose que ce dernier « met fin [aux] fonctions [du Premier ministre] sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». On sait qu’habituellement l’usage du présent de l’indicatif dans des formules normatives vaut impératif. Une autre interprétation a toutefois été retenue (comme ce fut déjà le cas par le passé) et, surtout, acceptée par le Premier ministre qui n’a pas davantage insisté – car on ne saurait maintenir quelqu’un à son poste contre son gré –, « afin d’assurer la stabilité du pays ».
L’article 5 de la Constitution prévoit en effet que le Président de la République est chargé d’assurer « la continuité de l’État » et l’on pourrait ainsi imaginer que cette dernière obligation constitutionnelle justifie le refus de la démission. Ce serait cependant conférer à une notion juridique (« la continuité de l’État ») un sens différent et plus large (« la stabilité du pays »), qu’elle n’a pas. En effet, un Gouvernement démissionnaire est chargé de « gérer les affaires courantes », autre notion juridiquement reconnue par le juge, jusqu’à la prise de fonction du nouveau Gouvernement. Cette gestion des « affaires courantes » permet précisément d’assurer « la continuité de l’État », car elle permet de prendre les décisions de gestion administrative quotidienne, qui se situent dans le prolongement de décisions prises précédemment (simple application) et les décisions urgentes, qui sont inévitables et pour lesquelles il n’est pas possible d’attendre la désignation du nouveau Gouvernement de plein exercice.
Ce même article 5 charge également le Président d’assurer, « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». C’est donc sans doute davantage de cette dernière disposition que l’on peut identifier l’interprétation retenue par Emmanuel Macron et acceptée par Gabriel Attal. Malgré tout, ce « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » suppose, avant tout, de tenir compte de ce que souhaite le premier décideur du pays, c’est-à-dire le peuple. C’est pourquoi, au nom des missions que « la Constitution » lui confie et en raison de ce qui ressort de « toute la Constitution », le Président de la République devait accepter cette démission, puis inviter les différentes forces politiques à se concerter pour identifier, d’abord, la personnalité en mesure de composer un Gouvernement et, ensuite, les membres qui rejoindraient ce dernier, afin de refléter la coalition qui se dégagerait. La logique démocratique et parlementaire de la Constitution voudrait que ce soit le bloc majoritaire qui se livre à cet exercice en premier, mais le rôle « d’arbitrage » du Président peut et, en l’espèce, doit le conduire à encourager un élargissement des blocs car aucun ne dispose, à lui seul, d’une majorité suffisante pour gouverner.
Ce faisant, le Président de la République est malgré tout supposé se cantonner à n’appliquer « rien que la Constitution », c’est-à-dire à n’assumer qu’une mission d’arbitre, non de capitaine. Il peut endosser un tel rôle lorsque le peuple le lui a clairement confié, après une élection présidentielle, mais non lorsque ce même peuple le lui a clairement retiré, après des élections législatives que le Président a perdues. Il ne lui appartient donc pas de définir « l’arc » dans lequel doit s’inscrire le futur Gouvernement.
Par conséquent, refuser la démission du Premier ministre traduit un refus, voire un déni du résultat des élections législatives, que le Président de la République a pourtant convoqué afin de redonner la parole « au peuple souverain », afin qu’il exprime son « choix de notre avenir parlementaire par le vote », selon sa déclaration du 9 juin dernier. Par ailleurs, en cherchant à jouer un rôle actif dans la composition du futur Gouvernement et la création d’une nouvelle coalition, il exerce une mission qui va au-delà de « la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution », à laquelle il se doit de revenir car, l’article 5, le charge également de veiller sur son respect.
MISE À JOUR
3. ENTRETIEN- « Les ministres démissionnaires ayant toujours un pouvoir de décision et d’autorité, ne devraient pas pouvoir siéger en tant que députés »
15 juillet 2024, Jean-Philippe Derosier et Benjamin Morel – LIBÉRATION
Le Premier ministre Gabriel Attal peut-il aussi présider le groupe Renaissance à l’Assemblée alors que la Constitution interdit un tel cumul ? Éclairage avec les constitutionnalistes Jean-Philippe Derosier et Benjamin Morel.
Réélu député des Hauts-de-Seine à l’issue des législatives anticipées, Gabriel Attal a officiellement annoncé ce vendredi 12 juillet sa candidature à la présidence du groupe Renaissance à l’Assemblée. Seul candidat en lice, le Premier ministre devrait être désigné samedi. Il devrait pouvoir, par la suite, représenter son parti à la conférence des présidents, qui se réunit chaque semaine afin de décider de l’ordre du jour de l’hémicycle. Seulement, l’article 23 de la Constitution est clair : « Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire. » Or bien que Gabriel Attal ait remis sa démission au président de la République le 8 juillet, celui-ci ne l’a pas encore acceptée. Il reste donc Premier ministre de plein exercice.
Libération a interrogé deux constitutionnalistes sur cette contradiction. Jean-Philippe Derosier est professeur agrégé de droit public à l’université de Lille et titulaire de la chaire d’études parlementaires, et Benjamin Morel maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Gabriel Attal peut-il présenter sa candidature à la présidence du groupe Renaissance à l’Assemblée, alors qu’il est toujours Premier ministre ?
Jean-Philippe Derosier : A l’heure où nous nous parlons, Gabriel Attal n’est pas député, puisqu’il est Premier ministre de plein exercice et que la Constitution pose une incompatibilité très stricte entre ces deux postes à l’article 23. Un membre du gouvernement ne peut pas exercer un mandat parlementaire, c’est très clair dans le texte.
La présidence de son groupe, dont l’élection a lieu demain, est en revanche interne au parti. C’est le groupe qui désigne son président. A ce stade, élire Gabriel Attal pose une bizarrerie mais ne paraît pas contraire aux règles, car il prend simplement la présidence de l’association. En revanche, tant qu’il n’est pas démissionnaire, les effets institutionnels de sa présidence de groupe, comme la possibilité de siéger à la conférence des présidents, sont impossibles. Il ne peut pas être considéré comme président du groupe Renaissance au niveau institutionnel tant qu’il est membre du gouvernement.
Benjamin Morel : L’élection des présidents de groupe est liée au statut des groupes. La règle de base, c’est que le président doit être député, c’est là où il y a un problème. Une fois que le Premier ministre sera démissionnaire, théoriquement il pourra siéger. Ce serait une sorte de député qui fait office de ministre.
Quelle est la différence entre un gouvernement de plein exercice et un gouvernement démissionnaire ?
J-Ph.D. : Un gouvernement est soit en fonction, soit démissionnaire en charge des affaires courantes, ce qui signifie qu’un nouveau gouvernement n’a pas été nommé. Avec Gabriel Attal, on est actuellement dans la première configuration. Même s’il a présenté sa démission, elle n’a pas été acceptée par le président de la République. Il n’y a pas de précision dans la Constitution quant au statut de Premier ministre démissionnaire en charge des « affaires courantes », mais le fait de gérer ces affaires courantes est une règle et une coutume administrative qui s’appliquent à l’autorité qui quitte son poste, au nom de la « continuité de l’État ». Ce principe est prévu par la Constitution notamment à l’article 5 en ce qui concerne le président de la République.
Quant à la notion d’affaires courantes, elle n’est pas non plus inscrite dans la Constitution, mais elle est contrôlée par un juge. Il y en a une définition jurisprudentielle, qui recouvre deux dimensions, la première étant la gestion quotidienne et la poursuite des affaires en cours, la seconde l’urgence. C’est-à-dire qu’il faut d’un côté appliquer des mesures qui ont déjà été décidées, de l’autre gérer les urgences s’il y en a.
Quand on est démissionnaire en charge des affaires courantes, on reste l’autorité compétente pour agir. Même si l’action est restreinte, car elle n’est plus de plein exercice et qu’il n’y a plus de plénitude des compétences, elle existe néanmoins.
Est-ce sur la différence entre Premier ministre de plein exercice et Premier ministre démissionnaire que Gabriel Attal peut jouer afin de présider le groupe Renaissance à l’Assemblée ?
J-Ph.D. : Gabriel Attal va sûrement être Premier ministre démissionnaire, en charge des affaires courantes, sauf si un autre gouvernement est nommé immédiatement. C’est là qu’il y a une divergence des interprétations, entre la fidélité au texte [l’article 23 de la Constitution, ndlr] et l’interprétation extensive par rapport au texte. Selon moi, les ministres démissionnaires ayant toujours un pouvoir de décision et d’autorité, ne devraient pas pouvoir siéger en tant que députés. Tant qu’il n’y a pas eu de passation de pouvoir, le ministre démissionnaire est encore ministre et ne peut pas être parlementaire. C’est ce qui justifie qu’en 2022, Yaël Braun-Pivet ait démissionné du gouvernement et que ses compétences de ministre des Outre-mer aient été confiées à la Première ministre, afin qu’elle puisse être candidate à la présidence de l’Assemblée nationale.
Mais cette interprétation stricte est contredite par un précédent qui s’est déroulé pendant le gouvernement de Michel Rocard, en 1988. Réélu en mai, François Mitterrand nomme Michel Rocard Premier ministre et, au soir des élections législatives remportées par la gauche un mois plus tard, ce dernier présente sa démission, comme le veut la tradition républicaine. Le Président temporise, comme Macron actuellement. Puis Mitterrand accepte la démission dix jours plus tard, le 22 juin. Rocard et tous les ministres députés votent pour Laurent Fabius candidat au perchoir le 23 juin, et sont renommés le 24 juin. Ce précédent-là montre que l’interprétation qui est la mienne, sur l’impossibilité de siéger à l’Assemblée pour les membres d’un gouvernement démissionnaire, a été contredite par les faits. Mais tous les jours, il y a des cambriolages, des vols, etc. Ce n’est pas pour autant qu’ils deviennent conformes à la loi.
Ce qu’il s’est passé en 1988 est vraisemblablement ce qui va se passer cette fois-ci, même si ce n’est pas du tout la même situation qu’en 1988, où on savait que Michel Rocard allait retourner très vite à la tête du gouvernement – en vingt-quatre heures. Ce qui pose question pour Gabriel Attal : où siégera-t-il ? Au banc des députés comme président de groupe ou au banc des ministres ? Là, il y a un réel dysfonctionnement.
B.M. : Tant que Gabriel Attal est ministre de plein exercice, il a trente jours pour faire un choix entre député et ministre. Tant qu’il n’a pas choisi entre les deux, il ne peut pas siéger à la conférence des présidents, il ne peut être qu’un président absent. Ce qui est problématique, parce qu’il porte non seulement la voix de son parti mais également son poids, soit 99 sièges.
Une fois que le Premier ministre sera démissionnaire, théoriquement il pourra siéger. Mais c’est une façon de torturer le droit. Parce que la Constitution de la Ve République est vraiment écrite et pensée pour empêcher le cumul de la fonction de ministre et du mandat parlementaire. C’est quelque chose auquel Charles de Gaulle tenait énormément parce qu’il jugeait que cela représentait un risque d’instabilité.
Quels problèmes cela pose-t-il ?
B.M. : Juridiquement ça peut tenir, mais ça pose de gros problèmes démocratiques et d’équilibre du régime. Déjà parce que les ministres démissionnaires ont toujours un pouvoir, pour appliquer des mesures déjà décidées, et en appliquer d’autres en cas d’urgence. De plus, et c’est le plus dangereux, on ne peut pas déposer de motion de censure contre un gouvernement démissionnaire.
MISE À JOUR 19/7/24
4. ARTICLE – Y a-t-il un délai pour proposer un nouveau gouvernement ? Emmanuel Macron peut-il nommer le premier ministre qu’il souhaite ? Nos réponses à vos questions
Depuis la dissolution et les législatives anticipées, la situation politique inédite que connaît la France soulève de nombreuses interrogations chez nos lecteurs et lectrices, auxquelles nous tentons de répondre.
La situation politique inédite que connaît la France depuis les résultats des élections législatives anticipées, le 7 juillet, soulève de nombreuses interrogations. Parfois ambiguë, la Constitution ne permet pas de répondre clairement à tous les cas de figure qui se présentent aujourd’hui. Depuis plusieurs semaines, dans nos directs et nos articles, nous tentons de répondre aux questions qui se posent en l’absence de majorité claire à l’Assemblée nationale.
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SOMMAIRE
Y a-t-il un délai pour proposer un nouveau gouvernement ?Le choix du premier ministreLa gestion des affaires courantesLa possibilité d’une motion de censureQuels sont les pouvoirs du président en cohabitation ?Le gouvernement peut-il contourner l’Assemblée ?Les ministres députés peuvent-ils voter ?
Existe-t-il un délai pour proposer un nouveau gouvernement ?
Seul le chef de l’Etat a la compétence de nommer un premier ministre (article 8 de la Constitution). Il n’a aucune obligation légale de choisir une personnalité issue du groupe le plus important à l’Assemblée nationale et aucun délai ne lui est imposé par les textes.
Il est difficile de parler d’usage républicain en la matière. Lors des trois périodes de cohabitation (en 1986-1988 et 1993-1995 sous François Mitterrand, puis en 1997-2002 sous Jacques Chirac), « une majorité absolue à l’Assemblée nationale était toujours sortie des urnes, rappelle Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay et spécialiste de la Constitution. Le président de la République n’avait donc eu qu’à entériner la nouvelle configuration – sans aucun espace pour nommer un autre premier ministre que celui que la droite ou la gauche avaient alors choisi ». En 2022, le camp présidentiel avait certes une majorité relative, avec 250 députés, mais ce groupe était « et de très loin, le seul à être majoritaire au sein de l’Hémicycle » et il n’y avait aucune alternative.
Emmanuel Macron a accepté la démission du gouvernement Attal mardi 16 juillet, mais nul ne sait quand le président nommera un nouveau premier ministre. Il a déjà prévenu vouloir « laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir [des] compromis avec sérénité et respect de chacun ». Le gouvernement démissionnaire pourrait gérer les affaires courantes le temps des Jeux olympiques et paralympiques, et pourquoi pas jusqu’à l’ouverture de la prochaine session ordinaire, prévue le mardi 1er octobre.
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Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, « cela pose un vrai problème démocratique » puisqu’un gouvernement chargé des affaires courantes ne peut pas être renversé par l’Assemblée nationale, sa démission étant déjà actée. Reste à savoir si le président de la République prendra le risque de faire durer une telle situation, alors que la pression politique sera forte et que les Français, qui se sont massivement exprimés lors des élections législatives, pourraient s’impatienter.
Emmanuel Macron peut-il nommer un premier ministre qui ne soit pas issu du plus grand groupe à l’Assemblée ?
La logique institutionnelle veut que le président de la République nomme un premier ministre issu du parti qui a gagné les élections. Pour autant, aucun groupe politique ne peut aujourd’hui se prévaloir d’une majorité absolue. Les partis de gauche alliés au sein du Nouveau Front populaire (NFP) revendiquent le poste de premier ministre, arguant qu’ils ont obtenu le plus grand nombre de députés (182), devant le camp présidentiel sous l’étiquette Ensemble (168) et le Rassemblement national et ses alliés (143). Les responsables du NFP se réunissent depuis le 7 juillet dans la perspective de proposer un nom, mais ces tractations n’ont pour le moment pas abouti. Libre ensuite à Emmanuel Macron de nommer ou non cette personne à Matignon…
La compétence de nommer le premier ministre revient en effet au seul chef de l’Etat, qui n’a aucune obligation légale de choisir une personnalité issue du groupe le plus conséquent à l’Assemblée nationale.
Mais « si la gauche se met d’accord sur un nom à proposer à Emmanuel Macron, il pourra difficilement faire la sourde oreille, relève Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay et spécialiste de la Constitution. Toute la question est de savoir s’il existe une solution alternative. »
Quand un gouvernement démissionne, comment gère-t-il les affaires courantes ?
Quand un gouvernement démissionne, le président de la République peut demander à ses ministres de rester temporairement en fonction pour assurer la continuité de l’Etat, de ses services, et donc du fonctionnement essentiel et quotidien des administrations placées sous leur responsabilité. Aucun texte juridique ne cadre spécifiquement ce qu’un gouvernement démissionnaire peut ou ne peut pas faire.
Un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes a un pouvoir bien plus limité qu’un gouvernement de plein exercice. Il ne peut, en principe, prendre de mesures de nature politique. De fait, un tel gouvernement ne peut pas, par exemple, créer de nouveaux droits et devoirs pour la population ou prendre des mesures qui ne seraient pas déjà prévues par les lois existantes et promulguées. Mais du fait du peu d’exemples dans l’histoire de la République française, il n’est pas toujours facile d’anticiper les mesures que peut prendre légalement un tel gouvernement. « La frontière est difficile à établir parce que cela relève de l’appréciation du Conseil d’Etat », nuance le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Le Conseil d’Etat a le pouvoir de contester un décret s’il juge que la mesure dépasse simplement l’objectif de maintenir la continuité des services publics.
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Etre chargé des affaires courantes n’empêche pas systématiquement un gouvernement de prendre des décrets, des circulaires et des arrêtés pour mettre en application des lois déjà votées. Ses pouvoirs ne sont pas limités quand les mesures prises revêtent un caractère urgent. « S’il y avait un attentat, il n’y a aucun obstacle juridique, un gouvernement chargé des affaires courantes pourrait prendre les décisions qui s’imposent », illustre Julien Boudon.
Les députés peuvent-ils déposer une motion de censure à tout moment pour faire tomber le gouvernement ?
Pour pouvoir être déposée, une motion de censure, qui vise à faire tomber un gouvernement, doit être signée par un dixième de l’effectif total de l’Assemblée, soit 58 députés. Actuellement, La France insoumise (74 députés), le Parti socialiste (59), Renaissance (102) et le Rassemblement national (125) ont chacun suffisamment d’élus pour déposer une telle motion.
null
Pour être adoptée, elle requiert cependant la majorité absolue des sièges, soit 289 voix, ce dont aucun groupe politique ne dispose actuellement. Seuls les votes « pour » la censure du gouvernement sont comptabilisés. En cas d’adoption, l’article 50 de la Constitution est clair : le premier ministre doit remettre la démission du gouvernement au président de la République.
Il existe deux types de motion de censure : la version spontanée et la version provoquée. Dans les deux cas, elles ne peuvent être déposées que lors d’une session parlementaire.
1- La motion de censure spontanée
Cette motion est déposée à l’initiative des députés et d’eux seuls. Contrairement à la motion de censure provoquée, elle n’est pas rattachée à un texte. Elle ne peut être discutée dans l’hémicycle qu’entre quarante-huit heures et cinq jours après son dépôt. Ainsi, Elisabeth Borne avait fait face à une motion de censure, qui avait échoué, après son discours de politique générale lors de sa prise de fonction à l’été 2022.
2- La motion provoquée
Elle est déposée – en principe par un groupe d’opposition – après que le gouvernement a engagé sa responsabilité sur un texte de loi. Ce dispositif est prévu par le fameux article 49.3 de la Constitution.
null
Quand le gouvernement engage sa responsabilité, le texte est réputé adopté sans débat, sauf si une motion de censure est déposée dans les vingt-quatre heures. En cas d’adoption, cette motion de censure entraîne le rejet du texte ainsi que la démission du gouvernement.
En cas d’échec de cette motion, non seulement l’exécutif reste en place, mais le texte législatif qui fait l’objet de la procédure est adopté sans vote. Raison pour laquelle l’emploi de cet article de la Constitution a été qualifié de « passage en force » peu démocratique.
De toute l’histoire de la Ve République, une seule motion de censure a été adoptée, à l’initiative des députés. C’était en 1962, quand la majorité d’entre eux a protesté contre la révision constitutionnelle prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. En réaction, le président Charles de Gaulle dissout l’Assemblée. Les législatives qui suivent se soldent par la large victoire du camp gaulliste. Et le premier ministre Pompidou, un temps menacé par la motion de censure, reste en poste.
Quels sont les pouvoirs du président de la République en cas de cohabitation ?
Selon la Constitution, la politique intérieure du pays est clairement confiée aux membres du gouvernement. En cas de cohabitation, le président de la République dispose d’un rôle plus secondaire. Ses pouvoirs propres sont encadrés, et c’est notamment lui qui nomme le premier ministre de son choix (qui doit cependant avoir la confiance de l’Assemblée), préside le conseil des ministres (mais perd son influence auprès d’eux), dispose du pouvoir de nommer les fonctionnaires civils et militaires de l’Etat ou peut dissoudre l’Assemblée nationale (à raison d’une fois par an). Il peut aussi s’arroger des pouvoirs exceptionnels en cas de menace « grave et immédiate » sur les institutions, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux.
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En matière de politique étrangère, la Constitution prévoit que le président négocie et ratifie les traités internationaux et accrédite les ambassadeurs. Une ambiguïté persiste sur la question de la défense puisque la Constitution fait du président le « chef des armées », celui qui « préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale », tout en qualifiant le premier ministre de « responsable de la défense nationale » et en prévoyant que le gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée ». Cette ambiguïté oblige le premier ministre et le président à une certaine entente, notamment sur le nom du locataire du Quai d’Orsay.
Si la cohabitation fait du président de la République un chef de l’opposition, celui-ci a l’avantage non négligeable d’être à l’Elysée, de bénéficier d’une parole forte auprès des Français et il garde un pouvoir tribunitien important. C’est aussi le seul à pouvoir signer les décrets et les ordonnances en conseil des ministres, et bénéficie de ce fait d’un pouvoir de nuisance face à un gouvernement d’opposition.
Décrets, ordonnances… un gouvernement peut-il contourner l’Assemblée ?
Sans majorité, un gouvernement pourrait être tenté de gouverner par décret. Jean-Luc Mélenchon a prévenu dès le 7 juillet qu’un gouvernement du Nouveau Front populaire pourrait utiliser cette méthode pour mettre en place des mesures phares du programme de la gauche : abroger le report à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite et augmenter le smic à 1 600 euros. Cela ne poserait a priori pas de problème pour la modification du montant du salaire minimum, mais l’idée d’annuler la retraite à 64 ans par décret interroge plusieurs experts.
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Décidé en en conseil des ministres, le décret est un acte réglementaire (qui fixe une règle) signé par le président de la République et qui n’a pas besoin de l’approbation du Parlement. Le premier ministre peut également se passer de la signature du président en prenant un décret simple, en dehors du conseil des ministres. Pour modifier ou abroger une loi, il faut cependant une mesure législative, qui passe donc par le Parlement.
L’une des possibilités offertes à un gouvernement peut être de gouverner par ordonnance. Ce texte normatif (qui énonce une règle) lui permet d’adopter des mesures sans passer par la procédure législative habituelle (Assemblée nationale et Sénat). Mais il doit avoir l’autorisation préalable des deux chambres du Parlement, ce qui peut s’avérer très complexe sans majorité. Surtout, dans le cas d’une cohabitation, gouverner par ordonnance peut s’avérer d’autant plus compliqué que le président de la République est le seul habilité à la signer. C’est ainsi qu’en juillet 1986, François Mitterrand refusa de signer les ordonnances sur les dénationalisations présentées par le gouvernement de Jacques Chirac, qui avait pourtant obtenu du Parlement l’autorisation de légiférer par ordonnances. Face à ce refus du président, Jacques Chirac avait dû transformer le projet d’ordonnances en projet de loi.
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Un gouvernement sans majorité pourrait également décider de « passer en force » en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet d’adopter directement un texte de loi. Il s’exposerait cependant aux motions de censure et risquerait de se voir renversé en cas d’adoption de celles-ci.
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Les ministres députés ont-ils le droit de voter à l’Assemblée nationale ?
Après la démission du gouvernement actée par Emmanuel Macron le 17 juillet, la question de la participation aux votes à l’Assemblée nationale des dix-sept députés démissionnaires dès le 18 juillet soulève une sérieuse controverse pour une partie des observateurs et de la classe politique, qui dénoncent une violation de la Constitution.
L’article 23 de la Constitution interdit d’être à la fois membre du gouvernement et parlementaire. Mais face au principe constitutionnel, les modalités d’application de cette incompatibilité sont, elles, fixées par la loi. L’article LO153 du code électoral dispose ainsi que le député membre du gouvernement a un mois, à partir du moment où il est appelé au gouvernement, pour choisir entre la députation et le gouvernement. Pendant ce délai, détaille l’article du code électoral, « le député membre du gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire ». Il précise enfin que les deux fonctions ne sont pas incompatibles entre elles « si le gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai ».
L’exécutif et Gabriel Attal estiment qu’être membre d’un gouvernement démissionnaire leur donne le droit de participer aux scrutins à l’Assemblée. Un avis partagé par plusieurs spécialistes, à l’instar de Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, selon qui il s’agit d’une « interprétation possible ».
Cette version ne fait toutefois pas consensus : l’article mentionne la fin de « l’incompatibilité » en cas de gouvernement démissionnaire mais n’est pas explicite sur le fait de ne pas prendre part au scrutin. Une lecture plus critique de cet article peut conduire à déduire que tant que la personne est à la fois députée et membre d’un gouvernement démissionnaire, elle ne serait plus obligée de choisir au bout d’un mois, mais elle ne pourrait toujours pas participer aux scrutins, puisqu’elle resterait ministre (ou secrétaire d’Etat). Elle serait donc temporairement un(e) député(e) « neutre ».
Si les membres du gouvernement participaient aux scrutins à l’Assemblée nationale d’ici à la nomination d’un nouveau gouvernement, quels recours seraient possibles ? Ce point est là aussi difficile à trancher, car il ne s’est quasiment jamais présenté.
L’article 151-2 du code électoral prévoit par exemple que le Conseil constitutionnel, s’il est saisi, puisse juger la question d’une incompatibilité entre le mandat de député et une activité professionnelle. Mais d’une part, cela ne réglerait pas forcément la question du droit de participer aux scrutins, et d’autre part il est difficile de dire si la fonction de ministre peut être considérée comme une simple activité professionnelle. Le Conseil constitutionnel, qui s’est déjà estimé incompétent en 1986 à trancher sur la régularité de l’élection du président de l’Assemblée nationale, pourrait s’estimer à nouveau incompétent à arbitrer cette question.
Une autre piste serait celle d’une intervention potentielle du président nouvellement élu de l’Assemblée, au titre de l’article 7 alinéa 3 du règlement de l’institution. Celui-ci prévoit, en cas d’incompatibilité entre le mandat de député et une fonction gouvernementale, que le président procède à son remplacement. Selon Julien Boudon, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay, le président de l’Assemblée nationale pourrait s’appuyer sur cet article pour considérer que les dix-sept députés ministres sont dans une situation d’incompatibilité et ne peuvent donc pas participer aux scrutins, leur interdisant la participation aux votes tant qu’ils n’ont pas été remplacés au gouvernement.
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